Archive par mois

février 2016

Rieur de vérité

il_570xN.774877867_m2ocDix-huitième leçon du prêche de sagesse tragique que Zarathoustra distille à ses hôtes, les hommes supérieurs, dans sa caverne perchée dans les montagnes. | Cette couronne de rieur, couronne de rosaire, de roses, symbole de ma dignité, de mon pouvoir, de ma royauté, je me la suis moi-même mise sur la tête. Oui, parce que je n’ai trouvé personne d’assez fort pour ça, j’ai moi-même célébré, sanctifié mon rire. Zarathoustra le danseur, Zarathoustra le léger, qui fait des signes non pas avec ses mains, ses pieds, mais avec ses ailes. Zarathoustra qui est toujours prêt à s’envoler, qui fait signe à tous ceux qui volent, à tous ceux qui sont du genre des oiseaux. Zarathoustra qui est toujours prêt, toujours disponible. Zarathoustra le béat ; Zarathoustra le bienheureux, le sans souci, l’espiègle. Zarathoustra le diseur de vérité, Zarathoustra le rieur de vérité : non pas de la vérité fixe, toute claire, bonne et belle, mais de la vérité comme processus productif et cohérent de dévoilement du jeu de voiles de la vie. Zarathoustra le rieur de vérité : non pas l’impatient, l’absolu, mais celui qui aime le mouvement, les écarts, les sauts, les sauts de côté. Oui, faute de mieux, je me suis moi-même mis cette couronne sur la tête. Telle est la dix-huitième des vingt leçons de Zarathoustra. *** Traduction littérale Cette couronne de rieur, cette couronne de rosaire : cette couronne, je me la suis moi-même mise sur la tête, j’ai moi-même sanctifié mon rire. Je n’ai trouvé nulle autre personne aujourd’hui assez forte pour ça. Zarathoustra le danseur, Zarathoustra le léger, qui fait des signes avec les ailes, le prêt au vol, qui fait signe à tous les oiseaux, prêt et disponible, le béatement sans souci. Zarathoustra le diseur de vérité, Zarathoustra le rieur de vérité, pas l’impatient, pas l’absolu, celui qui aime les sauts et les sauts de côté ; moi-même je me suis mis cette couronne sur la tête. *** Il s’agit ci-dessus de la dix-huitième partie du treizième chapitre de la « Quatrième et dernière partie » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement réinvesti (en haut) et traduction littérale (en bas). Les précédents chapitres et parties se trouvent ici. Musique : Keith Jarrett, Köln Concert, 1975.
Read More

Intelligence

banquiersC’est un fait incontestable : notre monde est dominé par les êtres intelligents. Parmi eux, il y a des grands hommes, bien sûr, grandement avisés et hautement sensibles : des êtres sages, créateurs, justes, équilibrés, fermes, tendres, tout simplement délicieux. Des exemples, des maîtres, qui ont toujours raison, qui font toujours ce qu’il faut comme il faut. Mais la plupart des dominateurs n’est pas comme ça. Chez la plupart, l’intelligence est séparée de la sensibilité : abstraite des sens, leur raison est une drôle de mécanique binaire, d’ordre logico-rationnel. Si ces hommes réussissent dans leurs entreprises, s’ils sont comme des poissons dans l’eau, dans les structures de notre monde, c’est qu’ils ne s’embarrassent guère de leurs sens, parce que « les problèmes sont là pour être réglés », parce que, à bien y regarder, « il n’y a pas de problèmes, mais que des solutions ». Parce que leurs doutes, leurs craintes ne font pas long feu. Parce que, à force, ils sont en phase avec les lois, les règles, les exigences du système. Et ils triomphent d’autant plus facilement que, dès le début, ils se concentrent sur leur intelligence ; dès leur plus jeune âge, ils se donnent pour améliorer leur raison ; et par là leur volonté d’avoir raison ; quitte à simplifier les choses, quitte à négliger leur sensibilité, quitte à écraser autrui. Au final, aussi brillants, importants et reconnus qu’ils soient, ce sont de petits hommes, intelligents par défaut de sensibilité : des opportunistes, des brutes injustes, déséquilibrées, automatisées, dangereuses pour la bonne évolution de la vie. Les meilleurs d’entre eux participent à la fabrication technique de notre monde ; les moins bons à son évolution. Alors que les pas intelligents du tout sont destinés à exécuter les ordres. Sans le savoir, tous alimentent la même immense roue aveugle, qui certes aspire à l’idéal, au progrès, à la liberté, à la facilité, au confort de tout un chacun mais qui, au fond, écrase l’humanité en ses ressources sensibles.
Read More

Journaliste ET spécialiste ?

Nelson MonfortPENSÉE ATHLÉTIQUE | La plupart des retransmissions sportives sont animées par un commentateur accompagné d’un consultant, dans le rôle du spécialiste. Dans l’interview du Bund du 5 février 2016, le désormais nonagénaire pionnier du journalisme sportif Karl Erb critique l’évolution quantitative du sport. Il se demande : le journaliste ne devrait-il pas lui-même être un spécialiste ? A l’époque, un seul journaliste était au commentaire. Aujourd’hui, comme les caméras et les chiffres, les reporters se multiplient. En cabine, ils sont toujours deux : un journaliste et un spécialiste, « qui volontiers se coupent la parole » sourit Karl Erb. Pourquoi ? « Parce que les rôles ne sont pas bien définis ». Erb n’a rien contre la présence d’un expert, ancien athlète qu’on interroge sur ses expériences, mais il souhaite que ces interventions ne se fassent pas pendant les moments cruciaux ! Ironique, il demande : « Ne peut-on pas attendre d’un journaliste sportif de métier qu’il soit lui-même un expert ? » Pour un match de foot : 30 caméras, deux reporters en cabine, un autre sur le terrain, et trois autres encore en studio, n’est-ce pas là pure démesure ? Et Erb de conclure : « Mais je suis peut-être juste trop vieux, le monde d’aujourd’hui veut apparemment cette démesure ». COMMENTAIRE : deux commentateurs valent mieux qu’un si l’un des deux est mauvais : soit qu’il n’y connaît rien, soit qu’il raconte n’importe quoi, qu’il a un ton, un timbre ou un rythme agaçant, soit encore qu’il multiplie les fautes d’observation, de contenus, de langue, etc. Qu’importe finalement qu’il s’agisse du journaliste ou du spécialiste… PERSEPECTIVE : si le journaliste et le spécialiste sont mauvais – ce qui arrive, aussi dans notre sport –, nous avons toujours la possibilité de changer de chaîne ou de couper le son. Ou alors d’abandonner notre appareil et aller voir l’événement en question sur place… * Karl Erb | Un pionnier Le connaisseur de sport et écrivain est né en 1926 à Belp. Suite à la deuxième guerre mondiale, il compte parmi les premiers journalistes sportifs à faire de leur passion leur profession. Dès 1953, il travaille comme chef de presse et speaker de manifestations sportives nationales et internationales (CM de foot 1954 à Berne, CE d’athlétisme 1954 à Berne, CM de ski 1974 à St-Moritz, etc). Entre 1961 et 1983, il commente le ski, la formule 1, l’athlétisme, l’équitation et le cyclisme à la TV. Il était membre du Comité olympique suisse et actif dans la Commission de sélection du Comité national du sport d’élite. Depuis 1993, Erb (aujourd’hui presque nonagénaire) vit au bord du Lac Majeur, d’où il suit le sport « avec grande attention et beaucoup de passion ».
Read More

Danser sur l’abyme

buttonDix-septième leçon du prêche de sagesse tragique que Zarathoustra distille à ses hôtes, les hommes supérieurs, dans sa caverne perchée dans les montagnes. | Jamais les bonnes choses ne se déroulent sans encombre ; jamais elles ne réussissent en allant tout droit. Toute réussite se joue hors des sentiers battus, passe par des chemins de traverse. A l’approche de leur bonheur, comme les chats, les bonnes choses font le gros dos, elles ronronnent intérieurement. Toute réussite a les pieds ailés, est légère – et a l’âme rieuse. Le pas lui-même de quelqu’un révèle s’il chemine sur sa voie ou non : regardez comme je marche ! Mais regardez bien : quiconque s’approche de son but, quiconque est sur le point de parvenir à son sommet, il ne marche plus : il vole, il danse. Et voyez, il est vrai : je suis devenu quantité de choses ; quantité de choses, mais pas une statue ; tout sauf une statue. Comme je suis loin d’être là, debout, raide, engourdi, pétrifié comme une colonne ! Oui, j’aime le mouvement, la souplesse, la marche rapide, le vol, la danse. Et si la terre est basse et cruelle ; et si elle est remplie de marais et d’épaisse et étouffante tristesse, seul celui qui a les pieds légers est en mesure de courir par-dessus la vase ; lui seul est en mesure d’y danser, de patiner en toute grâce sur la glace bien lisse. Elevez vos cœurs, mes frères, élevez-les bien haut ! Plus haut ! Et n’oubliez pas non plus les jambes ! Elevez aussi vos jambes, vous autres excellents danseurs ! Et mieux encore : sachez les lever si haut et si bien, vos jambes que, loin de tomber, vous soyez encore en mesure de tenir debout et continuer à danser sur votre tête ! Telle est la dix-septième des vingt leçons de Zarathoustra. *** Traduction littérale Toutes les bonnes choses s’approchent de travers de leur but. Comme les chats, elles font le gros dos, elles ronronnent intérieurement face à leur proche bonheur, – toutes les bonnes choses rient. Le pas révèle si quelqu’un avance déjà sur sa voie : regardez-moi donc marcher ! Mais quiconque s’approche de son but, celui-là danse. Et, en vérité, je ne suis pas devenu statue, je ne suis pas encore là, debout, raide, engourdi, pétrifié, une colonne ; j’aime la marche rapide. Et s’il y a sur terre également des marais et une épaisse tristesse : celui qui a les pieds légers court encore par-dessus la vase et danse comme sur de la glace balayée. Elevez vos cœurs, mes frères, haut ! Plus haut ! Et n’oubliez pas non plus les jambes ! Elevez aussi vos jambes, vous autres bons danseurs, et mieux encore : tenez aussi debout sur la tête ! *** Il s’agit ci-dessus de la dix-septième partie du treizième chapitre de la « Quatrième et dernière partie » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement réinvesti (en haut) et traduction littérale (en bas). Les précédents chapitres et parties se trouvent ici. Musique : Keith Jarrett, Köln Concert, 1975.  
Read More

Sélection des meilleurs

Sélection des meilleursDès notre enfance, durant tout notre parcours scolaire et chemin de vie, nous sommes sélectionnés, stimulés à progresser, à devenir toujours plus intelligents, plus efficaces, plus riches, plus puissants. Jour après jour, nous sommes amenés à renforcer notre raison, à comprendre les rouages de notre monde, pour y évoluer, y jouer au mieux et nous élever dans la hiérarchie professionnelle et sociale en direction de l’idéal de richesse, de bonheur, de santé, de beauté et de raison. Et voilà que nous devenons effectivement toujours meilleurs, toujours plus forts, plus riches, plus beaux, plus efficaces, plus impliqués, plus justes dans la machinerie socio-professionnelle. Et nous voilà bel et bien toujours mieux considérés par nos semblables, entourés de plus de confort, au bénéfice d’une plus grande aisance. Nous voilà à jouir de toujours plus d’avantages et de pouvoir matériels, techniques et autres facilités et assurances de tout genre. Mais nous voilà en même temps toujours moins sensibles, moins équilibrés, plus indifférents, plus dangereux et plus injustes en matière de perception, de composition, de rencontre et de partage des rythmes, des tensions, des couleurs et des nuances qui font la ressource même de la vie.
Read More

Le sport noyé sous les chiffres ?

fedxxx-miPENSÉE ATHLÉTIQUE | Les progrès techniques impliquent une prolifération d’informations statistiques. Dans l’interview du Bund du 5 février dernier, le désormais nonagénaire pionnier du journalisme sportif Karl Erb critique cette évolution. En réactionnaire ? En visionnaire ? ATHLE.ch revient sur quelques-uns de ses propos. Les « stats » empêchent-elles de voir l’essentiel ? En prenant pour exemple les courses de ski, Karl Erb se plaint du grouillement de chiffres, de temps intermédiaires, d’écarts, de vitesses et autres statistiques. Les reporters eux-mêmes sont submergés d’informations. Tellement qu’ils ne voient plus l’ensemble de ce qui se passe et sont incapables d’interpréter les phénomènes, les mouvements, les difficultés, les exploits, les échecs qui se jouent. Au point d’être amenés à commenter bêtement les « stats », et passer à côté de l’essentiel. Exemple de remarque journalistique lors d’une descente féminine de ski alpin : « Son retard est devenu plus grand, il faut qu’elle mette les gaz ! » Erb de se demander : « Mais bon Dieu : comment une skieuse peut-elle mettre les gaz ? » COMMENTAIRE : en ne se concentrant que sur les chiffres, les faits objectifs, les journalistes et par suite les téléspectateurs ont tendance à manquer l’essence même du sport : la quête, au meilleur niveau, de la bonne tension, du bon relâchement, du bon équilibre qui permet la fluidité, l’efficacité, le succès et la beauté des corps. PERSPECTIVE : le seul intérêt statistique a pour conséquence une quête effrénée de chronos, de distances, de records. Au risque d’un abrutissement des animateurs, des (télé)spectateurs, des lecteurs et… finalement des sportifs eux-mêmes, sans parler de leur entourage.  
Karl Erb | Un pionnier Le connaisseur de sport et écrivain est né en 1926 à Belp. Suite à la deuxième guerre mondiale, il compte parmi les premiers journalistes sportifs à faire de leur passion leur profession. Dès 1953, il travaille comme chef de presse et speaker de manifestations sportives nationales et internationales (CM de foot 1954 à Berne, CE d’athlétisme 1954 à Berne, CM de ski 1974 à St-Moritz, etc). Entre 1961 et 1983, il commente le ski, la formule 1, l’athlétisme, l’équitation et le cyclisme à la TV. Il était membre du Comité olympique suisse et actif dans la Commission de sélection du Comité national du sport d’élite. Depuis 1993, Erb (aujourd’hui presque nonagénaire) vit au bord du Lac Majeur, d’où il suit le sport « avec grande attention et beaucoup de passion ».
Read More

Pour le rire

jesus rieurSeizième leçon du prêche de sagesse tragique que Zarathoustra distille à ses hôtes, les hommes supérieurs, dans sa caverne perchée dans les montagnes. | Voulez-vous que je vous dise quel a été jusqu’ici sur terre le plus grand pêché, le plus grand crime ? C’est une parole : une parole de malédiction, proférée il y a longtemps, très longtemps, contre la vie ; parole qui a fait date et qui imprègne aujourd’hui encore notre vision du monde. C’est la parole de celui qui a dit : « Malheur à ceux qui rient ici-bas ! » Mots de Jésus, défenseur des pauvres, des faibles, des opprimés ; mots de Jésus, le fondateur de notre tradition, mort sur la croix et ressuscité pour prouver l’existence de l’au-delà, de l’idéal. Mais comment a-t-il pu dire une chose pareille ? Comment a-t-il pu souhaiter le malheur des gens qui rient ? N’a-t-il pas lui-même trouvé de raisons de rire sur terre ? A-t-il mal cherché ? Etait-il trop sérieux, trop adulte, trop moral ? Regardez autour de vous : les êtres purs, les enfants trouvent partout toujours des raisons de rire. S’il en a été ainsi, s’il n’a pas trouvé de raisons de rire, s’il a condamné tous ceux qui rient, c’est qu’il n’a pas assez aimé ! Oui, le fils du Dieu amour qu’il prétend être n’a pas assez aimé ; sinon il nous aurait aussi aimés nous, nous autres qui rions volontiers ! Mais au lieu de nous aimer, il nous a détestés et nous a maudits : aux antipodes de son paradis, promis aux gens sérieux, tristes, il nous a, à nous, promis des terribles hurlements et grincements de dents. Mais est-ce bien juste de directement maudire là où on n’aime pas ? Doit-on toujours choisir ceci ou cela, classer le monde dans des catégories binaires ? Cela me semble de bien mauvais goût. Mais c’est ce qu’il a fait, cet inconditionnel, cet absolutiste. Pourquoi ? Parce qu’il venait des pauvres, des faibles, de la populace, à qui on a appris à tout regarder et juger à l’aune de l’au-delà. Tout le problème est là, et seulement là : Jésus n’aimait pas assez. Sinon il se serait moins fâché contre nous, contre nous qui rions, qui nous moquons de lui. Son amour était trop petit ! Car qu’on se le dise : contrairement à ce qu’on croit, tout grand amour ne veut pas l’amour en retour, ne veut pas que l’amour en retour : il veut bien plus que ça : tout grand amour veut la vie ! Ecartez-vous du chemin de tous les inconditionnels, de tous les absolus qui se revendiquent d’un monde idéal ! C’est un genre d’hommes dégénérés : pauvres, malades, fruits de la populace telle que notre monde la fabrique pour mieux la manipuler, l’automatiser, l’utiliser. Ils regardent cette vie gravement, avec sérieux, à partir de leurs idées : ils ont le regard mauvais pour cette vie, pour le mystérieux jeu de l’existence, les infinies richesses de cette terre. Ecartez-vous du chemin de tous les inconditionnels, de tous les absolus qui se revendiquent d’un monde idéal ! Ils ont les pieds pesants et les cœurs lourds : ils n’entendent rien à la musique de la vie ; ils ne savent pas danser, ils ne savent pas vivre ; tout ce qu’ils font c’est juger, chercher à se rassurer, fuir dans leurs idées. Ils se révoltent sans cesse : ils mettent tout en œuvre pour rendre le monde meilleur, plus conforme à leur idéal. Ils voudraient que la terre soit plus légère, et aussi leurs pieds, leurs cœurs. Ils voudraient qu’il y ait moins de problèmes, moins de difficultés. Mais comment, au vu de la situation, de leur manière de faire, de vivre, de condamner le rire, comment la terre voudrait-elle leur être légère, à eux les faibles, les opprimés, les fossoyeurs de la vie ! Seizième des vingt leçons de Zarathoustra. *** Traduction littérale Quel a été à ce jour ici sur terre le plus grand pêché ? N’était-ce pas la parole de celui qui a dit : « Malheur à ceux qui rient ici-bas ! » N’a-t-il lui-même pas trouvé de raisons de rire sur terre ? C’est qu’il a mal cherché. Un enfant trouve ici encore des raisons. Il –n’a pas assez aimé : sinon il nous aurait aussi aimés nous, les rieurs ! Mais il nous a détestés et s’est moqué de nous, il nous a promis des hurlements et des claquements de dents. Mais doit-on directement maudire où on n’aime pas ? Cela – me semble de mauvais goût. Mais c’est comme ça qu’il a fait, cet absolu. Il venait de la populace. Et lui-même n’aimait seulement pas assez : sinon il se serait moins fâché qu’on ne l’aime pas. Tout grand amour ne veut pas l’amour : – il veut plus. Ecartez-vous du chemin de tous ces absolus ! C’est un genre pauvre et malade, un genre populacier : ils regardent cette vie gravement, ils ont le regard mauvais pour cette terre. Ecartez-vous du chemin de tous ces absolus ! Ils ont les pieds pesants et les cœurs lourds : – ils ne savent pas danser. Comment la terre voudrait-elle leur être légère ! *** Il s’agit ci-dessus de la seizième partie du treizième chapitre de la « Quatrième et dernière partie » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement réinvesti (en haut) et traduction littérale (en bas). Les précédents chapitres et parties se trouvent ici. Musique : Keith Jarrett, Köln Concert, 1975.
Read More

Nous comprendre ?!

laborit-5Selon Henri Laborit, médecin et biologiste du comportement, toute une socio-culture inconsciente guide dès notre naissance chacun de nos actes. L’ensemble de notre personnalité est bâtie sur un bric-à-brac de jugements de valeurs, de préjugés, de lieux communs socio-culturels qui, à mesure qu’on avance en âge, deviennent de plus en plus rigides et sont de moins en moins remis en question. Nous sommes ainsi la proie d’une drôle de volonté de puissance qui, loin de chercher la maîtrise de soi, cherche inconsciemment la puissance sur autrui : automatisation socio-culturelle des individus, de leur imaginaire, de leurs désirs, de leurs pensées, de leurs réflexes. Au moindre enlèvement d’une pièce, tout l'édifice s'écroule. On découvre l'angoisse, qui ne recule devant aucun mensonge, aucun acte de violence pour préserver le tout. Tant qu’on n’aura pas compris et diffusé à large échelle comment fonctionne notre cerveau, comment on l’utilise, tant qu’on n’aura pas dévoilé et surmonté le fait qu’il y va toujours de dominer l’autre, il y a peu de chances que les choses changent. Henri Laborit à la fin de Mon oncle d’Amérique d’Alain Resnais (1980) : [1h56’11-1h58’08]
— L'inconscient constitue un instrument redoutable non pas tellement par son contenu refoulé, refoulé parce que trop douloureux à exprimer, car il serait « puni » par la socioculture, mais, par tout ce qui est, au contraire, autorisé et quelquefois même « récompensé » par cette socioculture, et qui a été placé dans son cerveau depuis sa naissance. Il n'a pas conscience que c'est là, et pourtant c'est ce qui guide ses actes. C'est cet inconscient-là, qui n'est pas l'inconscient freudien, qui est le plus dangereux. En effet, ce qu'on appelle la personnalité d'un homme, d'un individu, se bâtit sur un bric-à-brac de jugement de valeurs, de préjugés, de lieux communs qu'il traîne et qui, à mesure que son âge avance, deviennent de plus en plus rigide et qui sont de moins en moins remis en question. Et quand une seule pierre de cet édifice est enlevée tout l'édifice s'écroule. Il découvre l'angoisse. Et cette angoisse ne reculera ni devant le meurtre pour l'individu, ni devant le génocide ou la guerre pour les groupes sociaux pour s'exprimer. On commence à comprendre par quel mécanisme, pourquoi et comment, à travers l'histoire et dans le présent se sont établi des échelles hiérarchiques de dominance. Pour aller sur la lune, on a besoin de connaître les lois de la gravitation. Quand on connaît ces lois de la gravitation, ça ne veut pas dire qu'on se libère de la gravitation. Ça veut dire qu'on les utilise pour faire autre chose. Tant que l'on n'aura pas diffusé très largement à travers les hommes de cette planète la façon dont fonctionne leur cerveau, la façon dont ils l'utilisent, tant qu'on n'aura pas dit que, jusqu'ici, ça a toujours été pour dominer l'autre, il y a peu de chances qu'il y ait quelque chose qui change.
Read More

Sport : argent et puissance ?

russi-originalL’argent et le pouvoir sont-ils devenus les seuls raisons d’être des dirigeants sportifs ? Dans une interview dans Le Bund du 5 février dernier, le désormais nonagénaire pionnier du journalisme sportif Karl Erb critique l’évolution du sport. Ces prochains mardis, ATHLE.ch revient sur quelques-uns de ses propos. Réactionnaire ? Visionnaire ? Dans le premier épisode, il témoigne de son inquiétude vis-à-vis des fédérations sportives. A propos de l’état du sport suisse, le reporter de légende Karl Erb affirme s’inquiéter surtout « de la situation dans les fédérations et des manières de faire des fonctionnaires ». Plus que de pointer la multiplication des scandales – dans le football, le cyclisme, l’athlétisme –, Erb relève un problème plus large : il y va selon lui, dans le sport en général, de moins en moins de servir une cause, d’exercer une fonction, que de gagner de l’argent et du pouvoir. COMMENTAIRE : les salariés du monde du sport ne participent-ils plus de manière authentique et productive au mouvement sportif ? Les dirigeants, fonctionnaires et autres entraîneurs ne s’engagent-ils plus pour permettre aux jeunes de s’entraîner, de se mesurer, de progresser et de s’épanouir comme athlètes et comme personnes ? Le seul intérêt des professionnels du sport est-il vraiment de se remplir les poches et de gagner en puissance et en prestige ? PERSPECTIVE : s’il est vrai que, conformément à l’évolution de notre monde, le sport est toujours davantage marqué par l’argent et la volonté de puissance, ce sont pourtant à bien y regarder toujours les passionnés, les enthousiastes, les gens de cœur qui œuvrent en son fond.
Karl Erb | Un pionier Le connaisseur de sport et écrivain est né en 1926 à Belp. Suite à la deuxième guerre mondiale, il compte parmi les premiers journalistes sportifs à faire de leur passion leur profession. Dès 1953, il travaille comme chef de presse et speaker de manifestations sportives nationales et internationales (CM de foot 1954 à Berne, CE d’athlétisme 1954 à Berne, CM de ski 1974 à St-Moritz, etc). Entre 1961 et 1983, il commente le ski, la formule 1, l’athlétisme, l’équitation et le cyclisme à la TV. Il était membre du Comité olympique suisse et actif dans la Commission de sélection du Comité national du sport d’élite. Depuis 1993, Erb (aujourd’hui presque nonagénaire) vit au bord du Lac Majeur, d’où il suit le sport « avec grande attention et beaucoup de passion ».
Read More

Rire de soi-même

rire de soi| Quinzième leçon du prêche de sagesse tragique que Zarathoustra distille à ses hôtes, les hommes supérieurs, dans sa caverne perchée dans les montagnes. Dans notre monde, plus une chose est élevée, moins elle a de chances de rencontrer du succès. Les gens préfèrent ce qui est bas, ce qui est vil, ce qui est vulgaire. Vous en savez quelque chose, vous autres hommes supérieurs : après vous être élevés au-dessus de la populace, n’avez-vous pas échoué auprès des gens ? Les gens ne vous considèrent-ils pas comme – des êtres manqués ? Qu’importe qu’il en soit ainsi. Gardez courage ! Tant de choses sont encore possibles ! Commencez par apprendre à rire ; à rire comme il faut de vous-mêmes ! Seul le rire vous donne une chance de réussir. Si vous faites la tête, si vous grondez, si vous vous révoltez, vous aurez encore moins de succès ; vous arriverez encore moins à faire passer vos idées, votre sagesse. A vrai dire, votre échec n’a rien d’étonnant : vous n’êtes qu’à moitié réussis : à moitié réussis, et à moitié brisés ! L’avenir humain – ne presse et ne pousse-t-il pas très fort en vous, entre le singe que vous étiez et le surhomme vers lequel vous cheminez ? Ce que l’homme a de plus lointain, de plus élevé, et en même temps de plus profond, de plus primitif, ce qu’il a de plus hautement stellaire, et en même temps sa plus immense force terrestre, animale : tout cela ne s’entrechoque-t-il pas dans le pot que vous êtes ? Tout cela ne travaille-t-il pas l’un contre l’autre, ne mousse-t-il pas en vous ? Rien d’étonnant à ce qu’il y ait tant de pots qui se brisent ! La tension est trop grande ! Apprenez à rire de vous-mêmes comme il faut, vous autres hommes supérieurs ! Tant de choses sont encore possibles en lâchant la pression ! Et en vérité, combien de choses ont déjà réussi ! Regardez comme cette terre est riche en petites choses réussies, bien accomplies ! Au lieu de vous plaindre, de vous révolter, disposez donc quantité de bonnes petites choses autour de vous, vous autres hommes supérieurs ! Comme le rire, leur maturité dorée vous guérira le cœur, vous donnera la bonne tension. Tout ce qui est joliment fait, tout ce qui est bien réussi, bien accompli enseigne en effet l’espoir. Telle est la quinzième des vingt leçons de Zarathoustra. *** Traduction littérale Plus une chose est élevée, plus rare est sa réussite. Vous autres hommes supérieurs, n’êtes-vous pas tous – manqués ? Qu’importe, ayez courage ! Tant de choses sont encore possibles ! Apprenez à rire de vous-mêmes comme on doit rire ! Et quoi d’étonnant à ce que vous soyez manqués et à moitié réussis, vous autres à moitié brisés ! L’avenir humain – ne presse-t-il et ne pousse-t-il pas en vous ? Le plus lointain, le plus profond, les plus hautement stellaire, la plus immense force de l’homme : tout cela ne mousse-t-il pas l’un contre l’autre dans votre pot ? Quoi d’étonnant que tant de pots se brisent ! Apprenez à rire de vous-mêmes comme il faut rire ! Vous autres hommes supérieurs, tant de choses sont encore possibles ! Et en vérité, combien de choses ont déjà réussi ! Comme cette terre est riche en petites choses accomplies, en choses bien réussies ! Disposez de bonnes petites choses autour de vous, vous autres hommes supérieurs ! Leur maturité dorée guérit le cœur. Ce qui est accompli enseigne l’espoir. *** Il s’agit ci-dessus de la quinzième partie du treizième chapitre de la « Quatrième et dernière partie » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement réinvesti (en haut) et traduction littérale (en bas). Les précédents chapitres et parties se trouvent ici. Musique : Keith Jarrett, Köln Concert, 1975.  
Read More