Zarathoustra Ă©tait en route depuis moins dâune heure dans ses montagnes et ses forĂȘts. Il cheminait vers le bas, en direction de lâeffrayant cri de dĂ©tresse quâil a entendu en discutant avec le devin-prophĂšte de la grande fatigue qui accable lâOccident. Tout Ă coup, il sâest retrouvĂ© devant un Ă©trange dĂ©filĂ©. Juste sur le chemin quâil voulait prendre pour continuer sa descente, sâavançaient soudain deux curieux personnages en sens inverse, montant vers lui : deux rois pĂ©dants, ornĂ©s de couronnes et de ceintures de pourpre ; et excessivement bariolĂ©s, comme des flamants-roses. Et ce nâest pas tout, ils nâĂ©taient pas seuls : ils poussaient devant eux un Ăąne â symbole de lâignorance et de la bĂȘtise ; un Ăąne chargĂ© de lourds fardeaux. « Que veulent ces rois dans mon domaine ? », sâest alors dit, Ă©tonnĂ©, Zarathoustra Ă son cĆur ; avant de se hĂąter de se cacher derriĂšre un buisson pour ne pas ĂȘtre vu par ces importuns. Mais quand les rois sont arrivĂ©s jusquâĂ lui, il nâa pu se retenir de parler quand mĂȘme ; et a dit, Ă mi-voix, comme quelquâun qui se parle Ă lui-mĂȘme : « Etrange ! Etrange ! A quoi cela rime-t-il ? Je vois deux rois â et seulement un Ăąne ! Chaque roi nâa-t-il pas, normalement, son propre Ăąne ? Comment deux rois peuvent-ils se mettre ensemble pour diriger un seul Ăąne ? »
Entendant ces mots, les deux rois ont arrĂȘtĂ© leur marche. Ils ont souri. Ils se sont tournĂ©s vers lâendroit dâoĂč venait la voix, se sont regardĂ©s ; puis le roi de droite a dit Ă son acolyte : « Tu as entendu ces paroles sans scrupules ? Par chez nous aussi, on pense de telles choses, mais on les garde pour soi, on ne les exprime pasâŠÂ »
Et le roi de gauche de hausser les Ă©paules et de rĂ©pondre : « Câest sans doute un gardien de chĂšvres. Ou alors un ermite. En tout cas un solitaire ; quelquâun qui a vĂ©cu trop longtemps seul, parmi les rochers et les arbres. Car on ne peut rien y faire : ne pas avoir de sociĂ©tĂ©, vivre loin des hommes, cela corrompt, Ă la longue, les bonnes mĆurs. »
« Les bonnes mĆurs ?, a rĂ©torquĂ© lâautre roi, rĂ©calcitrant et amer. Mais que fuyons-nous donc ? Nâest-ce pas justement les « bonnes mĆurs » ? Nâest-ce pas justement de notre « bonne sociĂ©té » et de ses « bonnes mĆurs » que nous nous dĂ©tournons ?
En vĂ©ritĂ©, plutĂŽt vivre parmi les ermites et les gardiens de chĂšvres quâau milieu de notre populace, non ? Tant celle-ci est dorĂ©e, fausse, outrageusement fardĂ©e â tant elle est artificielle, vide⊠Elle a beau sâappeler « bonne sociĂ©té » mais il nây a rien en elle de bien et pas davantage de sain.
Oui, elle a beau sâappeler « bonne », et « noble », elle nâest rien de tout cela. Au contraire, en elle tout est faux, tout est pourri. Et ce qui, en elle, est malade, ce nâest pas un simple dĂ©tail, une attitude, une idĂ©e ou un organe par-ci ou par-lĂ , mais tout son sang. Oui, tout le sang qui coule dans ses veines est corrompu : rendu malade par les vieilles et mauvaises maladies idĂ©alistes que sont la moraline, la gentillesse, la mauvaise conscience, la jalousie, etc. Et ce nâest pas tout : le sang de la populace est encore doublement contaminĂ© par les agissements des prĂ©tendus guĂ©risseurs, plus mauvais et plus dangereux encore que les maladies elles-mĂȘmes.
Le meilleur homme, celui que je prĂ©fĂšre aujourdâhui, est encore le paysan. Il est un homme sain, en mĂȘme temps grossier, astucieux, tĂȘtu et endurant : telle est aujourdâhui lâespĂšce dâhommes la plus noble.
Le paysan est aujourdâhui le meilleur des hommes. Ăa ne fait pas de doute : câest lâespĂšce des paysans qui devrait aujourdâhui rĂ©gner ! Mais il nâen est rien : notre monde est le royaume de la populace. Quâon me dise ce quâon veut, je ne mâen laisse plus compter : câest aujourdâhui la populace, la vulgaire populace qui triomphe et commande. Et la populace, ce nâest rien dâautre quâun mĂ©li-mĂ©lo, ce qui sâappelle « micmac ».
Micmac de populace : tout est dans tout, tout est pĂȘle-mĂȘle ; le saint et le gredin et le hobereau et le juif et tous les bestiaux de lâarche de NoĂ©. Tout le monde parle de tout, mĂ©lange tout, ne comprend rien.
Bonne mĆurs ! Tout chez nous est faux et pourri. Il nây a plus rien de sain sur quoi sâappuyer : tout le monde se fait juge et critique. Personne ne sait plus vĂ©nĂ©rer. Or câest justement cet Ă©tat de fait, câest justement ça, cette maladie, cette bassesse que nous fuyons. Oui, la populace est faite de chiens doucereux et importuns, hypocrites et dangereux : de bĂȘtes qui nâont que le frĂŽlement et lâaboiement. Tout, chez eux, nâest que faux-semblant et triche : tellement quâils nâhĂ©sitent pas Ă plaquer dâor les feuilles de palmier pour faire croire quâelles ont de la valeur, pour les rendre plus aguichantes, pour faire croire quâelles sont autre chose que des feuilles de palmier.
Ah, je suis Ă©tranglĂ© de dĂ©goĂ»t de voir que nous sommes nous-mĂȘmes, nous autres rois, devenus faux, surchargĂ©s dâornements et dĂ©guisĂ©s sous le vieux faste jauni de nos ancĂȘtres ! Que nous sommes nous-mĂȘmes devenus des mĂ©dailles dâapparat ; et ce tant pour les plus bĂȘtes que pour les plus rusĂ©s, et pour quiconque trafique aujourdâhui avec le pouvoir !
Nous sommes loin dâĂȘtre les premiers, les plus importants, les plus puissants â et pourtant nous devons les reprĂ©senter, faire comme si nous les Ă©tions : nous voilĂ dĂ©sormais rassasiĂ©s et dĂ©goĂ»tĂ©s de cette escroquerie !
Nous avons quittĂ© le chemin de la racaille, de tous ces braillards, qui Ă©talent leurs opinions idiotes, et de tous les journalistes, de toutes les mouches scribouillardes, de toute cette puanteur dâĂ©picier, des gens qui ne savent rien faire dâautre que compter leur argent, du piĂ©tinement dâambition des mĂ©diocres, de la mauvaise haleine des bons vivants qui ne pensent quâĂ manger. Pouah, quelle horreur de vivre parmi la racaille !
Pouah, passer pour les premiers, les plus importants, les plus puissants parmi la racaille ! Ah, dĂ©goĂ»t ! DĂ©goĂ»t ! DĂ©goĂ»t ! Quâimporte encore de nous autres rois ! PlutĂŽt mourir que de continuer Ă vivre ainsi ! »
« VoilĂ que cette vieille maladie, la mĂ©lancolie, la nostalgie, te reprend, a alors dit le roi de gauche suite Ă la longue tirade du roi de droite : le dĂ©goĂ»t te reprend, mon pauvre frĂšre. Mais arrĂȘte donc de te plaindre ; nâas-tu pas honte de profĂ©rer tout ça Ă haute voix ? Tu le sais bien, pourtant, tu nâes pas seul : il y a quelquâun qui nous Ă©couteâŠÂ »
A ces mots, sans dĂ©lai, Zarathoustra sâest alors redressĂ© de derriĂšre sa cachette, oĂč il avait Ă©tĂ© aux aguets et avait ouvert grand ses oreilles et ses yeux pour mieux entendre ces paroles et voir ce spectacle. Et le voilĂ qui est sorti de son repaire, qui sâest dirigĂ© vers les deux rois et leur a adressĂ© la parole en ces termes :
« Celui qui vous Ă©coute, qui a dâailleurs bien aimĂ© vous Ă©couter, vous autres rois, il sâappelle Zarathoustra.
Oui, je suis Zarathoustra, celui qui un jour, comme vous, a dit : « Quâimportent encore les rois ! » Pardonnez-moi, mais je me suis rĂ©joui en vous entendant dire : « Quâimporte encore de nous autres rois ! »
Mais vous ĂȘtes ici dans mon royaume et mon rĂ©gime, et non plus dans celui de la populace ! Que pouvez-vous bien chercher dans mon royaume ? Mais qui sait : peut-ĂȘtre que vous avez, en chemin, trouvĂ© ce que je cherche, moi : Ă savoir lâhomme supĂ©rieur ? »
Quand les rois ont entendu cela, ils se sont frappĂ©s la poitrine dâĂ©tonnement et ont dit dâune seule voix : « Nous sommes dĂ©masquĂ©s : cet homme a dĂ©couvert ce que nous cherchons !
Ă Zarathoustra, avec le tranchant de cette parole, tel un glaive, tu dĂ©coupes les tĂ©nĂšbres les plus Ă©paisses de notre cĆur. Tu dĂ©voiles notre dĂ©tresse, notre misĂšre. Car regarde, tu as devinĂ© juste : nous sommes justement en chemin pour trouver lâhomme supĂ©rieur !
Nous sommes Ă la recherche de lâhomme qui dĂ©passe lâhomme tel quâil est habituellement, de lâhomme qui nous dĂ©passe, nous aussi, qui nous est supĂ©rieur â et ce bien que nous soyons rois ! Câest Ă lui que nous amenons cet Ăąne, pour quâil porte ses fardeaux. Car câest lâhomme suprĂȘme qui doit ĂȘtre le maĂźtre sur la terre, le maĂźtre suprĂȘme de la terre : il doit rĂ©gner sur tout le monde, sur les savants comme sur les ignorants, sur les hommes hauts placĂ©s comme sur les hommes de rien.
Il nây a pas de pire malheur dans tout le destin de lâhomme que quand les hommes supĂ©rieurs, les plus puissants sur terre, ne sont pas en mĂȘme temps les premiers, les plus importants, les hommes de loi et de conduite. Tout devient alors faux et de travers ; et monstrueux.
Et quand les gens importants, les hauts placĂ©s sont les derniers des hommes, et pas seulement les derniers, mais encore plus des bĂȘtes que des hommes : alors la populace triomphe toujours davantage, monte et monte toujours plus en valeur ; et, Ă la fin, la vertu du peuple en vient Ă cette extrĂ©mitĂ© de dire : « Regardez, moi seul suis vertu ! » La vertu du peuple devient la vertu de tout un chacun, le modĂšle Ă suivre, contre tout autre rapport au mode et possibilitĂ© dâexistence ».
« Quâest-ce que je viens dâentendre ?, a alors rĂ©torquĂ© Zarathoustra. Quelle Ă©tonnante sagesse chez des rois ! Jâen suis ravi ! Et Ă vrai dire Ă tel point que me vient lâenvie de mettre tout ça en rime, de profĂ©rer un poĂšmeâŠ
Peut-ĂȘtre un poĂšme et des rimes un peu inhabituels, qui ne seront pas faits pour toutes les oreilles. Jâai en effet malgrĂ© moi depuis longtemps dĂ©jĂ , Ă force de recherche et de travail, dĂ©sappris de faire attention aux longues oreilles. Allons ! En avant ! »
(Mais voilĂ quâĂ ce moment, lâĂąne a soudain lui aussi pris la parole, disant distinctement, mais plein de mauvaise volontĂ©, la seule chose quâil peut dire, de toute façon : « I-A, I-A : Oui-da, Oui-da ».)
« Un jour â je crois que câĂ©tait en lâan de grĂące Un â
La Sibylle a dit, dans une ivresse sans vin :
Malheur, les choses tournent maintenant mal !
DĂ©cadence, dĂ©cadence, jamais le monde nâa sombrĂ© si profondĂ©ment !
Rome a sombré en putain et en lupanar,
Le CĂ©sar de Rome sâest fait une bĂȘte, Dieu lui-mĂȘme â est devenu Juif ! »
A en croire la luciditĂ© de la Sibylle â la plus fameuse prophĂ©tesse de lâantiquitĂ© â, le dĂ©but de notre Ăšre sâest jouĂ© Ă une pĂ©riode de grande dĂ©gĂ©nĂ©rescence. La genĂšse du christianisme a eu lieu alors que Rome Ă©tait en perte de vitesse, alors que les guerres civiles Ă©clataient partout. Loin du triomphe des grands hommes, des hommes sains, la sociĂ©tĂ© romaine a vu sâimposer la petitesse, la faiblesse, la sexualitĂ©, le plaisir, la maladie, les querelles intestines : les CĂ©sars eux-mĂȘmes, sâils ont pu ĂȘtre en quĂȘte de grand style, dâhommes supĂ©rieurs, de surhommes, ont dĂ©clinĂ© en bĂȘtes assoiffĂ©es de puissance et de plaisir. Zeus lui-mĂȘme â ou Jupiter, chez les Romains â, le pĂšre des dieux, le dieu de la foudre, qui rĂšgne sur la terre et sur le ciel, de Grec, ou Romain quâil Ă©tait, est devenu Juif : Dieu du peuple Ă©lu, dont le fils JĂ©sus, JĂ©sus-Christ, mort sur la croix, nâest pas seulement le messie, la preuve vivante, ressuscitĂ©e, dâune vie post-mortem, mais encore le fondateur de notre tradition, le fondateur du christianisme.
***
Traduction littérale
Zarathoustra nâĂ©tait pas encore en route depuis une heure dans ses montagnes et ses forĂȘts quand il a vu tout Ă coup vu un Ă©trange dĂ©filĂ©. Juste sur le chemin quâil voulait prendre pour descendre sâavançaient deux rois ornĂ©s de couronnes et de ceintures de pourpre et bariolĂ©s comme des flamants-roses : ils poussaient devant eux un Ăąne chargĂ© de fardeaux. « Que veulent ces rois dans mon domaine ? » a dit Ă©tonnĂ© Zarathoustra Ă son cĆur puis sâest rapidement cachĂ© derriĂšre un buisson. Mais quand les rois sont arrivĂ©s jusquâĂ lui, il a dit, Ă mi-voix, comme quelquâun qui se parlait Ă lui-mĂȘme : « Etrange ! Etrange ! A quoi cela rime-t-il ? Je vois deux rois â et seulement un Ăąne ! »
Les deux rois se sont alors arrĂȘtĂ©s, ont souri, se sont tournĂ©s vers lâendroit dâoĂč venait la voix, et se sont ensuite regardĂ©s : « On pense bien aussi de telles choses parmi nous, dit le roi de droite, mais on ne les exprime pas. »
Mais le roi de gauche a haussĂ© les Ă©paules et a rĂ©pondu : « Câest sans doute un gardien de chĂšvres. Ou un ermite, qui a vĂ©cu trop longtemps parmi les rochers et les arbres. Car ne pas avoir de sociĂ©tĂ© du tout, cela corrompt aussi les bonnes mĆurs. »
« Les bonnes mĆurs ?, a rĂ©torquĂ© lâautre roi, rĂ©calcitrant et amer : qui fuyons-nous donc ? Nâest-ce pas les « bonnes mĆurs » ? Notre « bonne sociĂ©té » ?
En vĂ©ritĂ©, plutĂŽt vivre parmi les ermites et les gardiens de chĂšvres quâau milieu de notre populace dorĂ©e, fausse, outrageusement fardĂ©e â mĂȘme si elle sâappelle la « bonne sociĂ©té »,
â mĂȘme si elle sâappelle « noble ». Mais lĂ tout est faux et pourri, et avant tout le sang, grĂące Ă de vieilles et mauvaises maladies et des guĂ©risseurs plus mauvais encore.
Le meilleur et celui que je prĂ©fĂšre aujourdâhui est encore un paysan sain, grossier, astucieux, tĂȘtu et endurant : telle est aujourdâhui lâespĂšce la plus noble.
Le paysan est aujourdâhui le meilleur ; et lâespĂšce des paysans devrait rĂ©gner ! Mais câest le royaume de la populace, â je ne mâen laisse plus compter. La populace, cependant, ça sâappelle : micmac.
Micmac de populace : tout y est dans tout et pĂȘle-mĂȘle, le saint et le gredin et le hobereau et le juif et tous les bestiaux de lâarche de NoĂ©.
Bonne mĆurs ! Tout est chez nous faux et pourri. Personne ne sait plus vĂ©nĂ©rer : câest justement ça que nous fuyons. Ce sont des chiens doucereux et importuns, ils plaquent dâor les feuilles de palmier.
Ce dĂ©goĂ»t mâĂ©trangle que nous soyons nous-mĂȘmes, nous autres rois, devenus faux, surchargĂ©s dâornements et dĂ©guisĂ©s sous le vieux faste jauni de nos ancĂȘtres, mĂ©dailles dâapparat pour les plus bĂȘtes et les plus rusĂ©s et pour quiconque trafique aujourdâhui avec le pouvoir !
Nous ne sommes pas les premiers â et devons pourtant les reprĂ©senter : nous sommes enfin rassasiĂ©s et dĂ©goĂ»tĂ©s de cette escroquerie.
Nous avons quittĂ© le chemin de la racaille, de tous ces braillards et ces mouches scribouillardes, de cette puanteur dâĂ©picier, du piĂ©tinement dâambition, de la mauvaise haleine â : pouah, vivre parmi la racaille,
â pouah, reprĂ©senter les premiers parmi la racaille ! Ah, dĂ©goĂ»t ! DĂ©goĂ»t ! DĂ©goĂ»t ! Quâimporte encore de nous autres rois ! » â
« Cette vieille maladie te reprend, a alors dit le roi de gauche, le dĂ©goĂ»t te reprend, mon pauvre frĂšre. Mais tu le sais pourtant, il y a quelquâun qui nous Ă©coute. »
Sans dĂ©lai Zarathoustra sâest redressĂ©, lui qui avait ouvert grand ses oreilles et ses yeux Ă ces paroles, est sorti de son repaire, sâest dirigĂ© vers les rois et a commencĂ© ainsi :
« Celui qui vous Ă©coute, qui aime bien vous Ă©couter, vous autres rois, il sâappelle Zarathoustra.
Je suis Zarathoustra, celui qui un jour a dit : « Quâimportent encore les rois ! » Pardonnez-moi, je me suis rĂ©joui quand vous vous ĂȘtes dit : « Quâimporte de nous autres rois ! »
Mais câest ici mon royaume et mon rĂ©gime : que pouvez-vous bien chercher dans mon royaume ? Mais peut-ĂȘtre que vous avez, en chemin, trouvĂ© ce que je cherche : Ă savoir lâhomme supĂ©rieur. »
Quand les rois ont entendu cela, ils se sont frappĂ©s la poitrine et ont dit dâune seule voix : « Nous sommes reconnus !
Avec le glaive de cette parole, tu dĂ©coupes les tĂ©nĂšbres les plus Ă©paisses de notre cĆur. Tu dĂ©couvres notre dĂ©tresse, car regarde !, nous sommes en chemin pour trouver lâhomme supĂ©rieur â
â lâhomme qui est supĂ©rieur Ă nous : bien que nous soyons des rois. Câest Ă lui que nous amenons cet Ăąne. Car lâhomme suprĂȘme doit aussi ĂȘtre le maĂźtre le plus haut sur terre.
Il nây a pas de pire malheur dans tout le destin de lâhomme que quand les puissants sur terre ne sont pas aussi les premiers hommes. Tout devient alors faux et de travers et monstrueux.
Et mĂȘme quand ils sont les derniers et plus des bĂȘtes que des hommes : alors la populace monte et monte en valeur, et enfin la vertu du peuple en vient mĂȘme Ă dire : « Regardez, moi seul suis vertu ! » â
Quâest-ce que je viens dâentendre ?, a rĂ©pondu Zarathoustra ; quelle sagesse chez des rois ! Je suis ravi et, Ă vrai dire, je suis dĂ©jĂ envieux dâen faire une rime : â
â peut-ĂȘtre une rime qui ne sera pas faite pour toutes les oreilles. Jâai depuis longtemps dĂ©jĂ dĂ©sappris de faire attention aux longues oreilles. Allons ! En avant !
(Mais, lĂ , il est arrivĂ© que lâĂąne a aussi pris la parole : mais il a dit distinctement et avec une volontĂ© mĂ©chante Oui-da.)
Un jour â je crois que câĂ©tait en lâan de grĂące Un â
La Sibylle a dit, dans une ivresse sans vin :
Malheur, les choses tournent maintenant mal !
DĂ©cadence, dĂ©cadence, jamais le monde nâa sombrĂ© si profondĂ©ment !
Rome a sombré en putain et en lupanar,
Le CĂ©sar de Rome sâest fait une bĂȘte, Dieu lui-mĂȘme â est devenu Juif !
***
Il sâagit ci-dessus du troisiĂšme chapitre  (1/2) de la « QuatriĂšme et derniĂšre partie » des « Discours de Zarathoustra » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement rĂ©investi (en haut) et traduction littĂ©rale (en bas). Les autres chapitres et parties se trouvent ici.