« PHUSIS » EST UN TERME GÉNÉRIQUE EMPLOYÉ PAR LES ANCIENS GRECS POUR EXPRIMER CE QUE NOUS APPELONS AUJOURD’HUI LA VIE, la nature, le monde, la vérité ou encore la réalité. Mais attention : ils n’y entendent pas seulement sa partie visible, compréhensible, rationnelle, mais aussi son côté caché, obscur, mystérieux. Contrairement à notre vision objectiviste du monde, qui ne s’intéresse qu’à ce qui se montre, la phusis privilégie partout ce qui se cache – et qui rend finalement possible tout ce qui apparaît à la surface.
« Phusis » est un mot issu du grec ancien, traduit par les Romains par natura, qui a donné notre concept de nature. La phusis n’exprime toutefois pas la natura romaine, pas davantage que la nature telle que nous l’entendons aujourd’hui, opposées à la culture, à l’histoire, à la technique, etc. Apparenté au verbe nasci, qui veut dire naître, natura – et par suite nature – signifie à proprement parler les choses qui sont nées, les choses qu’on peut observer parce qu’elles sont, un beau jour, sorties du néant – dans lequel elles doivent inexorablement retourner.
Lié au verbe phuein, apparaître à la surface à partir des profondeurs cachées, phusis n’exprime pas seulement la totalité des choses visibles qui sont nées et qui doivent mourir, mais, plus largement, plus profondément, l’ensemble des choses visibles et invisibles en leur double mouvement interdépendant, en l’union de leur contraires, en leur jeu réciproque : va-et-vient cyclique et simultané d’éclosions productrices à partir des profondeurs cachées et, en même temps, de retraits destructeurs dans les sombres ressources de celles-ci.
Loin du rapport extérieur que nous entretenons habituellement au monde, l’expérience phusique considère toute chose et tout individu comme partie intégrante de la phusis, du va-et-vient perpétuel, interdépendant et synchrone des forces surabondantes à l’origine de tous les phénomènes. Forces surpuissantes de la vie – depuis la nuit des temps stabilisées, canalisées, refoulées par l’homme occidental.
L’enjeu est de les redécouvrir, de les libérer et accompagner partout en leur grande santé. Pour permettre à la vie de danser à sa guise, en-deçà et par-delà le désert nihiliste dans lequel nous vivons.