SI MA VERTU EST CELLE D’UN DANSEUR athlĂ©tique et lĂ©ger, et non celle dâun penseur lourd, ventripotent et malhabile⊠Et si, quand la plupart se vautre dans la boue, jâai souvent eu lâoccasion de bondir des deux pieds dans des ravissements inespĂ©rĂ©s, dans des enchantements dâune intensitĂ© rare, couleur or et Ă©meraudeâŠ
Si, loin de tout sĂ©rieux, de toute lourdeur, câest la lĂ©gĂšretĂ© et le rire qui se trouvent au fond de mon ĂȘtre⊠Si ma mĂ©chancetĂ© elle-mĂȘme est une mĂ©chancetĂ© qui rit, une mĂ©chancetĂ© qui se sent partout chez elle, aussi bien dans les ronces des coteaux de roses que dans les haies des fleurs de lys⊠Si rien ne lâarrĂȘte, pas mĂȘme les piquants et les murs qui accompagnent les plus grandes beautĂ©s et les meilleures odeursâŠ
â Car vous le savez bien : le rire est rassembleur, unificateur et purificateur. Dans le rire, tout ce qui est mĂ©chant se trouve certes rassemblĂ© sous un mĂȘme chapeau, ne fait certes plus quâun, mais se trouve Ă la fois sanctifiĂ© et libĂ©rĂ© de son poids et de sa peine ; et ce par sa propre bĂ©atitude, par sa propre jubilation⊠Le rire est tout compte fait garant de lâaffirmation absolue de toute vie et de toute mort, soit de toute existence en tout ce quâelle contient dâagrĂ©able et de dĂ©sagrĂ©ablesâŠ
Et si mon alpha et mon omĂ©ga est de tout mettre en Ćuvre pour rendre lĂ©ger ce qui est lourd⊠Si, du dĂ©but Ă la fin, je cherche Ă faire de tout corps un corps de danseur, de tout esprit un esprit libre, un esprit dâoiseau⊠ Et telle est bien ma vĂ©ritĂ©, tel est bien mon alpha et mon omĂ©ga ! â
Si ma vertu et mes ravissements sont bien ceux dâun danseur athlĂ©tique, si ma mĂ©chancetĂ© est bien rieuse, rassembleuse et purgatrice, si elle donne bien des ailes et libĂšre lâesprit de ses chaĂźnes et de sa lourdeur, ĂŽ comment pourrais-je ne pas ĂȘtre dĂ©sireux dâĂ©ternitĂ©, sensuellement, sexuellement attirĂ© par le nuptial anneau des anneaux, lâanneau de lâĂ©ternel retour du mĂȘme ?
Jâai beau avoir cherchĂ©, jamais je nâai trouvĂ© la femme avec qui je voulais faire des enfants ; jamais je nâai aimĂ© de femme au point de vouloir, avec elle, perpĂ©tuer mon genre et faire des enfants ; ne serait-ceâŠ, ne serait-ce avec cette seule femme que jâaime de fond en comble : lâĂ©ternitĂ©. Il nây a quâavec elle, quâavec lâĂ©ternitĂ© et pour lâĂ©ternitĂ© que je veux faire des enfants, que je veux perpĂ©tuer mon genre et donner naissance Ă de beaux enfants, de beaux enfants remplis de force, de maĂźtrise et de joie. Car je tâaime, ĂŽ Ă©ternité ! Et avec toi et pour toi je veux tout faire ; avec toi et pour toi je veux produire le meilleur, avec toi et pour toi je veux avancer en direction du surhomme, je veux contribuer Ă la naissance du surhomme !
Car je tâaime, ĂŽ Ă©ternité !
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Traduction littérale
Si ma vertu est la vertu dâun danseur, et si jâai souvent bondi des deux pieds dans des ravissements dâor-Ă©meraude :
Si ma méchanceté est une méchanceté qui rit et se sent chez elle parmi les coteaux de roses et les haies de lys :
â car dans le rire tout le mĂ©chant est ensemble, mais sanctifiĂ© et libĂ©rĂ© par sa propre bĂ©atitude : â
et si câest lĂ mon alpha et omĂ©ga que tout ce qui est lourd devienne lĂ©ger, tout corps danseur, tout esprit oiseau : et en vĂ©ritĂ©, tel est mon alpha et omĂ©ga ! â
ĂŽ comment ne devrais-je pas ĂȘtre dĂ©sireux dâĂ©ternitĂ© et du nuptial anneau des anneaux, â lâanneau du retour ?
Jamais encore je nâai trouvĂ© la femme dont je voudrais des enfants, ne serait-ce cette femme que jâaime : car je tâaime, ĂŽ Ă©ternité !
Car je tâaime, ĂŽ Ă©ternité !
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Il sâagit ci-dessus de la sixiĂšme et avant-derniĂšre partie « Des sept sceaux » (seiziĂšme chapitre) de la « TroisiĂšme partie » des « Discours de Zarathoustra » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement rĂ©investi (en haut) et traduction littĂ©rale (en bas). Les prĂ©cĂ©dents chapitres et parties se trouvent ici.