gros_ressort_rouilleTout, dans la vie, est affaire de tension, de gestion des tensions. A l’interne comme à l’externe. Tension des cellules. Tension des muscles. Tensions au sein des organes, des organismes. Au sein d’un couple, des groupes humains, des cultures.

La tension, c’est la vie. L’absence de tension, la mort.

Bien sûr, la tension peut aller dans le sens de la crispation, de l’énervement, du stress. Mais si la tension diminue, il ne se passe plus grand-chose, voilà que règnent l’ennui et la mort. S’il n’y a plus d’interaction, de tiraillement, tout se relâche, devient mou, se ratatine, et finit par disparaître. Si ça tire et tend trop fort, ça se met à coincer, ça devient raide, se bloque, jusqu’à la rupture et à l’éclatement. Comme la corde d’un arc, comme un ressort.

Il en est ainsi de tout phénomène vivant : la moindre cellule, le moindre muscle, le moindre organe, le moindre organisme est toujours marqué par quantité de tensions. Toujours contraint par des forces, internes et externes, qu’il s’agit d’apprivoiser, d’intégrer, de surmonter, en vue de trouver la bonne tension. La vie comme lutte, comme va-et-vient, toujours plus souple, toujours plus fin, entre le trop et le trop peu, le risque d’excès et d’apathie, pour trouver l’équilibre, juste comme il faut. De la naissance jusqu’à la mort, où la tension finit par se relâcher une bonne fois pour toutes.

Et il n’en va pas autrement des gens, des groupes de gens, des nations, des cultures : quand les choses travaillent trop, sont trop intenses, quand les rapports de forces se tendent à l’excès, se crispent à outrance, le conflit, l’explosion, la guerre éclate. Et quand l’intensité tombe, quand les choses ne jouent plus les unes avec les autres, quand les rapports se ramollissent, quand, soudain, on lâche prise, abandonne la lutte, l’indifférence, l’ennui s’installe.

Mais qu’est-ce qu’à proprement parler la tension ? Qu’est-ce qui la fait naître ? Réponse : l’écart. Toute tension, toute attention, toute intensité est toujours liée à un écart, lui-même toujours garant et moteur de la lutte, de la tension vers et contre, du désir.

Exemple du couple. Pour que la relation soit intense, il faut que ça compte, il faut que ça joue, qu’il y ait du désir. Qu’un jeu de forces s’installe, que les choses s’organisent dans la lutte, la tension, la bonne tension : loin en même temps de l’indifférence et de la rupture. Chacun avec sa sensibilité, ses forces, ses faiblesses, ses tensions, plongé dans le même jeu de la même vie, avec des buts communs et, pour les atteindre, quantité de stratégies et de constructions à développer.

Pour que ça joue, pour trouver la bonne tension, on doit toujours se situer dans l’écart. Jamais dans l’idée fixe, le schéma, l’en soi, l’essence, la norme, la fusion. Toujours dans l’« entre », dans l’entre-deux, dans l’écart mobile. Lui seul est riche en ressources, en possibilités, en tensions, en désirs – et donc en vie.

3 Comments

  1. C’est beau…
    Je me demandais: chez quel(s) autres(s) philosophe(s), ou sages, peut-on retrouver pareilles pensées? Nietzsche, tu me diras, mais au-delà?

  2. Tout ça s’inscrit dans les découvertes de Nietzsche, bien sûr. Nietzsche, qui se place lui-même dans la ligne des penseurs archaïques (notamment Héraclite) et de tous les grands artistes de tous les lieux et tous les temps.

    Aujourd’hui, dans le domaine de la pensée, je ne connais guère que François Jullien qui va dans ce sens. Quant à lui par le détour de la Chine. Comme nous dans le but de « ressourcer » notre pensée en faisant apparaître son « impensé », comme il dit.

    Pour sa part toujours en intellectuel, à partir de la raison (logos), avec une moindre ouverture sur les forces de vie artistiques et de jeu qui nous travaillent et nous dépassent à longueur de journée. Autrement dit sans chercher à faire écho à la phusis elle-même.

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