Révolte de Penthée

Autel aux dieux342-357 – RéalimentationAPRÈS LA VAINE TENTATIVE de Tirésias de remettre le roi Penthée sur le bon chemin, Cadmos est à son tour venu faire entendre à son petit-fils combien il se fourvoie en refusant Dionysos dans sa cité. Notamment en lui indiquant quel danger il encourt de survaloriser la puissance de sa petite raison humaine aux dépens de la grande raison divine.

Croyant en toute naïveté être parvenu à le détourner de sa vision simpliste du monde, il s’approche alors de son petit-fils pour lui couronner la tête de lierre et en faire un serviteur du dieu. Mais Penthée ne l’entend pas de cette oreille. Et même plus : complètement sourd aux mises en garde de son grand-père, il réagit de manière on ne peut plus vive et violente : « Non, bats les pattes ! Ne me touche pas ! », s’écrie-t-il irrité, comme s’il craignait d’attraper par seul contact la dangereuse maladie dont est selon lui victime son grand-père.

La situation est sans issue : Cadmos et Penthée se considèrent mutuellement comme fous. Tous deux estiment que l’autre a perdu la raison, le contact avec la réalité et agit de manière scandaleusement délirante ; Cadmos à partir de l’expérience traditionnelle, divine, du monde, Penthée à partir de son humaine vision rationnelle-morale. « Si tu crois à toutes ces balivernes, poursuit alors Penthée, va donc rejoindre tes semblables dans les montagnes ! Va donc célébrer avec eux Bacchos, ton prétendu dieu, mais garde-toi de contaminer mon humble personne par ta folle sottise ! »

Aussi déchaîné que sûr de lui, Penthée se tourne ensuite vers Tirésias. Pour ce « maître en déraison », comme le roi nomme le vieux devin, responsable selon lui non seulement des extravagances dont est victime la cité, mais encore de la perte de raison et folie de Cadmos, il n’y a qu’une chose à faire : le poursuivre en justice et lui infliger un juste châtiment. Une sanction d’une telle ampleur que le prophète ne s’en relèvera pas : la destruction pure et simple du siège sacré d’où il observe et interprète les vols d’oiseaux, signes divins annonciateurs de l’avenir.

« Que quelqu’un vienne, vite ! », s’exclame soudain le roi, avant d’ordonner au premier garde qui se présente de renverser le promontoire prophétique avec des leviers, et même davantage : de le retourner dans tous les sens, de le mettre littéralement sans dessus dessous. Quant aux bandelettes sacrées suspendues à l’observatoire en guise de signe divin, qu’elles soient livrées aux vents et aux tempêtes ! C’est ainsi que Penthée entend se venger des révoltantes instigations et inacceptables affirmations de Tirésias : c’est ainsi, en s’attaquant à ce qui fait la force même du devin, que le roi entend le « mordre », le blesser au plus haut point, l’empêcher une fois pour toutes d’agir.

Tous les autres gardes accourus, Penthée les met en chasse de « l’étranger à l’aspect féminin » : il les envoie ratisser la ville pour mettre la main sur l’asiatique efféminé, l’inconnu fauteur de trouble venu à Thèbes dans le seul but selon lui d’exciter les femmes et leur apporter ce que Penthée appelle sans penser si bien dire « une maladie inédite » ; maladie qui, en réaction aux excès d’organisation de la cité, leur fait perdre tout ordre, tout contrôle et toute raison : les fait abandonner leurs tâches et leurs familles, quitter la cité, et les plonge dans un débordement frénétique de sexualité et de violence qui souille désastreusement le bon équilibre et le calme rassurant des couches matrimoniales.

Emporté par sa colère, suivant son imagination vengeresse et délétère, Penthée continue encore : si ce dangereux personnage est attrapé, qu’il soit enchaîné et amené au palais ! Il sera alors lui aussi jugé conformément à la loi – et condamné à la seule sentence que mérite tel corrupteur des bonnes mœurs : la lapidation à mort. Lapidation qui sera en même temps significative et exemplaire : en tentant d’esquiver les violents coups de pierres, le condamné se mettra à s’agiter et à bondir au point de se rendre à l’évidence quelles conséquences piquantes et amères engendre à Thèbes un tel transport bachique ; et il aura tout loisir de comprendre dans quelle mesure la danse dionysiaque est passible de mort dans une cité à l’ordre et aux valeurs irréprochables…

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Texte original (Bacchantes, vers 342-357)

342-357 – TextePENTHÉE

Non, n’avance pas ta main ! Va plutôt célébrer Bacchos !
Et ne viens pas essuyer  sur moi ta folle sottise !
Et celui-ci, ton maître en déraison
Je vais le poursuivre en justice, le châtier. Que quelqu’un vienne, vite !
Qu’on aille vers le siège d’où il observe les oiseaux !
Oui, toi, là, renverse-le avec des leviers et retourne-le dans tous les sens,
Mets-le sans dessus dessous,
(350) Et livre ses bandelettes sacrées aux vents et aux tempêtes !
En procédant de la sorte, je le mordrai, le blesserai au plus haut point.
Et vous autres, parcourez la ville et suivez-le à la trace
L’étranger à l’aspect féminin qui apporte à nos femmes une maladie
Inédite et souille nos lits de mariage.
Et si vous l’attrapez, enchaînez-le et conduisez-le
Ici, pour qu’il soit condamné à être lapidé
A mort, et qu’il voie l’amertume de son transport bachique à Thèbes.

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ΠΕΝΘΕΥΣ

οὐ μὴ προσοίσεις χεῖρα, βακχεύσεις δ’ ἰών,
μηδ’ ἐξομόρξηι μωρίαν τὴν σὴν ἐμοί;
τῆς σῆς <δ’> ἀνοίας τόνδε τὸν διδάσκαλον
δίκην μέτειμι. στειχέτω τις ὡς τάχος,
ἐλθὼν δὲ θάκους τοῦδ’ ἵν’ οἰωνοσκοπεῖ
μοχλοῖς τριαίνου κἀνάτρεψον ἔμπαλιν,
ἄνω κάτω τὰ πάντα συγχέας ὁμοῦ,
(350) καὶ στέμματ’ ἀνέμοις καὶ θυέλλαισιν μέθες·
μάλιστα γάρ νιν δήξομαι δράσας τάδε.
οἱ δ’ ἀνὰ πόλιν στείχοντες ἐξιχνεύσατε
τὸν θηλύμορφον ξένον, ὃς ἐσφέρει νόσον
καινὴν γυναιξὶ καὶ λέχη λυμαίνεται.
κἄνπερ λάβητε, δέσμιον πορεύσατε
δεῦρ’ αὐτόν, ὡς ἂν λευσίμου δίκης τυχὼν
θάνηι, πικρὰν βάκχευσιν ἐν Θήβαις ἰδών.

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Les passages précédents des Bacchantes se trouvent ici.

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