CHRONIQUE PHUSIQUE SUR LE PHÉNOMÈNE peut-être le plus stupéfiant de la nature : l’intelligence rationnelle. Alors qu’elle a été absente de la surface de la terre pendant des éternités, elle est progressivement apparue dans la tête d’un genre d’animal pour le moins spécial : cette drôle de sorte de singe qu’est l’homme.
La question est de savoir comment il se fait que ce soit précisément en lui qu’elle ait émergé ? Les réponses intelligentes courent les rues : les chrétiens prétendent que c’est le Bon Dieu qui l’a accordée à l’homme ; les pragmatiques qu’elle représente ni plus ni moins l’accomplissement final, le couronnement suprême de l’évolution de notre espèce.
Or ces explications sont fausses : si nous avons gagné l’intelligence, c’est au fond par faiblesse et mésentente phusique, comme le dit le PERI PHUSEOS à la page 346 :
« Si l’intelligence s’est faite jour, c’est pour parer à nos faiblesses phusiques ; servir d’auxiliaire, de béquille aux êtres les plus défavorisés, les plus vulnérables et éphémères de la phusis. Pour leur permettre de se maintenir en vie malgré leur constitution terriblement fragile et maladroite, le développement particulièrement raté de leurs sens ; le tout doublé d’une absence de cornes, de griffes, d’ailes et de mâchoire carnassières pour se défendre. »
L’intelligence apparaît ainsi comme moyen de conservation ; moyen de conservation qui s’avère somme toute être un dangereux moyen de dissimulation, dont on peut toutefois se sauver en se mettant en toute honnêteté à l’écoute de la phusis…
L’intelligence n’est-elle donc de nouveau une force phusique, qui nous permet de regagner l’harmonie avec nos faiblesses? Ou je n’ai rien compris de ta chronique?
A part cela, la rationalité est au fond quelque chose de très simple: on se fixe un objectif (« être heureux » etc.) et on fait ce qu’on peut pour atteindre cet objectif. Finalement, l’optimisation de nos actes par la rationalité se fait dans une seule dimension. Peut-on imaginer autres « intelligences » capables d’atteindre plusieurs objectifs, même contradictoires?
Oui, à la base, l’intelligence est bel et bien une force phusique qui permet à l’homme de compenser ses faiblesses (notamment par la fabrication d’abris, d’outils, d’armes, etc). Le problème intervient quand celle-ci devient outrée, et par suite purement rationnelle, abstraite: l’homme n’a alors plus pour objectif la compensation de ses faiblesses, mais la réalisation d’un monde meilleur, et même idéal (de stabilité, de confort, d’amour, de bonheur, etc.); monde qui n’a somme toute rien à voir avec la phusis telle qu’elle va et vient dans l’ici et maintenant. La force phusique qu’est l’intelligence devient ainsi une faiblesse phusique, au sens où elle déracine l’homme de la phusis, l’arrache de la (et sa) nature propre.
Peut-on imaginer une autre intelligence, capable d’atteindre plusieurs objectifs, même contradictoires? C’est à vrai dire précisément celle que vise à stimuler et réaliser le mouvement phusique: une intelligence qui ne cherche pas à produire un monde idéal, mais à accompagner, prolonger, voire accomplir de manière harmonieuse – en toute conformité avec la musique de la vie dans son ensemble – le monde ici et maintenant en son déploiement propre…