Apparition du Dithyrambe

Cep de vigne face au soleilRealimentation 519-536TOUJOURS AUSSI FIER ET SOURD aux diverses mises en garde qu’on lui fait, Penthée vient de commettre un énième acte d’hubris en faisant attacher l’étrange Lydien – qui n’est autre que Dionysos – aux râteliers des sombres écuries du palais. Pendant ce temps, un tambour annonce l’arrivée du chœur.

De retour sur scène, le chœur s’adresse à la divine Dircé, symbole des pures eaux de Thèbes ; Dircé, la fille d’Achéloos, le plus grand fleuve de Grèce ; Dircé, la souveraine et belle vierge thébaine, divine source qui jadis a reçu et lavé dans ses eaux courantes, dans ses flots jaillissants, le nouveau-né de Zeus, le petit Dionysos ; rejeton fœtal que Zeus lui-même a arraché du brûlant ventre de sa mère, l’humaine Sémélé, foudroyée par le feu immortel de son divin amant quand ce dernier a accepté de se montrer à elle dans tout l’éclat de sa splendeur.

C’est donc grâce à elle, Dircé, que Zeus a pu laver et sauver son rejeton de la mort, pour le cacher dans sa cuisse et lui permettre de terminer sa gestation. Le chœur raconte que Zeus s’est alors exalté et exclamé en appelant son fils « Dithyrambe », du nom de la mystérieuse musique, au rythme saccadé, spasmodique, que le dieu des forces de vie et de mort incarne et fait entendre, à la manière d’une éruption, d’un écoulement puissant et violent surgissant des profondeurs. « Viens, Dithyrambe, entre dans mon ventre mâle, dans ma cuisse ! », a crié Zeus en révélant haut et fort le nom sacré, musical, de Bacchios, le dieu bachique par excellence. Haut et fort pour qu’à l’avenir la ville de Thèbes tout entière nomme et célèbre comme il se doit le dithyrambe, comme divin messager de l’équilibre des prodigieuses forces de vie.

Après avoir vanté ainsi les mérites de Dircé, après avoir rappelé son rôle en vue de la deuxième naissance de Dionysos, non plus prématurée, du ventre de sa défunte mère, mais accomplie de la cuisse de son divin père Zeus, voici que le chœur lui reproche, à elle, pourtant fortunée de se fourvoyer en le repoussant, lui, le chœur dudit divin Dithyrambe. De le repousser, alors même que se tiennent, se jouent, chez elle, sur ses propres rives, à Thèbes, des « thiases couronnés », c’est-à-dire des célébrations festives des rites dionysiaques.

Pourquoi ce refus, cette fuite en avant de l’élément ondoyant ? Il en va comme si, à l’image de Thèbes et de ses habitants, Dircé avait été gagnée par la tendance à la rationalisation et stérilisation que Penthée incarne et impose. Mais qu’importe, tout n’est que question de temps : un jour, Dircé se ravisera. Un jour, ébahie par la charis dionysiaque, la grâce de Dionysos qui recouvre de quantité de grappes les ceps de vignes, ébahie devant le spectacle de la surabondance de vie qui émerge soudain des profondeurs cachées, elle finira par prendre soin comme il se doit du grondant Bromios que Penthée vise à expulser de la surface de la terre.

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Texte original (Bacchantes, 519-536) | Traduction

Texte 519-536CHŒUR

Fille d’Achéloos,
(520) Dircé, souveraine et belle vierge,
Toi qui, en effet, un jour, dans tes eaux courantes
As reçu le nouveau-né de Zeus,
Quand, pour sa cuisse, hors du feu immortel, Zeus
Qui l’a enfanté, l’a arraché et s’est exalté et exclamé haut et fort comme suit :
« Viens, Dithyrambe, entre dans mon
Ventre mâle que voici !
Je te révèle, à Thèbes, ô Bacchios,
Pour que la ville te nomme sous ce nom. »
(530) Mais toi, ô fortunée Dircé,
Tu me repousses, alors que je tiens
Chez toi, sur tes rives, des thiases porteurs de couronnes.
Pourquoi me refuses-tu ? Pourquoi me fuis-tu ?
Un jour, par la charis, la grâce couverte de grappes
Du cep de Dionysos,
Un jour, tu prendras soin de Bromios.

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Texte original (Bacchantes, 519-536) | Grec

ΧΟΡΟΣ

Ἀχελώιου θύγατερ,
(520) πότνι’ εὐπάρθενε Δίρκα,
σὺ γὰρ ἐν σαῖς ποτε παγαῖς
τὸ Διὸς βρέφος ἔλαβες,
ὅτε μηρῶι πυρὸς ἐξ ἀθανάτου Ζεὺς
ὁ τεκὼν ἥρπασέ νιν, τάδ’ ἀναβοάσας·
Ἴθι, Διθύραμβ’, ἐμὰν ἄρ-
σενα τάνδε βᾶθι νηδύν·
ἀναφαίνω σε τόδ’, ὦ Βάκ-
χιε, Θήβαις ὀνομάζειν.
(530) σὺ δέ μ’, ὦ μάκαιρα Δίρκα,
στεφανηφόρους ἀπωθῆι
θιάσους ἔχουσαν ἐν σοί.
τί μ’ ἀναίνηι; τί με φεύγεις;
ἔτι ναὶ τὰν βοτρυώδη
Διονύσου χάριν οἴνας
ἔτι σοι τοῦ Βρομίου μελήσει.

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Les passages précédents des Bacchantes se trouvent ici.

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