Apollodore | La folie de Lycurgue

vendanges 2ON CLASSE AUJOURD’HUI SOUS LE NOM D’APOLLODORE un texte fragmentaire du début de l’ère chrétienne qui nous donne à lire la synthèse de la vie de plusieurs personnages mythiques. Bien que son origine soit douteuse et sa recomposition problématique, il nous permet de compléter nos connaissances en matière de mythes grecs. Et notamment en ce qui concerne l’histoire du fol égarement de Lycurgue, que nous connaissons déjà de l’Iliade homérique.

Nous apprenons ainsi que Lycurgue, fils de Dryas et roi des Edoniens – peuple thrace établi dans la région du fleuve Strymon –, est le premier homme à commettre un acte d’hubris, de démesure, d’excès, vis-à-vis du divin Dionysos. Et ce alors même que ce dernier est encore un nourrisson. Refusant les forces de vie qu’il incarne, Lycurgue n’hésite pas à l’expulser de son territoire, à le chasser hors de son pays. Sans défense, le petit Dionysos s’en va ainsi se réfugier dans les profondeurs de la mer, auprès de la divine Thétis, fille marine de Nérée, bien connue pour ses dons de métamorphoses.

Les Bacchantes, les suivantes de Dionysos, qui entourent et accompagnent le rejeton divin dans ses activités, ne sont quant à elles pas assez promptes et ne parviennent pas à s’enfuir. Elles sont arrêtées et jetées en prison par les hommes du roi, qui mettent ainsi fin aux célébrations du culte dionysiaque. Et les Satyres, ces êtres étranges, aux oreilles et au bas du corps de cheval et au sexe volontiers proéminent qui accompagnent le dieu dans ses cortèges festifs, sont eux aussi jetés aux fers.

Mais la séquestration des compagnons de Dionysos et l’étouffement des rites bachiques ne durent jamais indéfiniment. On ne se défait en effet pas comme ça, du jour au lendemain, des forces exubérantes de la nature. En tant que dieu du va-et-vient de la vie et de la mort, Dionysos finit toujours par réapparaître, par réparer les méfaits et châtier leurs auteurs. C’est ainsi que les Bacchantes et les Satyres sont tout à coup délivrés et peuvent reprendre leurs activités sacrées ; et c’est ainsi que Lycurgue est soudain frappé de folie.

Et Dionysos de détourner à ce point le regard du roi que ce dernier en vient à perdre la raison et à tuer son propre fils, nommé Dryas comme son grand-père paternel. Rendu complètement ivre par Dionysos, Lycurgue prend son rejeton pour… un cep de vigne qui a besoin d’un bon coup de taille. Le voilà donc qui, de sa hache, lui tranche d’un coup sec et sonnant les mains et les pieds.

Dyras, un cep de vigne ? On dirait que le divin Dionysos – le dieu des forces productrices de vie, dont l’exubérance s’exprime notamment dans la vigne et son fruit humain-divin qu’est le vin –, bien que devenu adulte, a gardé son esprit enfantin et ne manque pas de s’amuser un peu en châtiant ainsi Lycurgue…

Et le dieu n’en reste pas là : loin de laisser le roi dans l’insouciant bien-être de sa folie, il a tôt fait de lui faire recouvrer ses esprits et partant sa capacité de discernement. C’est en effet en homme clairvoyant, en pleine possession de ses moyens, que Lycurgue doit prendre conscience de son acte de folie et de son fourvoiement : en chassant le dieu garant du bon équilibre des phénomènes, en enfermant ses fidèles, il a fait du tort au monde entier : en cherchant à se débarrasser de ce qu’il considérait comme un inutile et dangereux excès, il a ni plus ni moins risqué de priver le monde de sa sève et ressource nourricière.

Face à ces épisodes, les Edoniens se trouvent forcément effrayés. Aussi – comme on le fait dans de telles circonstances en Grèce ancienne – s’en vont-ils consulter l’oracle du dieu. C’est ainsi qu’ils apprennent que seule la mort de Lycurgue rendra au monde son équilibre, sa stabilité et fertilité, et permettra à la terre de reprendre son cycle de production. Aussi, les hommes n’hésitent pas à s’en prendre à leur roi désespéré : ils s’emparent de lui, l’attachent et le conduisent au sommet d’une montagne de leur pays, le Pangée, où ils le tuent en le faisant écarteler par des chevaux.

Le démembrement, la mort apparaît ainsi comme seule punition possible pour celui qui refuse d’honorer et de célébrer comme il se doit le divin Dionysos. 

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