Ă TOI MA VOLONTĂ, ma double volonté : en mĂȘme temps ma petite volontĂ© individuelle, facultĂ© qui me permet de prendre librement mes dĂ©cisions ; et ma grande volontĂ©, qui me permet de les prendre comme il faut, en conformitĂ© avec le monde ! Toi, moteur de tout ce que jâentreprends, de tout ce que je dois entreprendre, tournant de toute nĂ©cessitĂ©, de toute misĂšre en bonheur ! Toi ma nĂ©cessité ! Ă ma volontĂ©, prĂ©serve-moi de toutes les petites victoires qui ne font que satisfaire lâego et dĂ©tournent de la route qui conduit Ă la grande victoire !
Toi, ma volontĂ©, toi qui guides et destines en toute nĂ©cessitĂ© mon Ăąme, toi que jâappelle destin ! Toi qui es Ă la fois ma petite volontĂ© en moi et la grande volontĂ© au-dessus de moi ! Allez, prĂ©serve et rĂ©serve-moi, par-delĂ toutes les petites victoires, une grande destinĂ©e, un grand destin !
Et ton ultime grandeur, rĂ©serve-la pour ton ultime haut-fait, ton ultime victoire ! Et pourvu que tu sois suffisamment grande pour, dans celle-ci, ĂȘtre impitoyable ! Ah, qui nâa pas perdu de plumes, et mĂȘme plus : qui nâa pas succombĂ© Ă sa victoire !
Ah, qui nâa pas laissĂ© son Ćil sâassombrir dans le crĂ©puscule enivrĂ© de la victoire, qui nâa pas perdu sa luciditĂ© dans la lumiĂšre incertaine quâengendre le triomphe ! Ah, qui nâa pas eu le pied qui chancelle, nâa pas dĂ©sappris Ă se tenir debout Ă lâheure du succĂšs !
â Ă toi, ma volontĂ©, fais que je sois un jour prĂȘt et mĂ»r pour la grande victoire ; celle qui a lieu Ă lâheure du grand midi, Ă lâheure de la plus grande clartĂ©, oĂč le soleil est au zĂ©nith, et oĂč lâombre est la plus minime : prĂȘt et mĂ»r comme de lâairain incandescent, au fond extrĂȘmement dur et, par le chaud, en mĂȘme temps devenu mallĂ©able, façonnable ; prĂȘt et mĂ»r comme un nuage gros dâĂ©clairs sur le point de sâabattre sur la terre pour y rĂ©tablir lâĂ©quilibre entre ciel et terre ; prĂȘt et mĂ»r comme un pis de vache gonflĂ© de lait, dĂ©bordant de gĂ©nĂ©rositĂ© et de richesse ;
â PrĂȘt Ă ĂȘtre moi-mĂȘme, Ă ĂȘtre moi-mĂȘme en ma grande volontĂ©, en ma volontĂ© la plus profonde, la plus nĂ©cessaire et la plus cachĂ©e : un arc qui dĂ©sire sa flĂšche, une flĂšche qui dĂ©sire sa cible, son Ă©toile ;
â Moi-mĂȘme une cible, une Ă©toile, prĂȘte et mĂ»re dans son midi, incandescente, brĂ»lante, destructrice, et Ă la fois transpercĂ©e de flĂšches, heureuse face aux destructrices flĂšches du soleil ;
â Moi-mĂȘme un soleil et une impitoyable volontĂ© de soleil, dĂ©bordante de force, de chaleur et de clartĂ©, prĂȘte Ă rester grande, lucide et solide dans la victoire ; prĂȘte Ă dĂ©truire, jusque dans la victoire !
à volonté, moteur et tournant de toute nécessité, de toute misÚre en bonheur, toi ma nécessité ! Réserve-moi une grande victoire, une seule grande victoire !
Parole de Zarathoustra.
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Traduction littérale
à toi, ma volonté ! Toi, tournant de toute nécessité, toi ma nécessité ! Préserve-moi de toutes les petites victoires !
Toi, destinĂ©e de mon Ăąme, que jâappelle destin ! Toi en-moi ! Au-dessus-de-moi ! PrĂ©serve et rĂ©serve-moi pour un grand destin !
Et ta derniĂšre grandeur, ma volontĂ©, rĂ©serve-la pour ton dernier, â que tu sois impitoyable dans ta victoire ! Ah, qui nâa pas succombĂ© Ă sa victoire !
Ah, lâĆil de qui ne sâest pas assombri dans ce crĂ©puscule enivré ! Ah, le pied de qui nâa pas chancelĂ© et dĂ©sappris dans la victoire â Ă se tenir debout ! â
â Que je sois un jour prĂȘt et mĂ»r dans le grand midi : prĂȘt et mĂ»r comme de lâairain incandescent, un nuage gros dâĂ©clairs et un pis gonflĂ© de lait : â
â prĂȘt Ă moi-mĂȘme et Ă ma volontĂ© la plus cachĂ©e : un arc dĂ©sirant sa flĂšche, une flĂšche dĂ©sirant son Ă©toile : â
â une Ă©toile, prĂȘte et mĂ»re dans son midi, incandescente, transpercĂ©e, heureuse face aux destructrices flĂšches de soleil :
â elle-mĂȘme un soleil et une impitoyable volontĂ© de soleil, prĂȘte Ă dĂ©truire dans la victoire !
Ă volontĂ©, tournant de toute misĂšre, toi ma nĂ©cessité ! RĂ©serve-moi pour Une grande victoire ! â â
Parole de Zarathoustra.
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Il sâagit ci-dessus de la derniĂšre partie (30 sur 30) du douziĂšme chapitre (« De vieilles et de nouvelles tables ») de la « TroisiĂšme partie » des « Discours de Zarathoustra » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement rĂ©investi (en haut) et traduction littĂ©rale (en bas). Les prĂ©cĂ©dents chapitres et parties se trouvent ici.