Deuxième partie du long prêche de sagesse tragique que Zarathoustra distille à ses hôtes, les hommes supérieurs, là-haut, dans sa caverne perchée dans les montagnes.
Zarathoustra rebondit sur la question apparue dans sa première leçon : celle de Dieu, du Bon Dieu comme garant de nos valeurs, de nos idées, dont notamment celle d’égalité entre les hommes. Zarathoustra reprend – pour mieux s’en démarquer – les propos de la plupart, qui affirme aveuglément : « Nous sommes tous égaux devant Dieu ».
« Devant Dieu ! », souffle-t-il ; mais ce Dieu, le Bon Dieu est désormais mort ! Il a perdu son efficace, comme guide des hommes ; ce sont aujourd’hui d’autres valeurs qui imprègnent le monde. Vous autres hommes supérieurs le savez mieux que personne : ce Dieu n’était-il pas votre plus grand danger ? Ne vous empêchait-il pas d’évoluer à votre guise ? De suivre votre bon sens, vos sensations profondes, votre musique intérieure à vous ? Ne vous emprisonnait-il pas dans son système de pensée et de valeurs idéalistes, optimistes, pessimistes, arrachées de tout bon sens terrestre ?
Et Zarathoustra de continuer en ces termes : ce n’est que depuis qu’il est mort, depuis qu’il est couché dans sa tombe, que vous êtes debout, vous ; que vous êtes ressuscités, que votre horizon – et par là l’horizon de toute l’humanité – est dégagé. Voilà seulement qu’arrive le grand midi, l’heure de la plus grande clarté, de la plus grande chaleur, de la plus grande lucidité ! Voilà seulement que l’homme supérieur, l’homme créateur, qu’importe qu’il soit scientifique, artiste, politicien, économiste, voilà que d’esclave qu’il était, il devient – maître !
Comprenez-vous cette parole, ô mes frères ? Comprenez-vous ce que ça représente ? Quels changements la mort de Dieu implique ? Vous en êtes effrayés : votre cœur est pris de vertige ? L’abîme s’ouvre, ici, béant devant vous ? Le chien des enfers glapit, ici, devant vous ? Vous avez peur de votre liberté ? De vos possibilités ? De votre responsabilité ?
Allez ! En route ! Vous autres hommes supérieurs ! Ne vous arrêtez pas en si bon chemin. Ce n’est que maintenant que la montagne crisse, que la terre entière est grosse d’avenir pour l’homme. Dieu est mort, l’homme défini par sa seule raison, l’homme devenu humain, trop humain, l’homme idéaliste, romantique, optimiste, pessimiste, appartient dès lors au passé : nous autres voulons que désormais vive, non plus l’homme, mais le… surhomme !
Mettons tout en œuvre pour lui permettre de voir le jour : lui seul nous donnera de nouvelles valeurs, nous guidera vers l’équilibre et la justice, dans nos actions ; lui seul donnera à la vie, à notre vie, son sens et sa cohérence. Allez, mettons tout en œuvre pour que puisse vivre le surhomme !
Telle est la deuxième des vingt leçons de Zarathoustra.
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Traduction littérale
Devant Dieu ! – Mais ce Dieu est désormais mort ! Vous autres hommes supérieurs, ce Dieu était votre plus grand danger.
Ce n’est que depuis qu’il est couché dans sa tombe que vous êtes ressuscités. Voilà seulement qu’arrive le grand midi, voilà seulement que l’homme supérieur devient – maître !
Comprenez-vous cette parole, ô mes frères ? Vous êtes effrayés : votre cœur est pris de vertige ? L’abîme s’ouvre, ici, béant devant vous ? Le chien des enfers glapit, ici, devant vous ?
Allez ! Allons ! Vous autres hommes supérieurs ! Ce n’est que maintenant que la montagne crisse de l’avenir de l’homme. Dieu est mort : nous voulons désormais – que vive le surhomme.
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Il s’agit ci-dessus du treizième chapitre (2/20) de la « Quatrième et dernière partie » des « Discours de Zarathoustra » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement réinvesti (en haut) et traduction littérale (en bas). Les précédents chapitres et parties se trouvent ici. Musique : Keith Jarrett, Köln Concert, 1975.