PREMIÈRE PARTIE DU DERNIER OPUS DE LARS VON TRIER, avec Charlotte Gainsbourg, Shia LaBeouf, Stacy Martin, Uma Thurman, Stellan Skarsgard, Christian Slater, Connie Nielsen. Expression de la folie furieuse qui gronde au fond de nous.
Voilà bien longtemps qu’on sait que Lars von Trier est fou : qu’il est pris de mania, de folie. Et voilà bien longtemps qu’on a remarqué que sa folie n’est pas une maladie mentale, clinique, purement humaine, mais qu’elle découle du fait qu’il se laisse posséder par des forces divines, qui le traversent de fond en comble. Puissances qui le détournent de la vie quotidienne, de la compréhension générale et le plongent dans l’intériorité la plus profonde et la plus secrète de l’existence et du monde.
Dans le fond abyssal de la vie
Or cette dernière, qui n’est autre que le fond abyssal de la vie, est largement marquée par le mystérieux et incessant désir d’apparaître à la lumière à partir des profondeurs cachées. Par l’énigmatique énergie dionysiaque qui anime tout phénomène vivant. Par ce que l’homme occidental tardif a pris pour habitude de réduire à la pure et simple sexualité.
A vrai dire, Lars von Trier n’est pas seulement fou, mais le devient toujours davantage. Au point qu’il n’y aura peut-être bientôt plus personne pour le comprendre. Or si c’est le cas, s’il est en train de perdre contact même avec ses plus fidèles admirateurs, si, de prophète, il est sur le point de passer du côté des martyrs, c’est somme toute en réaction à la platitude de notre monde qui, à force de vouloir la normalité, l’efficacité, le confort et la facilité idéales, devient de plus en plus humain, de plus en plus sec – et de moins en moins fou.
Nos existences n’ont-elles pas tendance à s’appauvrir et se dessécher toujours plus, en nous et en dehors de nous, dans nos têtes et dans nos corps ? Nos structures de pensée ne sont-elles pas toujours en train de transformer, de régulariser, de moraliser et d’uniformiser ce qui nous arrive ? Notre vision du monde n’est-elle pas de plus en plus abstraite et superficielle ? Notre rapport aux choses ne devient-il pas en même temps de plus en plus pragmatique, catégorique, rationnel et moral ?
Poésie de la chair
Si Lars von Trier est poussé à ses extrémités, s’il se voit contraint d’aller très loin dans la poésie de la chair, des tensions, de la violence et du chaos, c’est pour rétablir l’équilibre perdu. Lars von Trier ne fait rien d’autre que prendre à son compte sa tâche d’homme, c’est-à -dire d’individu artiste de la vie en général. Or celle-ci souffre plus que jamais du béton qu’on ne se lasse de lui couler sur la figure.
La folie qui s’empare de l’artiste relève de nul autre que de Dionysos lui-même. Elle consiste en quelque chose d’aussi effrayant et imprévisible que les caprices démoniaques de l’orage et de la mer ; en quelque chose d’aussi involontaire que les convulsions et la bave de l’épileptique. Aussi, tous ses personnages sont-ils des masques et porte-voix des forces de vie de ce monde aux abois. Forces de vie tantôt divines, tantôt humaines, tantôt dans une insupportable tension entre les deux.
Nymphomaniac
En gros, dans Nymphomaniac, il y a deux personnages principaux : d’abord Joe (Charlotte Gainsbourg aujourd’hui, Stacy Martin dans sa jeunesse), qui raconte des chapitres de sa vie de nymphomane, puis Seligman (Stellan Skarsgard), qui la recueille et l’écoute. Tous deux ne sont pas insensibles et s’y connaissent pour ce qui est de la vie. Joe en matière de chair et d’excès de chair ; Seligman en matière de culture, de pensée et de modération. Ensemble, ils nous racontent la vie, divine et humaine, et les réactions de la vie, divines et humaines, dans notre époque actuelle.
Depuis sa plus tendre enfance, Joe est guidée par les sensations, les sensations fortes, qui ont tôt fait d’apparaître et de se déployer outrageusement dans la sexualité : le plaisir, le désir, la possession, le pouvoir, la violence, l’intensité, bien sûr, mais aussi le jeu, la stratégie, la fiction, qui sont autant de stimulants inconscients de l’existence quotidienne, sinon toute de fadeur, d’ennui et de solitude. Jusqu’à la mort.
En face, à côté, en même temps, on trouve le vieux Seligman : charmant juif célibataire, cultivé, mélomane et pêcheur du dimanche, a priori tout d’intelligence et de sagesse. C’est à lui que Joe raconte son histoire. Ou plutôt avec lui, tant il l’épaule et l’accompagne dans l’accouchement de la vérité claire-obscure, tendre-violente, terrible et belle, de sa vie en sursis. Et pas seulement la vérité de sa vie à elle, mais finalement de la vie humaine-divine de tout un chacun.
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