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mars 2021

« C’est tout autre chose ! »

Commentaire depuis les Championnats d’Europe indoor d'athlétisme à Torun, qui rappellent la cruelle beauté de la vie aujourd'hui oubliée, écrasée. La vie comme lutte terrible, avec et contre les autres, vers le plus haut niveau. Epreuve aux antipodes de notre vision du monde, qui pousse à protéger jusqu’à l’absurde les plus fragiles.

En sport, l’enjeu est de battre ses adversaires, de finir devant, de passer des tours, finalement de grimper sur le podium. Forcément, la sélection est terrible, l’apprentissage cruel. D’autant plus à l'Euro indoor d'athlétisme à Torun, où la Fédération continentale a choisi de durcir les règles du jeu en supprimant partout où c’est possible les repêchages.

« Le calcul, la tactique ne sert pas à grand-chose »
« Soit t’es fort, soit t’es mort », expliquait jeudi soir, en zone mixte, un jeune coureur de 1500 m les yeux pétillant suite à son élimination pour quelques dixièmes au premier tour. Ils étaient 12 au départ, dans sa série, comme dans les autres – et les deux premiers seulement ont passé en finale. Deux sur douze. La grande majorité éliminée. Chacun fait son possible, voire impossible. Seuls les plus forts passent. Les autres sont out. La loi du plus fort. Pas du plus riche, du plus intelligent, du plus opportuniste ou complaisant, mais du plus fort. « Le calcul, la tactique ne sert pas à grand-chose : il faut être fort, c’est tout », répond le jeune homme à la question s’il a fait une erreur. « Bien sûr, avec mon coach, on a analysé mes adversaires, on a réfléchi aux scénarios, élaboré des stratégies. Je crois avoir fait tout juste, mais… pas assez fort. A la fin, les autres allaient plus vite ».

Impressionnant comme ça joue des coudes
Le Fribourgeois Charles Devantay (SA Bulle) était lucide lui aussi après son échec sur 400 m : « Un championnat comme ça, ce n’est pas du tout ce qu’on a l’habitude de faire ». Aux Suisses, à Macolin, il a été emmené, impérial, par son copain d’adversaire Ricky Petrucciani, qu’il a mangé sur la fin. Titre, record (46"66), 5e meilleur performance suisse de tous les temps.

A Torun, c’était une autre paire de manche : « On avait décidé de partir fort pour être deuxième à la cloche, mais les autres sont partis plus fort encore ». Le Fribourgeois s’attendait à ce que ce soit la bagarre, mais pas à ce point : « C’est impressionnant comme ça joue des coudes ». Dans l’avant-dernière ligne droite, à 100 m de la fin, il a voulu reprendre Mihai Cristian Pislaru, mais impossible. Le Roumain en a remis une couche, a poussé Devantay à l’extérieur. Le champion suisse n’a pas pu passer, a dû se résoudre à se remettre derrière, avant de finalement passer dans la dernière ligne droite. Mais loin des autres. Et de la qualif. Championnat terminé, dès les séries.

Le sport dans sa version pure et dure, comme la vraie vie.

Lien vers notre média ATHLE.ch

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« Il faut moderniser ! » : injonction responsable de nos maux

Notre intelligence rationnelle met partout en œuvre toute une ingénierie pour rendre les choses plus modernes : plus adéquates à nos idées de progrès et de perfection. Résidus de notre vieille croyance platonico-chrétienne à un Dieu architecte, producteur du ciel et de la terre à partir d’un plan préétabli, idéal. Aussi, on rationalise, on planifie, on organise, on réalise – et en même temps simplifie, standardise et uniformise.

Grave erreur : rien, dans la nature, n’est le résultat d’un plan. L’intelligence que nous avons du ciel, de la terre, des montagnes, des forêts, des lacs, des animaux, des hommes, des plantes, des virus eux-mêmes n’est toujours que très partielle.

Pour comprendre vraiment les choses, vivre en paix, en bonne santé, en harmonie avec le monde, une autre intelligence est nécessaire. Une intelligence proche de ce que les Grecs ont appelé la mètis : le savoir, la sagesse pratique. Intelligence astucieuse, fluide, insaisissable et parfois déroutante qui découle de l’expérience, de la sensibilité, du bon sens – et non de la seule logique rationnelle. L’intelligence d’Ulysse en est le meilleur exemple ; Ulysse dont le brio, la justesse dépasse de loin la connaissance abstraite de nos savants.

Dans l’ignorance de la mètis, nos scientifiques, journalistes et dirigeants jouent un rôle catastrophique pour notre monde et nos vies. Par leur propension progressiste, ils rationalisent les recherches, uniformisent les méthodes, standardisent les mesures, modélisent les résultats, prédisent l’avenir – et ne cessent de se tromper, toujours et encore.

L’heure est venue d’ouvrir nos écoutilles si on ne veut pas à notre tour finir uniformisés, standardisés, en un mot… modernisés.

Conseil de lecture : James C. Scott, L’œil de l’État. Moderniser, uniformiser, détruire, La Découverte, 2020.

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