Dionysos prisonnier de Penthée

DionysosReactualisation 432-452A PEINE LE CHŒUR A-T-IL FINI SON CHANT, cautionné la position de Tirésias et de Cadmos et dévoilé son projet de quitter la ville de Thèbes pour l’île de Chypre – où le désir, l’amour et la vie dionysiaques se déploient en toute liberté –, voilà que reviennent les gardes. On s’en souvient : un peu plus tôt, furax, Penthée les avait envoyés capturer le dangereux étranger à l’allure féminine qui sème la zizanie dans la cité.

Loin de rentrer bredouilles, ils ont bel et bien réussi à mettre la main sur celui qui avait pourtant été présenté comme une proie particulièrement terrible. Et même beaucoup plus facilement que prévu : en reprenant le vocabulaire de chasse précédemment employé par Penthée pour désigner Dionysos, le chef des gardes souligne en effet, dans un oxymore bien parlant, la « douceur » de l’« animal sauvage » ; indiquant au passage la double nature du dieu, à la fois indomptable, farouche, dangereux telle la panthère, et suave, agréable, savoureux comme le faon.

Contrairement à toute attente, l’étranger s’est en effet montré docile. Il n’a pas présenté l’once d’une résistance ; n’a pas le moins du monde tenté de fuir. Bien au contraire : au moment de se faire ligoter, au lieu de résister, il a gentiment tendu ses mains. Nullement inquiet, il n’a jamais pâli, jamais blêmi, mais ses joues sont toujours demeurées écarlates, rouges, couleur de vin – la boisson par laquelle le dieu s’immisce dans les corps et les esprits pour les fait jubiler ou délirer. Et ce n’est pas tout : tel un enfant, il a ri en se faisant capturer ainsi ; joueur, il s’est de plus amusé à ordonner lui-même qu’on lui lie les mains et qu’on l’emmène illico presto au palais.

Bref : tout du long, il a été parfaitement tranquille et coopératif. A aucun instant il n’a gêné les gardes, permettant ainsi à leur chef de faire convenablement son travail. Il a d’ailleurs été tellement affable, tellement disponible – et le chef ne manque pas de le souligner, comme pour mieux se démarquer de Penthée – qu’on s’est évertué de le traiter avec ménagement et de s’adresser à lui avec respect, tout en lui signifiant ; que c’était uniquement sur ordre du roi et nullement par la volonté des gardes qu’on l’arrêtait et emmenait.

Pour ce qui est des bacchantes, les nouvelles sont moins bonnes ; et même fort problématiques. Le garde apprend au roi que les choses ne se sont de loin pas aussi bien passées que prévu. Après avoir été arrêtées et enchaînées dans la prison de la ville, les femmes ont en effet soudain vu, comme par miracle, leurs liens et chaînes se délier, les verrous des portes s’ouvrir tout seuls, sans la moindre intervention humaine. Et voilà que, prises de folie, les bacchantes que Penthée avait fait séquestrer pour rétablir l’ordre dans la cité ont quitté les lieux. Joyeuses et bondissantes, elles se sont mises en route vers les terres fertiles en invoquant à tue-tête le divin Bromios.

Pour le garde, ça ne fait pas de doute : l’étranger qu’ils ont capturé n’est pas un homme comme les autres ; il est arrivé à Thèbes avec quantité de tours dans son sac, plus mystérieux et étonnants les uns que les autres ; et tout porte à croire qu’il ne va pas tarder à les employer également aux dépens du roi de l’ordre et de la raison. Aussi, après avoir dit à Penthée ce qu’il savait, après l’avoir à son tour – comme un serviteur peut le faire à son maître – mis en garde devant son fourvoiement, le garde laisse le roi seul juge de la tournure des événements : « A toi désormais de t’occuper du reste ! », lui lance-t-il avant de s’en aller. A Penthée de savoir ce qu’il veut faire et comment. Parviendra-t-il à reconnaître son erreur ?

Mais le temps, les circonstances et cet énième conseil ne changent rien à son fourvoiement : Penthée n’est pas devenu moins sourd et moins aveugle d’un iota à l’enjeu du retour de Dionysos dans la cité. Le voilà qui continue à avancer tête baissée, à s’engouffrer plus avant, sans la moindre hésitation, sans la moindre retenue, dans sa voie fâcheuse. Sûr de lui ainsi que de la bonne organisation et puissance de ses hommes, il ordonne même avec fierté qu’on lâche les bras du malfrat. Pris qu’il est dans les filets dûment tissés pour organiser au mieux la cité, les nombreux tours du prétendu magicien n’ont en effet raisonnablement aucune chance de le rendre assez rapide pour parvenir à échapper au roi. Mais c’est là sans compter sur la mystérieuse force et surhumaine habileté de l’étonnant et doux étranger…

*

Texte original (Bacchantes, vers 432-452)

Texte 432-452

SERVITEUR

Penthée, nous voilà de retour après avoir capturé cette proie
Que tu nous as envoyé saisir ; et nous ne nous sommes pas élancés en vain.
L’animal sauvage que voici est doux avec nous – et n’a pas même détourné
Son pied dans une fuite, mais nous a livré ses mains, et pas même contre son gré.
Nullement pâle, sans même que change la couleur de vin de ses joues,
Mais en riant, il a même ordonné qu’on le lie et l’emmène.
(440) Et il se tenait tranquille, en me permettant de faire convenablement mon travail.
Quant à moi, j’ai dit avec respect : « Etranger, ce n’est pas de mon plein gré
Que je t’emmène, mais sur ordre de Penthée, qui m’a envoyé. »
Pour ce qui est des bacchantes que tu as enfermées, dont tu t’es saisi
Et que tu as enchaînées en prison,
Soudain déliées, elles se sont mises en route, bondissant vers les terres fertiles
En invoquant le divin Bromios ;
D’eux-mêmes, leurs liens se sont défaits de leurs pieds
Et les verrous des portes se sont ouverts sans intervention de main mortelle.
Cet homme  arrive ici, à Thèbes, avec quantité de tours étonnants.
(450) A toi désormais de t’occuper du reste.

PENTHÉE

Lâchez-lui les bras ; en effet, pris qu’il est dans mes filets,
Il n’est assurément pas assez rapide pour pouvoir m’échapper.

*

ΘΕΡΑΠΩΝ

Πενθεῦ, πάρεσμεν τήνδ’ ἄγραν ἠγρευκότες
ἐφ’ ἣν ἔπεμψας, οὐδ’ ἄκρανθ’ ὡρμήσαμεν.
ὁ θὴρ δ’ ὅδ’ ἡμῖν πρᾶος οὐδ’ ὑπέσπασεν
φυγῆι πόδ’, ἀλλ’ ἔδωκεν οὐκ ἄκων χέρας,
οὐκ ὠχρός, οὐδ’ ἤλλαξεν οἰνωπὸν γένυν,
γελῶν δὲ καὶ δεῖν κἀπάγειν ἐφίετο
(440) ἔμενέ τε, τοὐμὸν εὐπρεπὲς ποιούμενος.
κἀγὼ δι’ αἰδοῦς εἶπον· Ὦ ξέν’, οὐχ ἑκὼν
ἄγω σε, Πενθέως δ’ ὅς μ’ ἔπεμψ’ ἐπιστολαῖς.
ἃς δ’ αὖ σὺ βάκχας εἷρξας, ἃς συνήρπασας
κἄδησας ἐν δεσμοῖσι πανδήμου στέγης,
φροῦδαί γ’ ἐκεῖναι λελυμέναι πρὸς ὀργάδας
σκιρτῶσι Βρόμιον ἀνακαλούμεναι θεόν·
αὐτόματα δ’ αὐταῖς δεσμὰ διελύθη ποδῶν
κλῆιδές τ’ ἀνῆκαν θύρετρ’ ἄνευ θνητῆς χερός.
πολλῶν δ’ ὅδ’ ἁνὴρ θαυμάτων ἥκει πλέως
(450) ἐς τάσδε Θήβας. σοὶ δὲ τἄλλα χρὴ μέλειν.

ΠΕΝΘΕΥΣ

μέθεσθε χειρῶν τοῦδ’· ἐν ἄρκυσιν γὰρ ὢν
οὐκ ἔστιν οὕτως ὠκὺς ὥστε μ’ ἐκφυγεῖν.

*

Les passages précédents des Bacchantes se trouvent ici.

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