Notre intelligence rationnelle met partout en œuvre toute une ingénierie pour rendre les choses plus modernes : plus adéquates à nos idées de progrès et de perfection. Résidus de notre vieille croyance platonico-chrétienne à un Dieu architecte, producteur du ciel et de la terre à partir d’un plan préétabli, idéal. Aussi, on rationalise, on planifie, on organise, on réalise – et en même temps simplifie, standardise et uniformise.
Grave erreur : rien, dans la nature, n’est le résultat d’un plan. L’intelligence que nous avons du ciel, de la terre, des montagnes, des forêts, des lacs, des animaux, des hommes, des plantes, des virus eux-mêmes n’est toujours que très partielle.
Pour comprendre vraiment les choses, vivre en paix, en bonne santé, en harmonie avec le monde, une autre intelligence est nécessaire. Une intelligence proche de ce que les Grecs ont appelé la mètis : le savoir, la sagesse pratique. Intelligence astucieuse, fluide, insaisissable et parfois déroutante qui découle de l’expérience, de la sensibilité, du bon sens – et non de la seule logique rationnelle. L’intelligence d’Ulysse en est le meilleur exemple ; Ulysse dont le brio, la justesse dépasse de loin la connaissance abstraite de nos savants.
Dans l’ignorance de la mètis, nos scientifiques, journalistes et dirigeants jouent un rôle catastrophique pour notre monde et nos vies. Par leur propension progressiste, ils rationalisent les recherches, uniformisent les méthodes, standardisent les mesures, modélisent les résultats, prédisent l’avenir – et ne cessent de se tromper, toujours et encore.
L’heure est venue d’ouvrir nos écoutilles si on ne veut pas à notre tour finir uniformisés, standardisés, en un mot… modernisés.
Conseil de lecture : James C. Scott, L’œil de l’État. Moderniser, uniformiser, détruire, La Découverte, 2020.