AUSSI ÉTRANGE QUE CELA PUISSE PARAÎTRE à une époque où on se détourne des dieux pour ne se fier qu’à l’homme, à la science, à la technique, sinon à soi-même, PHUSIS se met à l’écoute des puissances qui traversent toute chose et tout un chacun. Puissances qui nous dépassent et que, par suite, nous n’hésitons pas à appeler divines.
Comme la phusis elle-même est d’origine grecque, et comme nous sommes nous-mêmes portés par l’esprit grec, nous avons reconnu dans l’ancien dieu grec qu’est Dionysos le dieu de la phusis. Dionysos, dieu de la tragédie, du jeu tragi-comique de l’existence, de l’ivresse printanière, de l’oubli et du dépassement de soi. Dionysos, dieu enfant, naïf, dieu artiste de la vie et de la mort, dieu qui incarne les forces de vie à l’origine de tous les phénomènes. Dionysos, abyssal noyau générateur de tout ce qui apparaît à la surface à partir des profondeurs cachées.
Pas facile de présenter un dieu. C’est pourtant ce que visent à faire (après le « lire plus ») les trois onglets ci-dessous qui lui sont consacrés : Les Bacchantes, Témoignages sur Dionysos et La claque et autres articles sur Dionysos.
Dionysos en Grèce ancienneDionysos est le dieu de la phusis. Non pas un dieu idéal, sérieux et moral, non pas un Bon Dieu architecte du monde, mais un dieu artiste, jouant à produire et détruire sans arrière-pensée le monde en son va-et-vient tragique. Réduit au dieu du vin et de l’ivresse alcoolique dans la (non)pensée populaire, Dionysos est en Grèce ancienne le dieu des forces artistiques de vie et de mort en leur union, surabondance et équilibre propres. Comme la phusis qu’il incarne, il trouve sa sérénité en extériorisant ses forces, en maximisant ses possibilités, en se dépassant toujours soi-même. Aussi est-il le dieu de la musique de la vie en son harmonie propre.
En tant que dieu abyssal, énigmatique, qui travaille dans les profondeurs, on a tôt fait de le négliger et de le rejeter. Déjà en Grèce, on ne sait qu’en faire, notre pensée rationnelle en est dérangée, poussée à ses limites : le caractère énigmatique, problématique, incompréhensible de l’existence se fait jour en toute sa béance. Donc on le chasse. On met tout en œuvre pour expulser de la cité son côté obscur, mystérieux, inquiétant. On ne garde de lui que sa partie visible, claire, rassurante. On le coupe en deux, on l’estropie.
Dionysos ne le supporte pas. Donc il se révolte. Comment le dieu de la vie et de la mort, du clair et de l’obscur, du mystère et du logique pourrait-il souffrir qu’on le coupe en deux ? Qu’on le prive d’une moitié de lui-même ? Qu’on lui fasse perdre son harmonie tragique, son équilibre musical, qui repose dans l’union des contraires qu’il incarne ? Il ne peut faire autrement que se révolter.
Et plus il se révolte, plus on le comprend mal : plus on le réduit au dieu du vin et de toute forme d’ivresses artificielles, de l’excès, de la violence, du chaos, du mal – ce qu’il n’est à vrai dire que pour venir rétablir l’équilibre dans l’union de ses contraires. Porté par l’harmonie tragique de toute chose, musicalité qui n’a pas d’autre possibilité que de trouver toujours de nouveau son équilibre propre. Plus on valorise son côté clair, rassurant, confortable, doux et rationnel, aux dépens de son côté obscur, effrayant, inconfortable violent et irrationnel, plus il se fait violent. Il ne choisit pas : on ne déséquilibre pas sans conséquences l’harmonie de la phusis, l’équilibre de toutes choses en leur va-et-vient constant, en l’union de leur contraire. Et plus Dionysos est estropié, plus l’équilibre de la phusis est perdu, plus Dionysos fait parler sa face obscure, terrible : plus il y a de conflits, de maladies, des virus, de catastrophes, de terrorismes, d’explosion, d’implosion. Toujours pour rétablir l’équilibre, la musicalité de la vie. Pas que Dionysos aime – ou n’aime pas – ça : comme la phusis elle-même, il fait toujours ce qu’il peut, ce qu’il doit pour laisser, faire jouer au mieux le jeu de la vie. Jeu immense, insondable, dont l’homme ne peut venir à bout. S’il le faut, ça ne coûtera par contre pas grand-chose, à Dionysos, de venir à bout de l’homme.
Et nous, là au milieu, tant bien que mal, chahutés par les tensions, les déchirures, les vengeances. Il n’y a en somme que deux possibilités : soit nous entendons les forces de vies (phusiques, dionysiaques) qui nous traversent, nous nous mettons à leur écoute et leur permettons (permettons à Dionysos) de retrouver leur (son) équilibre. Soit nous faisons comme si de rien n’était, contribuons à la catastrophe.

Contrairement au Dieu chrétien qui est moral, sérieux, architecte du monde, Dionysos est un dieu enfant, qui joue à construire et détruire des mondes. Non pas un enfant capricieux, jaloux, tricheur – un adulte avant l’heure –, mais un enfant qui incarne l’ordre du monde lui-même, le va-et-vient des forces mystérieuses qui cherchent partout en même temps l’équilibre et le dépassement. En toute légèreté, sans arrière-pensée. Dionysos, dieu de la cohérence de la vie, bien éloignée de notre rationalité et de notre morale ; dieu par-delà notre vision traditionnelle, superficielle, pragmatique, idéaliste, progressiste du monde. Dionysos, personnification du règne du vivant, de son ordre, de ses ambiguïtés, de ses règles. Dionysos, dieu de la phusis.
Avec Dionysos, il s’agit de tout mettre en œuvre pour jouer le jeu de la vie. Comme dans tout jeu, il faut d’abord apprendre à en connaître les règles. Puis, à partir d’elles, ouvrir, s’ouvrir toujours davantage, aiguiser ses sens, se libérer l’esprit, expérimenter les forces de production et de destruction qui nous dépassent et enthousiasment et, si possible, se laisser porter par elles, et par là les transmettre. Non pas à coups de taloche, mais en jouant. Par des signes, des indications, par l’exemple qu’on donne. L’homme phusique use de ses pulsions comme un jardinier : il fait de soi une œuvre d’art, toute de sagesse, de légèreté, de jeu, d’équilibre, de sérénité, de dépassement, de joie. « Il y a beaucoup d’ennui à surmonter, beaucoup de sueur est nécessaire pour trouver ses couleurs, son pinceau, sa toile ! Si on n’est alors pas encore maître de son art de vivre – on sera au moins souverain de son propre atelier ». L’enjeu n’est pas des moindre : certes d’abord notre équilibre, mais finalement celui de notre entourage et par suite du monde lui-même.
Les trois onglets ci-dessous présentent le dieu et nous ouvrent à sa compréhension et à son expérimentation : Les Bacchantes, Témoignages sur Dionysos ainsi que La claque et autres articles sur Dionysos.
Evohé !