Dansons et rions !

cochon_2Les sept sceaux-6SI MA VERTU EST CELLE D’UN DANSEUR athlétique et léger, et non celle d’un penseur lourd, ventripotent et malhabile… Et si, quand la plupart se vautre dans la boue, j’ai souvent eu l’occasion de bondir des deux pieds dans des ravissements inespérés, dans des enchantements d’une intensité rare, couleur or et émeraude…

Si, loin de tout sérieux, de toute lourdeur, c’est la légèreté et le rire qui se trouvent au fond de mon être… Si ma méchanceté elle-même est une méchanceté qui rit, une méchanceté qui se sent partout chez elle, aussi bien dans les ronces des coteaux de roses que dans les haies des fleurs de lys… Si rien ne l’arrête, pas même les piquants et les murs qui accompagnent les plus grandes beautés et les meilleures odeurs…

– Car vous le savez bien : le rire est rassembleur, unificateur et purificateur. Dans le rire, tout ce qui est méchant se trouve certes rassemblé sous un même chapeau, ne fait certes plus qu’un, mais se trouve à la fois sanctifié et libéré de son poids et de sa peine ; et ce par sa propre béatitude, par sa propre jubilation… Le rire est tout compte fait garant de l’affirmation absolue de toute vie et de toute mort, soit de toute existence en tout ce qu’elle contient d’agréable et de désagréables…

Et si mon alpha et mon oméga est de tout mettre en œuvre pour rendre léger ce qui est lourd… Si, du début à la fin, je cherche à faire de tout corps un corps de danseur, de tout esprit un esprit libre, un esprit d’oiseau…  Et telle est bien ma vérité, tel est bien mon alpha et mon oméga ! –

Si ma vertu et mes ravissements sont bien ceux d’un danseur athlétique, si ma méchanceté est bien rieuse, rassembleuse et purgatrice, si elle donne bien des ailes et libère l’esprit de ses chaînes et de sa lourdeur, ô comment pourrais-je ne pas être désireux d’éternité, sensuellement, sexuellement attiré par le nuptial anneau des anneaux, l’anneau de l’éternel retour du même ?

J’ai beau avoir cherché, jamais je n’ai trouvé la femme avec qui je voulais faire des enfants ; jamais je n’ai aimé de femme au point de vouloir, avec elle, perpétuer mon genre et faire des enfants ; ne serait-ce…, ne serait-ce avec cette seule femme que j’aime de fond en comble : l’éternité. Il n’y a qu’avec elle, qu’avec l’éternité et pour l’éternité que je veux faire des enfants, que je veux perpétuer mon genre et donner naissance à de beaux enfants, de beaux enfants remplis de force, de maîtrise et de joie. Car je t’aime, ô éternité ! Et avec toi et pour toi je veux tout faire ; avec toi et pour toi je veux produire le meilleur, avec toi et pour toi je veux avancer en direction du surhomme, je veux contribuer à la naissance du surhomme !

Car je t’aime, ô éternité !

***

Traduction littérale

PrixdelausanneSi ma vertu est la vertu d’un danseur, et si j’ai souvent bondi des deux pieds dans des ravissements d’or-émeraude :

Si ma méchanceté est une méchanceté qui rit et se sent chez elle parmi les coteaux de roses et les haies de lys :

– car dans le rire tout le méchant est ensemble, mais sanctifié et libéré par sa propre béatitude : –

et si c’est là mon alpha et oméga que tout ce qui est lourd devienne léger, tout corps danseur, tout esprit oiseau : et en vérité, tel est mon alpha et oméga ! –

ô comment ne devrais-je pas être désireux d’éternité et du nuptial anneau des anneaux, – l’anneau du retour ?

Jamais encore je n’ai trouvé la femme dont je voudrais des enfants, ne serait-ce cette femme que j’aime : car je t’aime, ô éternité !

Car je t’aime, ô éternité !

***

Il s’agit ci-dessus de la sixième et avant-dernière partie « Des sept sceaux » (seizième chapitre) de la « Troisième partie » des « Discours de Zarathoustra » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement réinvesti (en haut) et traduction littérale (en bas)Les précédents chapitres et parties se trouvent ici.

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