Hymne homérique à Dionysos I | Apparition et rapt d’un beau jeune homme

EN GRÈCE ANCIENNE, LES CHANTEURS dont le savoir-faire était restreint, avaient la possibilité, pour leurs compositions, de puiser leur inspiration dans un large répertoire de mythes, de chants et autres expressions préexistantes. Une partie de ce répertoire (d’auteurs inconnus) a été rassemblée dans un recueil appelé les « Hymnes homériques », du nom d’Homère, au vu de la promiscuité linguistique de ces textes avec l’Iliade et l’Odyssée.

L’hymne ci-dessous annonce d’emblée qu’il va être question de Dionysos, le fils de la « très glorieuse » Sémélé, foudroyée par Zeus avant de donner naissance à son fils et d’être finalement divinisée. L’événement que le chant rappelle est l’apparition du dieu au bord de la mer – qualifiée de stérile, sans doute au sens où, au contraire de la terre, elle est impossible à travailler et à cultiver.

L’épiphanie du dieu est des plus charmantes : Dionysos apparaît sous les traits d’un avenant jeune homme ; ses sombres cheveux flottent librement au vent ; un éclatant manteau rouge foncé posé sur ses épaules musclées lui confère un aspect majestueux. Il est là, sans bouger, sur un promontoire rocheux, à regarder la mer.

Voilà qu’un navire surgit sur la sombre mer – soudain comparée à la couleur du vin, symbole d’ivresse, de profondeur, de mystère et de danger. Il s’agit d’un bateau de pirates à la recherche d’un butin. Lorsqu’il voit le jeune homme sur le rivage, l’équipage est pris d’excitation : « On dirait le fils d’un roi, un de ces rois protégés par le chef des dieux, Zeus lui-même. Si on l’attrape, on pourra en retirer une belle rançon », tel est en gros ce qu’on se dit sur le pont du navire. Sans délai, les pirates passent à l’acte, s’emparent facilement du jeune homme et retournent sur leur navire, le cœur réjoui. Mais rapidement les choses se compliquent, tant leur proie s’avère étrange. Nulle corde ne tient à ses membres : à peine attachés, les liens se défont tout seul. Et le prisonnier lui-même, loin de se débattre, se laisse faire en silence, tranquillement, souriant de ses yeux sombres. Mais quel est donc ce prodige ?

Le pilote du navire est le seul à comprendre ce qui se passe : il devine que le jeune homme capturé est à vrai dire un dieu, Zeus, Apollon, Poséidon ou une autre divinité de l’Olympe ; un être bien différent, bien plus puissant que les faibles mortels qu’ils sont. Convaincu que ses coéquipiers sont en train de commettre un acte d’hubris, un acte démesuré, qui met à mal l’harmonie du monde, le pilote les exhorte à relâcher au plus vite leur proie. Sinon celle-ci ne manquera pas de se mettre en colère et de les punir en soulevant contre eux la tempête.

Mais personne n’a d’oreille pour le pilote : tout le monde est aveuglé par la cupidité et l’idée du bénéfice qu’on pourra retirer du rapt. A commencer par le capitaine. Et voilà que le seul homme lucide est contraint de courber l’échine, de se taire et d’obéir aux ordres qui sont de conduire le navire avec son équipage et le prisonnier au loin ; loin de la Grèce, vers le Sud, en Egypte, vers l’Est, à Chypre, vers le Nord, chez les Hyperboréens, et même plus loin encore, aux confins du monde. Sûr de lui, le capitaine affirme que là-bas, esseulé et effrayé, le mystérieux prisonnier finira par dévoiler son identité et dire qui sont ses amis. Et les pirates pourront alors leur réclamer une belle rançon.

Mais nous le savons : le pilote a bien raison ; il ne s’agit pas là d’un otage comme les autres…

(A suivre…)

 *

A Dionysos.
De Dionysos, fils de la très glorieuse Sémélé,.
Je me souviendrai : comment il est apparu sur le sable au bord de la mer stérile,.
Sur un promontoire avancé, semblable à un jeune homme
Dans sa première jeunesse. Sa belle chevelure sombre
Flottait tout autour de lui, et il portait sur ses fortes épaules un manteau
Pourpre. Bientôt, sur un navire au bon tillac, des hommes,
Des pirates, se sont promptement avancés sur la mer couleur de vin ;
Des Tyrrhéniens ; conduits par un mauvais destin. Le voyant,
Ils se sont mutuellement fait signe, se sont vite élancés et, l’ayant rapidement attrapé,
L’ont fait s’asseoir dans leur navire, le cœur réjoui.
Se disant qu’il était le fils d’un des rois nourrissons de Zeus,
Ils voulaient l’attacher dans des liens terribles.
Mais les liens ne le retenaient pas, les brins d’osier tombaient au loin, loin
De ses mains et de ses pieds ; alors que lui restait tranquille, souriant
De ses yeux sombres. S’en apercevant, le pilote
A aussitôt exhorté ses compagnons et fait entendre ces paroles :
« Infortunés, quel dieu voulez-vous attacher,
Ce dieu fort ? Même le navire bien construit ne peut le porter.
Est-ce Zeus ou Apollon à l’arc d’argent,
Ou Poséidon ? Car aux mortels périssables,
Il n’est pas semblable, mais bien plutôt aux dieux qui ont leurs demeures sur l’Olympe.
Allez, relâchons-le sur le sombre continent,
Tout de suite, et ne portez plus vos mains sur lui, de peur que, pris de colère,
Il soulève des vents terribles et un grand ouragan. »
Voilà comment il a parlé. Et voilà comment, avec d’odieuses paroles, le capitaine l’a blâmé :
« Misérable, sois attentif au vent, hisse la voile du navire en même temps
Que tu tiens tous les cordages ; les hommes s’occuperont du prisonnier.
J’espère qu’il arrivera en Egypte, à Chypre,
Chez les Hyperboréens, ou plus loin encore ; et qu’il dira finalement
Qui sont ses amis, quels sont ses biens
Et ses frères ; car c’est une divinité qui l’a jeté entre nos mains. »

*

Εἰς Διόνυσον
Ἀμφὶ Διώνυσον Σεμέλης ἐρικυδέος υἱὸν
μνήσομαι, ὡς ἐφάνη παρὰ θῖν’ ἁλὸς ἀτρυγέτοιο
ἀκτῇ ἐπὶ προβλῆτι νεηνίῃ ἀνδρὶ ἐοικὼς
πρωθήβῃ· καλαὶ δὲ περισσείοντο ἔθειραι
κυάνεαι, φᾶρος δὲ περὶ στιβαροῖς ἔχεν ὤμοις
πορφύρεον· τάχα δ’ ἄνδρες ἐϋσσέλμου ἀπὸ νηὸς
ληϊσταὶ προγένοντο θοῶς ἐπὶ οἴνοπα πόντον
Τυρσηνοί· τοὺς δ’ ἦγε κακὸς μόρος· οἱ δὲ ἰδόντες
νεῦσαν ἐς ἀλλήλους, τάχα δ’ ἔκθορον, αἶψα δ’ ἑλόντες
εἷσαν ἐπὶ σφετέρης νηὸς κεχαρημένοι ἦτορ.
υἱὸν γάρ μιν ἔφαντο διοτρεφέων βασιλήων
εἶναι, καὶ δεσμοῖς ἔθελον δεῖν ἀργαλέοισι.
τὸν δ’ οὐκ ἴσχανε δεσμά, λύγοι δ’ ἀπὸ τηλόσ’ ἔπιπτον
χειρῶν ἠδὲ ποδῶν· ὁ δὲ μειδιάων ἐκάθητο
ὄμμασι κυανέοισι, κυβερνήτης δὲ νοήσας
αὐτίκα οἷς ἑτάροισιν ἐκέκλετο φώνησέν τε·
Δαιμόνιοι τίνα τόνδε θεὸν δεσμεύεθ’ ἑλόντες
καρτερόν; οὐδὲ φέρειν δύναταί μιν νηῦς εὐεργής.
ἢ γὰρ Ζεὺς ὅδε γ’ ἐστὶν ἢ ἀργυρότοξος Ἀπόλλων
ἠὲ Ποσειδάων· ἐπεὶ οὐ θνητοῖσι βροτοῖσιν
Bἴκελος, ἀλλὰ θεοῖς οἳ Ὀλύμπια δώματ’ ἔχουσιν.
ἀλλ’ ἄγετ’ αὐτὸν ἀφῶμεν ἐπ’ ἠπείροιο μελαίνης
αὐτίκα, μηδ’ ἐπὶ χεῖρας ἰάλλετε μή τι χολωθεὶς
ὄρσῃ ἀργαλέους τ’ ἀνέμους καὶ λαίλαπα πολλήν.
Ὣς φάτο· τὸν δ’ ἀρχὸς στυγερῷ ἠνίπαπε μύθῳ·
δαιμόνι’ οὖρον ὅρα, ἅμα δ’ ἱστίον ἕλκεο νηὸς
σύμπανθ’ ὅπλα λαβών· ὅδε δ’ αὖτ’ ἄνδρεσσι μελήσει.
ἔλπομαι ἢ Αἴγυπτον ἀφίξεται ἢ ὅ γε Κύπρον
ἢ ἐς Ὑπερβορέους ἢ ἑκαστέρω· ἐς δὲ τελευτὴν
ἔκ ποτ’ ἐρεῖ αὐτοῦ τε φίλους καὶ κτήματα πάντα
οὕς τε κασιγνήτους, ἐπεὶ ἡμῖν ἔμβαλε δαίμων.

Hymne homérique à Dionysos, 1-31.

*

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