Pour écrire un texte qui vaut quelque chose, il est interdit d’être pressé. Il faut laisser les choses venir, à leur rythme, à leur guise ; puis les peser, les penser, les critiquer, les faire jouer. Pour que ça marche, patience et écoute sont de mise. Il s’agit de tout faire pour que ça avance, tout en acceptant que ça ne le fasse pas. Il faut avoir confiance : savoir qu’à force, ça va prendre, ne serait-ce qu’un tout petit peu.
Si ça coince, si on est pris dans un nœud, il ne faut surtout pas abandonner, faire comme si de rien n’était, mais revenir en arrière, reprendre, revoir ce qu’on a fait pour, par petites touches, l’agencer mieux, le faire parler mieux, plus clairement, plus joliment, plus justement, plus légèrement ; et peut-être, alors, débloquer l’affaire, réussir à avancer, ne serait-ce qu’un tout petit peu.
Travailler, sans relâche ; s’exercer, se critiquer, se reprendre, avancer, reculer, reprendre, toujours et encore, pour voir, progressivement, les choses se dessiner, se faire écho, s’imbriquer – et faire sens, toujours plus, finalement sans trop savoir pourquoi, sans trop savoir comment ça se fait que ça aille, que ça joue ; en n’étant tout compte fait sûr que d’une chose : qu’on ne sera jamais le maître, que jamais on ne dominera notre affaire, que toujours notre fragile atelier d’écriture sera à la remorque de l’immense complexité des phénomènes.
Si on a de la peine à entrer, si ça ne veut pas, il faut recommencer : reprendre depuis le début, renouer avec ce qu’on a déjà fait, l’accompagner mieux, l’attaquer sous d’autres angles, l’améliorer, toujours et encore, corriger ce qu’on a manqué de corriger, avant, par faiblesse, par mégarde ; creuser comme ça, pour espérer, finalement, pouvoir entrer quand même, s’y plonger quand même.
Ouf, une fois dedans, ça va de mieux en mieux. Des fois même très bien. Ça avance, comme par enchantement. Mais attention : en même temps, interdiction de se laisser aller, de rester dedans, de s’y perdre, mais obligation de toujours garder la tête haute et froide. Entrer oui, mais pour mieux en sortir ; et se forcer à sortir pour mieux entrer. Toujours de nouveau. Et en même temps, il convient de noter tout ce qui déborde sur des papiers, un tas de papier, comme ça vient, dans l’ordre où ça vient, quitte à ce que ce soit n’importe comment ; retenir tout ce qui pourrait tôt ou tard aider, être utile, permettre aux choses de parler mieux, de résonner mieux, de danser mieux.
Pour ne pas se fourvoyer dans l’écriture, il faut beaucoup de choses : du temps, de la patience, de la confiance, de l’écoute, du silence, de l’amour, du bruit, de la haine, des jours, des nuits, des souffrances et mille autres choses encore. Et quand ça prend, quand ça commence à se mettre en place, commence à parler, à résonner, à danser comme il faut, pour former un mystérieux tout, un texte organique, plein de vie, c’est un immense bonheur : une fête, finalement partageable par tous.
Magnifique texte.