UN MATIN, PEU DE TEMPS APRĂS ĂTRE RETOURNĂ Ă SA CAVERNE, Zarathoustra sâest levĂ© dâun bond de sa couche, en criant comme un fou, dâune voix terrible ; et en se comportant comme sâil y avait, Ă cĂŽtĂ© de lui, sur son lit, quelquâun qui ne voulait pas se lever. Et le cri de Zarathoustra Ă©tait si puissant, rĂ©sonnait si fort quâil a terrorisĂ© tous les animaux alentour.
Impossible ici de ne pas se rappeler cet autre hurlement, mentionnĂ© par Zarathoustra sur le bateau en partance des Ăźles bienheureuses : celui du chien de berger, hurlant Ă cĂŽtĂ© de son maĂźtre se tordant de douleur sur le sol, Ă©touffĂ© par un noir serpent dans la bouche. Berger que Zarathoustra avait finalement sauvĂ© en le poussant Ă mordre la tĂȘte de lâanimal et Ă la cracher au loin. LibĂ©ration qui avait eu pour consĂ©quence de mĂ©tamorphoser le pĂątre, qui sâĂ©tait alors mis Ă rire comme jamais un homme nâavait ri. Rire dont Zarathoustra lui-mĂȘme sâest dit nostalgique et dĂ©sireux depuis.
EffrayĂ©s par le terrible cri se dĂ©gageant de la caverne de Zarathoustra, ses deux animaux de compagnie â son aigle et son serpent â ont rĂ©agi comme Zarathoustra lui-mĂȘme lâavait fait jadis avec le chien et le berger : ils se sont prĂ©cipitĂ©s vers lui pour voir ce quâil se passait et lâĂ©pauler. Au contraire de toutes les autres bĂȘtes des cavernes et repaires des environs : celles-ci, prises de panique, se sont empressĂ©es de fuir au loin â en volant, en voletant, en rampant, ou encore en sautant, selon lâespĂšce de pieds et dâailes qui leur avait Ă©tĂ© donnĂ©e.
Mais pourquoi Zarathoustra a-t-il hurlĂ© de la sorte ? Parce quâil a Ă©tĂ© assailli par une terrible pensĂ©e : sa pensĂ©e la plus profonde, la plus abyssale, qui sâavĂ©rera somme toute ĂȘtre celle de lâĂ©ternel retour du mĂȘme, dont il a justement Ă©tĂ© question dans la vision et lâĂ©nigme racontĂ©e sur le bateau au dĂ©part des Ăźles bienheureuses. La vision et lâĂ©nigme, de lâordre du rĂȘve, de la logique du rĂȘve â on sâen souvient â dâabord de lâesprit le plus lourd, du nain moqueur, ensuite du portique instant, avec ses deux allĂ©es sâavançant pour toute Ă©ternitĂ©, l’une en arriĂšre, vers le passĂ©, et l’autre en avant, vers lâavenir, et revenant Ă©ternellement de la mĂȘme maniĂšre, et enfin du chien, du berger, du serpentâŠ
Mais quel Ă©tait ce berger ? Qui est lâhomme Ă qui le plus noir et le plus lourd va encore ramper dans le gosier ? VoilĂ ce quâavait finalement demandĂ© Zarathoustra aux membres de lâĂ©quipage.
Or voici les mots quâil a prononcĂ©s ce matin-lĂ , aprĂšs avoir bondi de son lit et avoir Ă son tour hurlĂ© dâeffroi, en sâadressant Ă sa couche vide :
*
LĂšve-toi, pensĂ©e la plus profonde, pensĂ©e sans fond, pensĂ©e abyssale ! Sors de ma profondeur ! Ah, ver endormi, enroulĂ© sur toi-mĂȘme, je suis ton rĂ©veil, ton coq et ton aube ! Allez, câest lâheure dâĂ©merger ! Debout ! Debout ! Inutile de rĂ©sister : le cri de ma voix finira bien par te rĂ©veiller !
DĂ©bouche-toi les oreilles : obĂ©is ! Car je veux entendre ce que tu as Ă dire ! Debout ! Debout ! Ne fais pas la sourde oreille ; de toute façon câest peine perdue : il y a assez de force en moi pour te rĂ©veiller ! Assez de tonnerre pour que mĂȘme les tombes apprennent Ă mâobĂ©ir et se mettent Ă parler !
Et essuie de tes yeux le sommeil, toute trace de passivitĂ©, de retrait, de fermeture et de fuite ; et dĂ©barrasse-toi aussi de lâidiotie, de la faiblesse, et de lâaveuglement qui te sont propres ! Et prends garde de ne pas mâĂ©couter seulement avec tes oreilles, mais Ă©coute-moi aussi avec tes yeux ! Ma voix est un remĂšde mĂȘme pour ceux qui, comme toi, sont aveugles de naissance ; pour ceux qui, comme toi, sont souterrains, sans clartĂ©, et donc inquiĂ©tants, parce que nĂ©s dans les profondeurs.
Et une fois rĂ©veillĂ©e, pince-toi ! Attention de ne pas te rendormir : tu dois me rester Ă©ternellement Ă©veillĂ©e. Il faut que tu fasses tout pour ne pas replonger. Tu le sais bien : je ne suis pas du genre Ă rĂ©veiller les arriĂšre-grand-mĂšres pour vĂ©rifier si elles sont encore en vie ; et pour leur dire â que tout va bien et quâelles peuvent se remettre Ă dormir ! Chaque chose que jâai rĂ©veillĂ©e, chaque chose qui mâest venue, qui a Ă©mergĂ© en moi, jâai toujours tout fait pour la  garder Ă©veillĂ©e, pour lâincorporer, la faire entiĂšrement mienne â et ne pas la perdre aussitĂŽt gagnĂ©e.
Quoi ? Ma pensĂ©e la plus profonde, tu bouges, tu tâĂ©tires, tu rĂąles ? Allez, debout ! Debout ! Fini de rĂąler â lâheure est venue de me parler ! Allez, Zarathoustra, le sans dieu, tâappelle et veut tâentendre !
Oui, moi, Zarathoustra, le porte-parole de la vie en son va-et-vient tragique, le porte-parole de la souffrance comme fond et ressource de toute existence, le porte-parole du cercle qui marque tout phĂ©nomĂšne â je tâappelle, je tâappelle toi, ma pensĂ©e la plus abyssale !
Ah, me voilĂ sauvé ! Te voilĂ qui arrives, â oui, je tâentends venir Ă moi ! Mon abĂźme se met Ă parler, se met Ă me parler : jâai enfin rĂ©ussi Ă faire remonter mon ultime profondeur Ă la surface, Ă retourner lâultime obscuritĂ© Ă la lumiĂšre, Ă faire passer lâinconscient le plus enfoui Ă la claire conscience !
Ah, me voilĂ sauvé ! Viens ! Donne-moi ta main ! Que ma surface et ma profondeur sâunissent et cheminent ensemble, que lâunion des contraires triomphe, que tout devienne dĂ©cidĂ©ment et en toute clartĂ© diffĂ©rences de degrĂ©s du mĂȘme ! â â Ah ! Non, laisse ! ArrĂȘte-ça ! Ah ! Ah ! â DĂ©goĂ»t, dĂ©goĂ»t, dĂ©goĂ»t â â â Câest insupportable ! Malheur Ă moi ! Me voilĂ perdu !
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Traduction littérale
Un matin, peu de temps aprĂšs son retour Ă la caverne, Zarathoustra sâest levĂ© de sa couche comme un fou, a criĂ© dâune voix terrible et sâest comportĂ© comme sâil y avait encore sur la couche quelquâun qui ne voulait pas se lever ; et la voix de Zarathoustra a rĂ©sonnĂ© si fort que ses animaux sont arrivĂ©s vers lui effrayĂ©s, et que tous les animaux de toutes les grottes et repaires voisins de la caverne de Zarathoustra ont pris la fuite, â volant, voletant, rampant, sautant, selon lâespĂšce de pieds et dâailes qui leur Ă©tait donnĂ©e. Mais Zarathoustra a prononcĂ© ces mots :
*
LÚve-toi, pensée abyssale, hors de ma profondeur ! Je suis ton coq et ton aube, ver endormi : Debout ! Debout ! Le cri de ma voix finira bien par te réveiller !
DĂ©tache les liens de tes oreilles : obĂ©is ! Car je veux tâentendre ! Debout ! Debout ! Il y a assez de tonnerre ici pour que mĂȘme les tombes apprennent Ă obĂ©ir !
Et essuie le sommeil et toute idiotie, tout aveuglement de tes yeux ! Ecoute-moi aussi avec tes yeux : ma voix est un remĂšde mĂȘme pour les aveugles de naissance.
Et une fois rĂ©veillĂ©, tu dois me rester Ă©ternellement Ă©veillĂ©. Ce nâest pas mon genre de rĂ©veiller les arriĂšre-grand-mĂšres pour leur dire â de continuer Ă dormir !
Tu bouges, tu tâĂ©tires, tu rĂąles ? Debout ! Debout ! Tu ne dois pas rĂąler â mais me parler ! Zarathoustra tâappelle, le sans dieu !
Moi, Zarathoustra, le porte-parole de la vie, le porte-parole de la souffrance, le porte-parole du cercle â je tâappelle, toi, ma pensĂ©e la plus abyssale !
Salut Ă moi ! Tu viens, â je tâentends ! Mon abĂźme parle, jâai retournĂ© Ă la lumiĂšre mon ultime profondeur !
Salut Ă moi ! Viens ! Donne-ta main â â ah ! Laisse ! Ah ! Ah ! â DĂ©goĂ»t, dĂ©goĂ»t, dĂ©goĂ»t â â â Malheur Ă moi !
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Il sâagit ci-dessus de la premiĂšre des deux partie (sur 2) du treiziĂšme chapitre de la « TroisiĂšme partie » des « Discours de Zarathoustra » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement rĂ©investi (en haut) et traduction littĂ©rale (en bas). Les prĂ©cĂ©dents chapitres et parties se trouvent ici.
Cuu Duong Truyen Ky mon phai Vo Dang https://www.youtube.com/watch?v=zgrbGOgvPZE