Prologue 3 Prés H4nDIONYSOS N’EST PAS ARRIVÉ SEUL À THÈBES. Il se trouve accompagné de ses suivantes, ses compagnes de voyage regroupées en ce qu’on appelle un thiase – une confrérie de fidèles réunis pour des rites ne faisant pas partie des cultes officiels de la cité. Il s’agit en l’occurrence d’un groupe de Lydiennes qui chante et danse en l’honneur de son dieu. Le chœur qu’elles forment ne se déplace pas les mains vides : il a amené avec lui des « tambourins phrygiens » ; des instruments de percussion d’origine asiatique qui sont caractéristiques en Grèce des cultes dionysiaques – notamment en raison de leur capacité à mettre en transe musiciens et auditeurs. Dionysos relève d’ailleurs qu’il en est lui-même le concepteur ; lui-même et Rhéa, divinité volontiers nommée la Mère des dieux ou Grande Mère ; généalogiquement la fille de Gaïa (la Terre) et d’Ouranos (le Ciel), l’épouse de Cronos (le roi des Titans), la mère de Zeus et donc… la grand-mère de Dionysos. Dans le Panthéon, comme dans l’ensemble des mythes grecs, tout est affaire de famille.
Or ces tambourins, il est grand temps de les brandir et de les faire retentir autour du palais du fâcheux Penthée. Dionysos s’est déjà assez étendu en discours ; il faut maintenant agir ! La cité de Thèbes et ses habitants doivent sans délai s’ouvrir à ce qui se passe : réaliser l’existence, l’importance et l’influence du dieu négligé. C’est pour ce faire que le thiase dionysiaque entonne un chant en l’honneur de son dieu ; chant rythmé par les vibrations et résonnances des tambourins. Quant à Dionysos, lui, il s’en va dans les vallons montagneux du Cithéron qui s’élèvent non loin de Thèbes ; il s’en va rejoindre les Thébaines qu’il a piquées de folie, les Thébaines dont il a fait ses bacchantes ; il s’en va participer aux chœurs qu’elles produisent là-bas.
A peine le dieu parti, le chœur des Lydiennes commence son chant, non sans renouer avec les dernières paroles de Dionysos : les voilà qui énoncent qu’elles viennent, comme le dieu qu’elles vénèrent, directement d’Asie, et plus précisément du mont Tmôlos, qui trône au-dessus des plaines de la Lydie. Elles indiquent que loin de s’être mises en marche tranquillement, elles ont été emportées par un élan impétueux, insufflé par leur dieu lui-même. Elles l’affirment haut et fort : si elles ont quitté leur pays, c’est pour se consacrer, se démener pour celui qu’elles appellent Bromios – au sens du grondement qu’il fait retentir, auquel font justement écho leurs tambourins. Consécration de Dionysos qui ne va certes pas sans peine, mais qui n’est pas épuisante pour autant : littéralement possédées par le dieu, les Lydiennes en transe expriment leur louange comme union des contraires : à la fois douce souffrance et agréable fatigue. C’est ainsi, sans la moindre préoccupation d’elles-mêmes, dans la joie, par-delà les peines, qu’elles témoignent leur fidélité au dieu en poussant l’« évohé ! », le fameux cri rituel, enthousiaste, de tous les cultes bachiques.
Loin de se confiner à quelques élus, le chœur s’adresse à tout le monde : il exhorte tout un chacun à quitter les rues ou les maisons où il se trouve pour venir honorer Dionysos. Tout le monde doit se montrer pur et respectueux ; tout le monde doit se taire ; tout le monde doit cultiver le silence sacré pour mieux laisser chanter et écouter le chœur. Car ce n’est pas n’importe quel chant qui est entonné en l’honneur de Dionysos ; non c’est un hymne basé sur des coutumes immémoriales, des usages devenus au fil du temps de véritables lois, capables de répartir les rôles de chacun, hommes et dieux, au sein de l’harmonie du tout. Un chant des plus légitimes donc ; un chant sacré, qu’il convient d’honorer par-dessus tout, pour que l’enthousiasme dionysiaque se répande comme il se doit au travers de toutes les rues, dans toute la ville et finalement de par le monde entier.
Texte intégral :
DIONYSOS
(55) Allons, vous qui avez quitté le rempart de la Lydie qu’est le Tmôlos,
Vous mon thiase, mes femmes – que j’ai emmenées de chez les Barbares
Comme mes assistantes et mes compagnes de route –,
Brandissez donc les tambourins propres au pays des Phrygiens,
Tambourins que j’ai moi-même inventés, avec la déesse-mère Rhéa !
(60) Puis, une fois arrivées autour du palais royal
De Penthée, faites-les retentir pour que la cité de Cadmos ouvre enfin les yeux !
Pour ma part, je m’en vais chez les bacchantes, dans les replis
Du Cithéron où elles se trouvent, là, je prendrai part à leurs chœurs.
CHOEUR
Depuis la terre d’Asie,
Ayant quitté le Tmôlos sacré, je m’élance impétueusement
Pour Bromios – douce peine,
Et fatigue agréablement fatigante –
En poussant l’évohé de Bacchos.
Quiconque est dans la rue, quiconque est dans la rue ! Quiconque
(70) Est dans le palais ! Qu’il s’en éloigne !
Et que chacun consacre sa bouche au silence sacré ;
En effet, par les lois immémoriales,
Je célébrerai Dionysos.
*
(55) ἀλλ’, ὦ λιποῦσαι Τμῶλον, ἔρυμα Λυδίας,
θίασος ἐμός, γυναῖκες ἃς ἐκ βαρβάρων
ἐκόμισα παρέδρους καὶ ξυνεμπόρους ἐμοί,
αἴρεσθε τἀπιχώρι’ ἐν Φρυγῶν πόλει
τύπανα, Ῥέας τε μητρὸς ἐμά θ’ εὑρήματα,
(60) βασίλειά τ’ ἀμφὶ δώματ’ ἐλθοῦσαι τάδε
κτυπεῖτε Πενθέως, ὡς ὁρᾶι Κάδμου πόλις.
ἐγὼ δὲ βάκχαις, ἐς Κιθαιρῶνος πτυχὰς
ἐλθὼν ἵν’ εἰσί, συμμετασχήσω χορῶν.
Ἀσίας ἀπὸ γαίας
ἱερὸν Τμῶλον ἀμείψασα θοάζω
Βρομίωι πόνον ἡδὺν
κάματόν τ’ εὐκάματον, Βάκ-
χιον εὐαζομένα.
τίς ὁδῶι, τίς ὁδῶι; τίς
(70) μελάθροις; ἔκτοπος ἔστω,
στόμα τ’ εὔφημον ἅπας ἐξοσιούσθω·
τὰ νομισθέντα γὰρ αἰεὶ
Διόνυσον ὑμνήσω.
Les autres passages des Bacchantes se trouvent ici (en fond de page les premiers, en haut de page les suivants).