Louis Soutter_Volagie

PROLONGEANT SON EXPOSITION DE LA VIE ARTISTIQUE, le Dr. MietZsche montre dans quelle mesure l’homme (occidental), par sa focalisation outrée sur les idées abstraites, a tendance à écraser la richesse de la vie sensible.

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Contrairement à ce qu’on a cru dans notre tradition, les phénomènes de la vie ne se donnent, dévoilent et déploient pas sans autres, en toute spontanéité, d’après une essence préétablie. Pas davantage qu’ils ne se retirent, déclinent et périssent spontanément, selon un programme préexistant.

Le monde n’est pas le produit d’un dieu architecte, qui façonne toute chose en fonction d’une idée intelligible, qu’il réalise dans la matérialité sensible. Non, le double mouvement interdépendant de la vie – celui d’apparaître et de disparaître, de s’ouvrir et de se fermer, de venir à la lumière et de plonger dans l’obscurité, de se montrer et de se retirer, de grandir et de rapetisser, de naître et de mourir, etc. – est marqué par une énergie, une productivité propre.

S’il y a un dieu qui œuvre au fond de tous les phénomènes de la vie, de l’événement de la vie, c’est un dieu artiste, un dieu qui élève au rang de principe (c’est ce que veut dire le suffixe -iste) l’art, c’est-à-dire, en grec, la technè (poiètikè) : la prise en compte en vue de la production.

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Phusis poiétique par Michysos
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Tout phénomène vivant – du simple protozoaire à l’homme, en passant par toutes les plantes et tous les animaux – est en ce sens artiste : marqué par ladite prise en compte en vue de la production. Prise en compte non seulement d’une image ou idée, comme nous l’avons vu pour l’homme (et comme ce serait le cas pour le dieu architecte, sorte d’artiste originaire, idéaliste, pensé à partir des idées de l’homme), mais prise en compte de toute perception sensible, d’une présence ou absence, d’un équilibre ou déséquilibre, d’un plaisir ou déplaisir, d’une joie ou d’une peine, d’une lumière ou d’une ombre, d’un désir ou d’une répulsion, etc.

Au fond de chaque phénomène, c’est à chaque instant ce dieu artiste, cette vérité, force ou volonté artistique, productrice de vie (Dionysos chez les Grecs) qui travaille, lutte et qui joue : force qui est aux aguets, qui ressent, agit et réagit, produit et détruit, joue inlassablement toujours le mieux qu’elle peut. Pour survivre et trouver un certain équilibre, bien sûr, mais en même temps pour croître et augmenter ses sphères de puissances.

Or chez ce phénomène vivant qu’est l’homme (occidental), cette puissance artistique a pris une tournure particulière. Elle a été court-circuitée par la raison humaine, c’est-à-dire la pensée rationnelle-morale. Forte de ses idées abstraites, stables et constantes, celle-ci est devenue la jauge et mesure de toute production, en lieu et place de la multiplicité des nuances et distinctions inhérentes à la sensibilité.

Passant tout au crible de la raison, ne prenant en compte, dans ses faits et gestes, que des idées et images toutes faites, l’homme se fait à son tour architecte. Il néglige et écarte le dieu artiste, et écrase par là les possibilités d’existence. Ecartant et écrasant la ressource même de la vie, il perd sa phénoménale puissance de sensibilité, de créativité et de jeu, et finit par devenir un singe imitateur ou un automate centré sur soi-même.

Allez, qu’on se le dise : ne négligeons pas le dieu artiste, pour que ce ne soit pas la catastrophe.

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