Quinzième leçon du prêche de sagesse tragique que Zarathoustra distille à ses hôtes, les hommes supérieurs, dans sa caverne perchée dans les montagnes.
Dans notre monde, plus une chose est élevée, moins elle a de chances de rencontrer du succès. Les gens préfèrent ce qui est bas, ce qui est vil, ce qui est vulgaire. Vous en savez quelque chose, vous autres hommes supérieurs : après vous être élevés au-dessus de la populace, n’avez-vous pas échoué auprès des gens ? Les gens ne vous considèrent-ils pas comme – des êtres manqués ?
Qu’importe qu’il en soit ainsi. Gardez courage ! Tant de choses sont encore possibles ! Commencez par apprendre à rire ; à rire comme il faut de vous-mêmes ! Seul le rire vous donne une chance de réussir. Si vous faites la tête, si vous grondez, si vous vous révoltez, vous aurez encore moins de succès ; vous arriverez encore moins à faire passer vos idées, votre sagesse.
A vrai dire, votre échec n’a rien d’étonnant : vous n’êtes qu’à moitié réussis : à moitié réussis, et à moitié brisés ! L’avenir humain – ne presse et ne pousse-t-il pas très fort en vous, entre le singe que vous étiez et le surhomme vers lequel vous cheminez ?
Ce que l’homme a de plus lointain, de plus élevé, et en même temps de plus profond, de plus primitif, ce qu’il a de plus hautement stellaire, et en même temps sa plus immense force terrestre, animale : tout cela ne s’entrechoque-t-il pas dans le pot que vous êtes ? Tout cela ne travaille-t-il pas l’un contre l’autre, ne mousse-t-il pas en vous ?
Rien d’étonnant à ce qu’il y ait tant de pots qui se brisent ! La tension est trop grande ! Apprenez à rire de vous-mêmes comme il faut, vous autres hommes supérieurs ! Tant de choses sont encore possibles en lâchant la pression !
Et en vérité, combien de choses ont déjà réussi ! Regardez comme cette terre est riche en petites choses réussies, bien accomplies !
Au lieu de vous plaindre, de vous révolter, disposez donc quantité de bonnes petites choses autour de vous, vous autres hommes supérieurs ! Comme le rire, leur maturité dorée vous guérira le cœur, vous donnera la bonne tension. Tout ce qui est joliment fait, tout ce qui est bien réussi, bien accompli enseigne en effet l’espoir.
Telle est la quinzième des vingt leçons de Zarathoustra.
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Traduction littérale
Plus une chose est élevée, plus rare est sa réussite. Vous autres hommes supérieurs, n’êtes-vous pas tous – manqués ?
Qu’importe, ayez courage ! Tant de choses sont encore possibles ! Apprenez à rire de vous-mêmes comme on doit rire !
Et quoi d’étonnant à ce que vous soyez manqués et à moitié réussis, vous autres à moitié brisés ! L’avenir humain – ne presse-t-il et ne pousse-t-il pas en vous ?
Le plus lointain, le plus profond, les plus hautement stellaire, la plus immense force de l’homme : tout cela ne mousse-t-il pas l’un contre l’autre dans votre pot ?
Quoi d’étonnant que tant de pots se brisent ! Apprenez à rire de vous-mêmes comme il faut rire ! Vous autres hommes supérieurs, tant de choses sont encore possibles !
Et en vérité, combien de choses ont déjà réussi ! Comme cette terre est riche en petites choses accomplies, en choses bien réussies !
Disposez de bonnes petites choses autour de vous, vous autres hommes supérieurs ! Leur maturité dorée guérit le cœur. Ce qui est accompli enseigne l’espoir.
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Il s’agit ci-dessus de la quinzième partie du treizième chapitre de la « Quatrième et dernière partie » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement réinvesti (en haut) et traduction littérale (en bas). Les précédents chapitres et parties se trouvent ici. Musique : Keith Jarrett, Köln Concert, 1975.