Fifty shades sans nuances

LA RÉCENTE SORTIE DE FIFTY SHADES OF GREY, premier tome de la trilogie à succès d’E.L. James, a fait événement. Vendu à plus de 40 millions d’exemplaires en Angleterre et aux Etats-Unis, le livre se trouve partout. Qu’est-ce qui se cache derrière ce titre à consonance phusique ?

Le mot « shade » signifie à la fois l’ombre et la nuance. Il exprime tout l’intérêt et le mystère inhérent à la vie phusique : ce qui n’est pas en pleine lumière, pas complètement éclairé et éclairci ; ce qui est clair-obscur, marqué par une certaine ambiguïté. Des « shades », le titre du livre d’E.L. James en annonce exactement cinquante. Mais s’agit-il de cinquante nuances de gris ? Ou alors des cinquante ombres de Grey, le jeune milliardaire qui se trouve avec l’étudiante Anastasia Steele au centre du roman ?

Projecteurs aveuglants…

Si le terme de « shades » peut être adéquat pour exprimer la vie, on voit mal comment il peut fonctionner comme titre d’un livre qui s’est déjà vendu à plus de 40 millions d’exemplaires. Les ombres et les nuances ne font en effet pas partie des ingrédients traditionnels d’un blockbuster américain – tout comme elles ne sont pas les bienvenues aux Jeux olympiques et n’apparaissent que rarement sur les affiches publicitaires. Lorsqu’il s’agit de divertir ou de vendre, les choses doivent être claires : des zones obscures, des incertitudes, on en rencontre déjà bien assez dans sa vie de tous les jours ; aussi leur préfère-t-on les histoires nettes et crues, les effets spectaculaires, les projecteurs aveuglants – et les femmes les plus belles et les plus dévoilées possibles.

… sur les gris de la vie

Qu’en est-il donc de Fifty Shades of Grey ? A-t-on vraiment, comme l’indique le titre, affaire à un livre phusique, marqué par les jeux d’ombres et les nuances ? Ou s’agit-il bien plutôt, comme on l’entend çà et là, de « mommy porn » pur et dur, de porno pour ménagères ? Plonge-t-on dans une mystérieuse histoire d’amour, faite d’entrelacs et d’ambiguïtés, ou dans une variante sexy d’une love story hard à l’américaine ? A vrai dire, seule l’intrigue est marquée par les ombres et le cache-cache. Sinon, on ne sort jamais de ce qui crève les yeux : tout n’est que jeu de projecteurs sur les gris de la vie psychique et sexuelle des deux tristes individus que sont Christian Grey et Anastasia Steele. Jamais les mystères de la vie ne montent à la surface.

Cinquante ombres sans nuances

Si E.L. James fait parfois preuve de retenue – par exemple dans la description des scènes les plus chaudes –, ce n’est pas tant pour laisser jouer les demi-teintes que pour ne pas trop choquer son public, et s’assurer par là une bonne place sous les spots des présentoirs de librairie sans être relégué dans l’ombre du rayon « pour adultes ». Le doute, les nuances, les énigmes et les équivoques restent lettre morte : tout est expliqué crûment, clairement, décrit et répertorié de manière froide et mécanique. En témoigne par exemple la liste de méthodes et pratiques sado-maso que le jeune milliardaire fait valider à sa vierge et ingénue amante.

Des automates qui s’entrechoquent

Grey et Anastasia sont eux aussi d’une pièce, sans la moindre trace de « shade ». Tous deux endossent leur rôle jusqu’à la caricature. Leurs différences rend certes leur histoire fort éloignée des clichés amoureux, mais, dénués qu’ils sont de profondeur, et donc de complexité, ils ne sont que des robots qui cherchent à se programmer l’un l’autre : vissés qu’ils sont dans leur rôle et position, ils apparaissent au final comme autant d’automates qui s’entrechoquent sans jamais ni se rencontrer vraiment, ni se faire évoluer mutuellement.

Bref : les Fifty Shades of Grey auront tôt fait de désespérer les amoureux des innombrables ombres et nuances colorées qui s’expriment dans la merveilleuse phusis.

1 Comment

  1. Dommage…! Dommage qu’un best-seller comme Fifty Shades of Grey ne soit pas plus teinté d’expériences phusiques. Car affirmer ceci, c’est dire que les plus de 40 millions de lecteurs de ce bouquin sont passés à côté de quelque chose qui aurait pu être bien… Si seulement E.L James était tombée un jour sur phusis.ch, un site peut-être un peu trop caché dans la Toile.

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