SOUS-TITRĂS « LE CHANT DU OUI ET AMEN », « Les sept sceaux » font Ă©cho Ă lâApocalypse de la Bible, oĂč Jean prĂ©sente la terrible rĂ©vĂ©lation (apokalupsis) que lui a faite JĂ©sus-Christ des sĂ©ries de flĂ©aux qui vont sâabattre sur terre avant la fin du monde. Lâune de ces sĂ©ries lui est prĂ©cisĂ©ment dĂ©voilĂ©e Ă lâouverture dâun petit livre scellĂ© de sept sceaux (avant tout chapitre 6). Leur descellement par lâagneau de dieu annonce la multiplication des fausses sĂ©ductions, guerres, famines, malheurs, morts, jugements derniers et autres cataclysmes qui marquent la fin des temps.
Les sept sous-chapitres « Des sept sceaux » de Zarathoustra rĂ©pondent Ă leur maniĂšre, musicalement inversĂ©e, Ă lâApocalypse biblique : loin de dĂ©voiler lâultime sagesse chrĂ©tienne â la nĂ©gation absolue du monde ici-bas pour le paradis post mortem â, ils reprĂ©sentent autant de strophes dudit chant du Oui et de lâAmen : lâaffirmation inconditionnĂ©e du monde ici et maintenant comme Ă©ternel retour du mĂȘme en son va-et-vient tragique en direction du surhomme.
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Si je suis un prophĂšte, si je suis rempli de cet esprit divinatoire qui chemine sur une haute crĂȘte entre deux immenses et profondes mers abyssalesâŠ
Si mon esprit prophĂ©tique chemine en lourd nuage dâaltitude entre lâimmense et abyssale mer du passĂ© et lâimmense et abyssale mer de lâavenir⊠Si je suis lâennemi de tout ce qui est fermĂ©, qui nâa pas dâair, qui sent le renfermĂ© ; si je suis lâennemi des lourds, moites et Ă©touffants bas-fonds ; et si je suis lâennemi de tout ce qui est fatiguĂ©, de tout ce qui est tellement fatiguĂ© quâil nâest pas seulement devenu incapable de vivre, mais encore incapable de mourir, â de sorte quâil traĂźne comme une Ăąme en peine dans un monde qui lui est aussi Ă©tranger quâindiffĂ©rentâŠ
Si, lĂ -haut, en mon sein, en mon sombre sein de nuage, je suis prĂȘt Ă me dĂ©charger dâun Ă©clair, Ă me dĂ©charger dâun violent rayon de lumiĂšre rĂ©dempteur, libĂ©rateur⊠Si je suis gros dâĂ©clairs affirmateurs, plein dâĂ©clairs qui disent « oui ! », qui rient « oui ! » ; si je suis prĂȘt Ă dĂ©verser sur le monde entier mes rayons dâĂ©clairs affirmateurs et prophĂ©tiquesâŠ
â Ah !, comme il est bienheureux, le lourd nuage au sein si riche, si plein, si fĂ©cond, si prĂȘt Ă enfanter ! Bien sĂ»r, câest vrai, le lourd nuage doit dâabord longtemps rester lĂ -haut, accrochĂ© Ă la montagne, avant de se transformer en lourd orage, avant dâĂȘtre suffisamment fort et chargĂ© pour, un jour, pouvoir Ă©clairer le monde Ă coups de rayons lumineux affirmateurs et prophĂ©tiques, allumer dans le monde la lumiĂšre de lâavenir ! â
Si je suis un tel prophĂšte, ĂŽ comment pourrais-je ne pas ĂȘtre dĂ©sireux dâĂ©ternitĂ©, sensuellement, sexuellement attirĂ© par lâĂ©ternel retour du mĂȘme, moi le prophĂšte du nuptial anneau des anneaux, le prophĂšte de lâanneau de lâĂ©ternel retour du mĂȘme ?
Jâai beau avoir cherchĂ©, jamais je nâai trouvĂ© la femme avec qui je voulais faire des enfants ; jamais je nâai aimĂ© de femme au point de vouloir, avec elle, perpĂ©tuer mon genre et faire des enfants ; ne serait-ceâŠ, ne serait-ce avec cette seule femme que jâaime de fond en comble : lâĂ©ternitĂ©. Il nây a quâavec elle, quâavec lâĂ©ternitĂ© et pour lâĂ©ternitĂ© que je veux faire des enfants, que je veux perpĂ©tuer mon genre et donner naissance Ă de beaux enfants, de beaux enfants remplis de force, de maĂźtrise et de joie. Car je tâaime, ĂŽ Ă©ternitĂ© ! Et avec toi et pour toi je veux tout faire ; avec toi et pour toi je veux produire le meilleur, avec toi et pour toi je veux avancer en direction du surhomme, contribuer Ă la naissance du surhomme !
Car je tâaime, ĂŽ Ă©ternitĂ© !
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Traduction littérale
Si je suis un prophĂšte et plein de cet esprit prophĂ©tique qui chemine entre deux mers sur une crĂȘte Ă©levĂ©e, â
qui chemine en tant que lourd nuage entre ce qui est passĂ© et Ă venir, â ennemi des moites bas-fonds et de tout ce qui est fatiguĂ© et qui ne peut pas mourir ni vivre :
prĂȘt Ă lâĂ©clair dans le sombre sein et au rayon de lumiĂšre rĂ©dempteur, gros dâĂ©clairs qui disent oui !, qui rient oui !, prĂȘt Ă des rayons dâĂ©clairs prophĂ©tiques : â
â mais bienheureux est celui qui est ainsi enceint ! Et en vĂ©ritĂ©, il doit ĂȘtre longtemps suspendu comme lourd orage Ă la montagne celui qui doit un jour allumer la lumiĂšre de lâavenir ! â
Ă comment ne devrais-je pas ĂȘtre dĂ©sireux dâĂ©ternitĂ© et du nuptial anneau des anneaux, â lâanneau du retour ?
Jamais encore je nâai trouvĂ© la femme dont je voudrais des enfants, ne serait-ce cette femme que jâaime : car je tâaime, ĂŽ Ă©ternitĂ© !
Car je tâaime, ĂŽ Ă©ternitĂ© !
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Il sâagit ci-dessus de la premiĂšre partie du seiziĂšme chapitre de la « TroisiĂšme partie » des « Discours de Zarathoustra » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement rĂ©investi (en haut) et traduction littĂ©rale (en bas). Les prĂ©cĂ©dents chapitres et parties se trouvent ici.