11’09″01 (2002) EST LA RÉUNION DE ONZE RÉALISATEURS du monde entier, invités à présenter un court-métrage sur les attentats du 11 septembre 2001 à New York.
Chaque film avait pour unique consigne de durer 11 minutes, 9 secondes, et 1 image. Le résultat présente de nombreuses perspectives alternatives à la vision unique des médias.
Le film proposé est celui de Sean Penn, immense acteur américain, plein d’idées, et pas inintéressant non plus comme réalisateur.
Et si le terrorisme était tantôt une révolte de Dionysos face à notre monde malade, factice et desséché ?
On en a parlé, tout le monde le sait: je viens de mourir. Même si je ne suis pas ton père, je trouve ton film excellent. Oui, à force de vouloir la lumière, notre « drôle de monde » comme tu dis, finit par se retrouver dans une nuit inquiétante de nostalgie et de stérilité. Le terrorisme comme révolte de la phusis? Pourquoi pas. C’est à méditer.
je lisais les réflexions de Léon Tolstoï sur la liberté et la nécessité, à la fin de « La Guerre et la Paix ». Il dit (en substance) que l’homme totalement libre devrait exister en dehors de l’espace et du temps (pour pouvoir échapper à toute contrainte). Donc l’homme totalement libre n’est plus un homme. Qu’est-ce qu’une révolte qui part de l’une ou l’autre idée de liberté, contre les nécessités existantes du monde? A partir de quand la révolte est un déni, une négation de ce qui existe? La « solution » du terrorisme en est-elle vraiment une, puisque l’attentat détruit aussi la vie, la vie dans sa complexité, sa multiplicité et son ambivalence? Pour ma part je me méfie de toute idéal, même phusique (désolé), je préfère seulement jouer avec ce qui existe, le modifier, le bouger, avec les valeurs de mon éducation (aussi imparfaites soient-elles, je ne les ai pas choisies, mais je suis toujours prêt à les questionner) en dehors de tout système d’idée total, quel qu’il soit…
un pote
Merci pour les commentaires!
Chez Camus, la révolte est la conséquence du constat de l’absurde (divorce entre la quête d’idéal et la dure réalité du monde): « Tout faire pour réussir – et accepter le oui comme le non ». Comme Tolstoï, il demeure par là traditionnel, c’est-à-dire idéaliste: fuite du monde ici et maintenant en direction d’un autre, meilleur. Ils sont tous deux, comme nous tous d’ailleurs, au fond, par notre éducation, ce que Nietzsche appelle des « optimistes théoriques », sûrs qu’il est possible, par la théorie, la science rationnelle, aujourd’hui la technique, progresser en direction de l’optimum, le bien suprême, l’idéal. La révolte qu’ils proposent s’inscrit dans ce cadre, contre l’injustice, contre la souffrance, contre la laideur, finalement contre la mort.
La perspective phusique s’en distingue du fait que son idéal – s’il faut encore employer ce terme – n’a rien d’idyllique, d’égalitaire ou encore de paradisiaque. Il consiste en la vie libérée des chaînes qui l’emprisonnent (et qui proviennent justement de l’optimisme théorique); en l’affirmation de la vie en ce qu’elle est, avec tout ce qu’elle comporte, sans rien en retrancher, jusqu’à la mort: la vie dionysiaque, tragique. L’issue en est justement l’expérience de la vie comme jeu. Non plus comme partie d’échecs, comme jeu rationnel, égoïste, finalement stérile, mais comme jeu du monde: écoute et prolongement des forces de vie (non systématiques, non rationnelles, mais toutefois avec une cohérence propre, inaccessible à notre logique) qui régissent le monde.
Ma lecture du terrorisme va dans le sens de cette libération. Pour que la vie elle-même puisse retrouver un certain équilibre, une certaine harmonie. Non pas idéaliste, mais… tragique!
A propos de Tolstoï, je ne suis pas sûr qu’il soit si idéaliste que cela, dans sa lecture des événements je le trouve très tragique, il se moque franchement des théoriciens, il accepte la vie comme elle vient (si j’ose dire), il essaie de comprendre les mouvements de l’histoire en écoutant les forces souterraines de la vie (si j’ose encore), c’est ainsi que je l’ai compris, mais il faut le lire lui, et pas moi.
Le film de Seann Penn me parle parce que les interprétations possibles sont multiples. Il reste ouvert à toute interprétation, ne fait que déplacer le point de vue et le centre d’intérêt, sans essayer de porter un message précis (l’attentat fleurit la tombe d’une femme déjà partie depuis longtemps – ?). Ce film est une oeuvre, intéressante car elle nous laisse perplexe. Elle permettra peut-être de déplacer quelque chose en nous, ce que l’attentat ne peut pas. L’attentat radicalise les opinions et les fronts, il tue des innocents, il est spectaculaire mais ne peut pas changer grand chose. l’oeuvre permet de modifier quelque chose en nous, en cela je trouve plus intéressant de faire (ou recevoir) des oeuvre que des attentats.
La question de l’optimisme de Tolstoï mérite un débat à part.
Pour le reste, je suis on ne peut plus d’accord (cf. par exemple le texte de présentation de ma rubrique « Vous vous emmerdez » – à lire en musique). L’art véritable (si on peut l’appeler comme ça – « véritable » au sens où il fait vraiment écho aux forces de vie et de mort qui nous traversent et n’est pas que pur artifice divertissant et commercial) est lui aussi une forme de terrorisme: il fait d’ailleurs tellement peur aux structures de notre monde qu’elles font tout pour l’écarter, le marginaliser. Les quartiers d’artistes et d’artisans sont transformés en lofts, centres commerciaux et autres espaces de folies nocturnes branchés.
Heureusement: il y a des artistes (mauvaises herbes) qui arrivent à s’infiltrer dans le béton, à le faire se fissurer. C’est la révolte de Dionysos. Comme il peut, tant qu’il peut. De manière violente, s’il le faut…
Ces films sont incroyables, ils nous ouvrent à une nouvelle manière de voir le monde. Aujourd’hui (7 janvier 2015), ils prennent pour moi une coloration particulière au regard de ce qui s’est passé en France ce matin… Je ne saurais toutefois encore dire laquelle exactement. Comme le disait NB, ils déplacent le regard. Et c’est précisément de ça dont nous avons plus que jamais besoin à notre époque.