A qui obéir ?

REGARDEZ, LE SAGE SPÉCIALISTE DES VIEILLES ORIGINES ne peut se contenter de sa sagesse historique : il finit toujours par se mettre en quête des sources de l’avenir ; il se met toujours à la recherche de nouvelles origines. Etudier le passé pour lui-même ne mène à rien ; l’étude de l’histoire n’a d’intérêt que si elle est utile pour l’avenir.

Ô mes frères, la période de crise que nous vivons est annonciatrice de grands changements. De nouveaux peuples vont bientôt émerger ; de nouvelles sources bientôt jaillir et gronder vers le bas, et se ressourcer dans de nouvelles profondeurs, aujourd’hui négligées.

Certes, le tremblement de terre que nous vivons détruit et ensevelit beaucoup de fontaines et de puits, provoque quantité de soif et d’épuisement, mais fait en même temps venir à la lumière un grand nombre de forces et de secrets cachés.

Le tremblement de terre a du bon : il révèle de nouvelles sources. En détruisant de vieux peuples, il permet à de nouveaux peuples de se dégager.

Et celui qui, dans cette situation, s’écrie : « Regardez, il y a ici une fontaine, un puits insoupçonné pour de nombreux assoiffés ! Un cœur pour de nombreuses personnes ardentes, nostalgiques ! Une volonté pour de nombreux abouliques, de nombreux outils inutilisés ! », celui-là verra se rassembler autour de lui tout un peuple ; quantité de gens se diront que ça vaut la peine de regarder, d’essayer, de goûter ce qu’il indique et propose.

Et voici ce qu’on essaie de faire alors autour de et avec lui : trouver qui peut commander – et qui doit obéir ! Qui est fait pour donner des ordres – et qui pour les exécuter ! Ah, quelles longues recherches ne fait-on pas ! Quels longs conseils et quels enseignements ne suit-on pas ! Et combien d’échecs n’essuie-t-on pas ! Et combien de nouveaux essais n’est-on pas amené à faire !

Mais écoutez mon enseignement : toute société humaine n’est rien d’autre qu’un essai, une tentative, une longue recherche ; une longue quête pour trouver celui qui est né pour commander, pour guider les autres comme il faut !

Un essai, une tentative, ô mes frères ! Et non pas un « contrat », un « traité », ou encore un « accord » ! Allez, mes frères, brisez, brisez-moi ceux qui prononcent de telles paroles, les cœurs mous, les gens de demi cœurs et de demi-mesure, les moitiés-moitiés qui partout veulent faire des compromis. N’écoutez que les gens entiers qui sont comme nous portés par le jeu des forces productrices et destructrices de la vie – et qui cherchent comme nous à se dépasser eux-mêmes en direction de celui qui commande et guide l’homme vers le surhomme !

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Traduction littérale

Celui qui est devenu sage en matière de vieilles origines, voyez, il va finalement chercher des sources de l’avenir et de nouvelles origines. –

Ô mes frères, dans pas longtemps, de nouveaux peuples vont jaillir et de nouvelles sources vont bruisser vers le bas dans de nouvelles profondeurs.

En effet, le tremblement de terre – il ensevelit beaucoup de fontaines, il produit beaucoup d’épuisement : il élève aussi des forces et des secrets intérieurs à la lumière.

Le tremblement de terre révèle de nouvelles sources. Dans le tremblement de terre de vieux peuples jaillissent de nouvelles sources.

Et celui qui s’écrie alors : « Voyez, ici une fontaine pour de nombreux assoiffés, Un cœur pour de nombreux nostalgiques, Une volonté pour de nombreux outils » : – autour de lui se rassemble un peuple, c’est-à-dire : de nombreux qui font des essais.

Qui peut commander, qui doit obéir – cela est ici essayé ! Ah, avec quelles longues recherches, longs conseils et échecs et enseignements et nouveaux essais !

La société humaine : elle est un essai, voilà ce que j’apprends, – une longue recherche : mais elle cherche celui qui commande ! –

– un essai, ô mes frères ! Et non pas un « contrat » ! Brisez, brisez-moi de telles paroles de cœurs mous, de demi cœurs et de demi !

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Il s’agit ci-dessus de la partie 25 (sur 30) du douzième chapitre (« De vieilles et de nouvelles tables ») de la « Troisième partie » des « Discours de Zarathoustra » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement réinvesti (en haut) et traduction littérale (en bas). Les précédents chapitres se trouvent ici.

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