Quand on parle de musique, on parle aujourd’hui de la musique. Ne serait-il pas plus juste de parler de musiques, avec un « s » ?
Ben oui, il y a des quantités de musiques dans le monde ! Il y a celle qui est diffusée par la radio et qu’on écoute d’une oreille. Celle, énervante, qui déborde des écouteurs de notre voisin, dans le train. Et qui n’a déjà pas grand-chose à voir avec la première. Et pas non plus avec celle qui nous trotte dans la tête, sans qu’on sache trop pourquoi. Ou celle que nous chantait notre maman, ou notre grand-maman, ou on ne sait plus vraiment qui, quand on était petit. Celle qu’on va écouter au concert. Celle qu’on a choisie pour accompagner un événement important. Celle qui signale le début d’une émission, ou qui annonce la publicité, qui indique le passage d’un train ou le cours, la messe sur le point de commencer. Celle qui traverse les murs des différents appartements de notre immeuble. Celle qui est liée à un souvenir heureux. Celle qu’on a choisie comme sonnerie de téléphone, comme réveille-matin. Sans parler des nombreuses autres, qu’on aime, qu’on déteste, qu’on entend à peine ou qu’on écoute sans cesse, comme des dingues.
Mais il y a aussi toutes les musiques qui n’en sont pas vraiment, ou pas directement, du moins au premier abord. Celles qui ne sont pas directement classées sous « musique », parce qu’elles ne sont pas écrites en notes de musique, ne proviennent pas d’instruments de musique. Le chant des oiseaux, bien sûr. Et celui, étrange, des chats, les nuits de printemps, sous nos fenêtres. Mais aussi le vent dans les feuilles des arbres. Les vagues qui avancent et reculent, caressent la plage, ou s’écrasent contre les rochers. Les vieux radiateurs. Les robinets qui gouttent, gouttent, gouttent. Jusqu’aux moteurs que les drôles de conducteurs souvent pas drôles du tout font vrombir comme des demeurés en appuyant à fond sur le champignon.
A chaque fois c’est une musique, un bruit, une rumeur, un son, une mélodie, qui enfle et désenfle, se joue, se compose, se diffuse, avant de s’évanouir. Certes, une musique qui ne sera jamais jouée au « Music Hall » ni gravée sur des milliers de disques, même qu’on ne sait jamais… Une musique plus ou moins fine, plus ou moins grossière, plus ou moins accordée, détonante, répétitive, agréable, inaudible, c’est selon. Mais une musique à chaque fois quand même.
Mais ce n’est toujours pas tout. Il existe d’autres musiques encore, quantité d’autres musiques encore. Celles qu’on n’entend pas ! Oui, les musiques au sens de l’accord, de l’harmonie, du glissement, de l’assemblage, de l’équilibre, de l’entente, du jeu, par-delà les dissonances qui menacent partout. Les musiques qui surviennent quand les choses se glissent les unes dans les autres. Quand les tensions trouvent un équilibre. Quand les choses se passent comme il se doit. Quand l’excès est pondéré par le manque. Quand le sérieux est allégé par le jeu. Quand le beau et le laid se joignent. Quand la maîtrise émerge du chaos. Quand on écrit et que, à force, les mots se mettent à s’agencer comme il faut, chacun à son tour, chacun à sa place. Quand on est simplement là, en silence, avec quelqu’un qu’on aime. Ou quand on est seul, dans le silence de la nuit. Quand on sent son cœur battre. Quand on se fond dans tout ça.
Dans ce cas, tout à coup, on se rend compte que même si, par maints côtés, on ferait mieux de ne pas parler de la musique, mais des musiques, on a, au fond, bien raison de parler de la musique. De la grande musique ! Celle qui comporte en elle toutes les autres, innombrables petites sœurs et grandes cousines, en même temps tombées de la dernière pluie et vieilles comme le monde.