La nature comme phusis : éclosion ou fabrication ?

21 janvier 2012 | Commentaires (2) | Articles académiques, Pensées phusiques

Nantes 2012 resume et questions

VERSION ÉCRITE DE L’ÉMERGENCE DE LA PHUSIS à NANTES le 13 janvier dernier dans le cadre du Cycle de conférences sur la nature organisé par la Société Nantaise de Philosophie. Vous trouverez ci-dessus l’enregistrement (hélas tantôt de qualité moyenne…) de l’excellent résumé de Joël Gaubert ainsi que de la stimulante discussion qui a suivi.

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Nous vivons une époque formidable. Les progrès réalisés par la science et la technique nous permettent de vivre dans un confort et un bien-être toujours croissants et de jouir de possibilités inouïes, qui feraient assurément pâlir nos plus glorieux ancêtres ; et qui font en tout cas baver tous ceux qui ne sont pas (encore) immergés dans notre monde occidental. Pour autant qu’on ait suffisamment d’argent, on peut faire et acquérir à peu près tout ce qu’on veut : quasi tout nous devient accessible. Nos puissantes et ingénieuses industries sont en train de fabriquer les objets les plus pratiques et insoupçonnés et de faire passer dans la réalité nos rêves les plus fous.

Aussi sommes-nous entourés par mille outils, appareils, véhicules et autres objets ou gadgets qui nous facilitent la vie et nous rendent l’existence toujours plus agréable. A tel point que tout ce qui nous entoure nous apparaît dès lors comme autant d’objets de fabrication à notre disposition ; objets utilitaires que nous pouvons acquérir, consommer, manipuler et remplacer notre guise.

Le dernier domaine en train d’être investi par la tendance à l’objectivation et à la fabrication n’est autre que celui du vivant, du vivant au sens large de la nature. Domaine auquel – on a des fois tendance à l’oublier – nous appartenons nous-mêmes, s’il est bien vrai, comme le relève Platon dans ce qui représente la première définition de l’homme, que nous sommes des « êtres vivants doués de noûs ou de logos, c’est-à-dire de raison » ; définition qui, d’athénienne ou grecque qu’elle a d’abord été, se propage aujourd’hui avec puissance et autorité sur la planète entière, non sans marginaliser et écarter au passage toutes les autres ententes qu’on pourrait avoir de l’homme. Selon notre conception traditionnelle de l’humain, nous sommes donc des êtres vivants – des animaux, pourrait-on dire, même que c’est là déjà une interprétation –, des êtres de la nature qui se distinguent par la capacité de raisonner, de penser de manière rationnelle, par le pouvoir d’abstraction, de schématisation et d’idéalisation logique. Pouvoir ou puissance qui est précisément ce qui nous a conduit à notre vision objectiviste, positiviste, techno-scientifique du monde et de la nature, comme il se montrera et déploiera proprement par la suite…

Bref, tous les phénomènes en nous et autour de nous sont aujourd’hui considérés comme des objets matériels, composés de quantité de pièces physico-chimiques : des sortes de machines qui non seulement se fabriquent elles-mêmes par une succession de processus chimiques, mais dont l’auto-fabrication peut finalement très bien être remplacée par une fabrication purement technologique. L’homme est ainsi en voie de devenir la « mesure de toute chose », capable de faire du monde ici et maintenant un véritable paradis terrestre, tout de jouissance et de bonheur. Telle est du moins l’image optimiste et théorique, véhiculée tout azimut par les progrès des sciences en leur union avec la technique, que présente notre mondialisation bienheureuse. Cela ne fait aucun doute : nous vivons une époque formidable.

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Mais à bien y regarder, si notre époque est formidable, c’est au double sens du mot, qui vient du latin formidabilis, et qui veut d’abord dire qui fait peur, qui inspire la terreur. Oui, notre époque est bien une médaille à deux faces : l’image avenante, agréable, optimiste, toute de jouissance et de bonheur, n’est somme toute que la face visible de l’iceberg. Face visible qui en cache une autre – qu’on essaie tant bien que mal de cacher –, toute d’inconfort, de souffrance et de malheur, qui nous plonge inexorablement dans le pessimisme. Et voilà que les gens sont pris dans un usant mouvement de yoyo entre optimisme et pessimisme.

Les progrès scientifiques et techniques facilitent certes la vie de plus en plus de personnes, leur permettant de vivre dans une certaine abondance, et même surabondance ; mais en même temps, de plus en plus de gens se voient plongés dans un terrible dénuement. Ce n’est pas le petit Suisse que je suis qui va vous l’apprendre : les inégalités, les déchirures, les injustices, les violences et autres ségrégations s’accroissent et se multiplient.

Et à bien y regarder, les nantis eux-mêmes ne sont pas épargnés par la face cachée de la mondialisation bienheureuse. Les gens ont beau avoir toutes les possibilités et tous les objets à leur disposition, ils ont beau être en mesure de consommer à outrance, rien ne parvient à les combler. A peine ils acquièrent quelque chose, mille autres choses se mettent à les appeler, d’autant plus sous l’influence du matraquage publicitaire et de la comparaison avec autrui qui ne cesse de croître elle aussi. Et voilà que les gens tournent comme des hélices, consomment, manipulent et remplacent de manière quasi frénétique, à vrai dire sans jamais se trouver nourris par les phénomènes-objets dont ils s’entourent.

L’homme et la nature n’en sortent évidemment pas indemnes. L’être humain n’apparaît finalement lui-même plus que comme un objet, une fonction : une vis dans la machinerie sociale, politique et économique. Conséquence : soit il déprime, ou somatise une quelconque maladie, soit il se laisse ratatiner l’esprit et se met à fonctionner comme une sorte de machine pulsionnelle. Sur le plan de la nature, c’est le même déséquilibre : la planète se réchauffe, les terres s’appauvrissent, les ressources s’épuisent ; les catastrophes se multiplient, etc. etc.

Notre monde est ainsi marqué par de terribles tensions, toujours croissantes, en nous et en dehors de nous, entre d’une part l’aspiration à un bonheur idéal et la mise en œuvre de tous les moyens pour y parvenir, et d’autre part – c’est le retour du boomerang – la confrontation à la tragique réalité de l’existence. On a beau dire, on a beau faire, semblant aussi, on finit toujours par se faire rattraper par ce qu’on fuit : tomber malade, souffrir, et finalement… mourir.

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Suite à ces considérations introductives, mi-sociologiques mi-philosophiques, l’heure est venue de ralentir et de tenter de comprendre comment les choses se sont passées. Comment en sommes-nous arrivés là ? D’où provient notre vision du monde et rapport à la nature ? On pourrait de prime abord croire qu’elle relève de la volonté de certains scientifiques surpuissants, de certains ingénieurs, économistes, chefs d’entreprises, ou encore hommes politiques. Mais il n’en est rien : à bien y regarder, loin de tirer les ficelles, ces derniers sont à vrai dire eux-mêmes tributaires du mouvement et système qu’ils contribuent à développer.

La thèse est de dire que ledit système inhérent à notre vision du monde est né il y a fort longtemps, aux débuts de notre tradition, au 4e siècle avant J.-C., en Grèce antique, chez le premier philosophe proprement dit qu’est Platon. Thèse dont découle cette autre : s’il est bien vrai que c’est la philosophie qui est à l’origine de notre époque formidable, c’est logiquement aussi à elle – et non aux scientifiques, aux techniciens, aux industriels et autres hommes politiques – que revient la tâche de repenser celle-ci de fond en comble en vue de trouver les moyens de nous libérer des tensions qui nous habitent et nous écrasent ; et de réamorcer ainsi le chemin vers un rapport plus équilibré, plus harmonieux et donc plus serein à nous-mêmes, à la nature et au monde.

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Le texte de Platon le plus instructif pour notre question est sans doute Le Timée : dialogue qui porte sur la genèse du cosmos, qui s’occupe autrement dit de la question de la constitution du monde, du vivant, et par suite de la nature, en grec phusis – mot qui signifie littéralement éclosion, au sens de la venue à la lumière, de l’apparaître qui caractérise tout phénomène vivant. Le début du prologue nous apprend que la veille de leur dialogue, les quatre interlocuteurs que sont Socrate, Critias, Timée et Hermocrate se sont déjà entretenus sur une autre question, liée à la nôtre : celle de la constitution de la cité idéale. Or il en est ressorti que celle-ci n’est pas seulement affaire de ladite phusis, mais également de quelque chose d’autre. Les quatre personnages en sont en effet arrivés à la conclusion que la possibilité de l’apparition de la cité idéale ne repose pas uniquement sur la nature en sa spontanéité propre, mais procède en même temps de tout un travail : une sorte d’élevage. Seul un élevage ciblé, comme on le fait pour le bétail, indique Platon, permet à la nature et partant à la cité d’éclore au mieux ; il y va notamment de la sélection des meilleurs, de l’organisation des mariages et donc des accouplements – autant de thèmes qui froissent nos oreilles aujourd’hui. Il faut autrement dit – et c’est là le résultat qu’il faudra préciser et valoriser – qu’une poièsis, une production, vienne en aide à la seule phusis, à la seule nature comme éclosion spontanée.

Suivant cet entretien, l’affaire du Timée est ainsi de voir cette cité en acte : menacée de dissolution, elle doit se battre contre l’ennemi par un discours rationnel ; discours rationnel qui incombera à Critias. Or avant de s’y engager, ce dernier demande à Timée de les éclairer sur la nature du cosmos, c’est-à-dire du monde sensible en l’ordre sien, dont les structures s’avéreront finalement les mêmes que celles de la cité idéale.

La question de départ de Timée dans son exposition est la suivante : le tout relève-t-il d’une genèse ou en est-il exempt (27c) ? Autrement dit, le tout est-il temporel (en devenir) ou éternel ? Pour y répondre, Timée commence par établir trois prémisses, qui lui serviront de base pour ses développements au sujet du cosmos – et qu’il s’agit de suivre de près pour parvenir à repérer les premières traces menant à notre vision du monde et de la nature :

1) Dans la première prémisse (27d-28a), il renoue avec sa question de départ et distingue les deux modes d’être suivants :

      1. Ce qui est toujours, le toujours étant (pour parler grec), qui n’a pas de genèse et qui est accessible par la pensée qui s’oriente sur le logos, la raison. C’est à vrai dire – Platon ne le dit pas, mais on le comprend tout de suite –, le monde métaphysique des idées suprasensibles.
      2. Ce qui devient toujours, le toujours devenant, affaire d’une genèse et accessible par l’opinion (doxa), basée sur la perception sensible, par essence privée de logos. C’est à vrai dire – Platon ne le dit pas non plus, mais on le comprend tout de suite aussi –, le monde sensible ici et maintenant.

2) La deuxième prémisse (28a) consiste en l’établissement d’un principe fondamental concernant les choses dudit second mode d’être : au contraire du monde des idées, le monde sensible est forcément marqué, dit Timée-Platon, par une certaine aitia, une certaine cause, c’est-à-dire est le résultat d’une production (poièsis). Dans le Banquet (205b), Platon associe en effet en ces termes la cause à la production : « Toute aitia pour ce qui, quoi que ce soit, passe du non-être à l’être, est poièsis ». On le comprends sans peine : mine de rien, Platon institue par là nul autre que le principe de causalité comme principe de tout devenir – ce qui est d’ailleurs tout à fait étonnant dans un traité sur la phusis. N’importe quel phénomène sensible est donc selon lui redevable, d’une part de la phusis, de l’éclosion spontanée, et d’autre part – à elle seule, la phusis ne suffit pas –, de ce soutien ou secours qu’est la cause, c’est-à-dire la production.

3) Reste à savoir – troisième prémisse (28a-b) – qui prend en charge la production du monde sensible. Or celle-ci est, dit-il, l’affaire d’un dèmiourgos, d’un démiurge : littéralement celui qui fait des œuvres (erga) publiques (dèmios), volontiers traduit par ouvrier, ou alors artisan. Or ce dernier, nous indique encore Timée-Platon, peut produire deux types d’ouvrages : beaux ou pas beaux. Et cela en fonction du modèle qu’il prend en compte : soit il s’oriente sur un paradigme qui appartient au premier mode d’être, au domaine de ce qui est toujours, qui se comporte toujours de la même façon, et qui possède, ajoute Platon ici, une idée (eidos) et puissance (dunamis) de toute beauté ; soit il s’oriente sur un modèle qui appartient au deuxième mode d’être, quant à lui toujours affecté par l’absence, voué à la dissolution, et qui est par suite sans beauté en lui-même (et donc sans eidos et sans dunamis).

Le résultat de l’application des trois prémisses est le suivant (28b-c) : parce qu’il est visible, tangible, accessible par la perception sensible et toujours changeant, notre cosmos appartient au deuxième mode d’être ; en tant que tel, le monde doit relever de la causalité d’une cause, c’est-à-dire d’une poièsis, production qui est venue prêter secours à la genèse naturelle, insuffisante à elle seule ; production elle-même affaire d’un producteur, soudain nommé père, et qui est significativement appelé phutourgos dans la République (Livre X) : littéralement celui qui met en œuvre la phusis.

Suite à l’application des trois prémisses, Timée s’interroge sur le modèle que le producteur prend en compte lors de sa production ; producteur qu’il appelle à ce stade ho tektainomenos, autrement dit celui qui produit par une technè : celui dont la production découle d’une technè, d’un savoir-faire. Apparition du mot sur lequel est construit ce que nous appelons aujourd’hui la « technique », à la base de toute fabrication. Chez Platon, la technè est le savoir-faire au sens de la vue de l’esprit, de la prise en compte de l’idée (savoir) en vue de la production (du faire comme conduite [pro-ducere] de celle-ci dans le sensible). Or le modèle pris en compte, précise Timée, n’est autre que le plus beau, le plus brillant : modèle qui appartient à ce qui est toujours : modèle intelligible, idéal, au sens où il est marqué par la stabilité, l’unicité, la beauté, la bonté, la vérité et l’harmonie suprêmes. Et l’artisan qui le produit n’est ni plus ni moins le meilleur, ajoute-t-il encore : la meilleure cause possible. On le comprend sans peine : Platon pense le monde sur le modèle des arts artisanaux, à l’instar du travail du producteur de lits, qui a en vue l’idée du lit avant de se mettre au travail et de la réaliser dans le sensible.

Le monde naturel est ainsi la production d’un producteur, que Platon appelle finalement dieu (theos)qui n’est autre que le germe du Dieu chrétien. Dieu technicien, pour ainsi dire architecte – au sens où il met en œuvre tout une technè – qui a en vue, qui produit le monde sensible à l’aune du monde des idées intelligibles. Timée-Platon nous indique encore que ce dernier procède en deux étapes :

1) Il commence par conduire la matière originaire – amas chaotique en mouvement incessant, où tout va pêle-mêle – du désordre à l’ordre (taxis).

2) Il organise cette matière préalablement ordonnée pour lui faire acquérir la plus grande beauté ou brillance possible.

Pour ce faire, Platon-Timée précise encore les deux éléments fondamentaux que le compositeur doit introduire dans le cosmos sensible : d’une part la raison (noûs), d’autre part l’âme (psuchè), autrement dit la rationalité et le souffle animant de la vie.

C’est ainsi en toute rationalité que le compositeur met ensemble les pièces requises les unes avec les autres et charpente, construit – il y a toute une série de termes en lien avec le monde de l’artisanat – avec toute une technè, tout un savoir-faire, toute une vue anticipative (pronoia), comme il l’appelle aussi, le cosmos sensible pour le rendre le plus beau et par suite le meilleur possible. C’est ainsi que le cosmos sensible devient finalement un être vivant (zôon) pourvu d’âme (psuchè) et de raison (noûs). Et comme les hommes sont eux-mêmes des êtres vivants doués de raison, ils apparaissent alors eux aussi en mesure – s’ils font un bon usage de leur puissante raison –, de prendre à leur compte l’affaire de la production du monde. C’est ainsi, en ayant en vue le monde idéal, que les hommes en sont venus à inventer tout les moyens possibles et imaginables pour transformer et améliorer le monde ici-bas.

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C’est par là, sur le modèle donc de la production des artefacts, que Platon a institué la conception du monde et de la nature qui régit notre pensée jusqu’à aujourd’hui : conception selon laquelle tous les processus de la nature sont de part en part rationnels, compréhensibles par notre faculté d’abstraction, de schématisation et d’idéalisation logique. C’est ainsi que, au début du 19e siècle, Hegel affirme encore :

« Ce qui est rationnel est effectivement réel. Et ce qui est effectivement réel est rationnel. » (Fondements de la philosophie du droit, « Avant-propos »)

Ce qui revient à dire que ce n’est que le rationnel, dans la réalité sensible – uniquement ce qui est rationalisable, cernable par notre faculté de penser, notre pouvoir de raisonner –, qui est l’effectivité proprement dite. Tout le reste, tout ce qui n’est pas pensable par notre raison apparaît alors sans être, n’est pas à proprement parler, mais est de l’ordre de la pure et simple apparence trompeuse, à laquelle on ne peut se fier. Donc : valorisation absolue du logos rationnel dans toute chose inhérente à la phusis ; et rejet de tout ce qui, dans la phusis, se cache, se retire aux yeux de notre claire raison.

Et il n’en va pas autrement pour les sciences de la nature aujourd’hui – au moins pour autant qu’en leur orientation fondamentale elles soient encore d’ordre traditionnel, soit sciences théoriques, visant l’objectivité, la connaissance objective, et non encore d’ordre purement techniciste, visant la seule efficacité. Pour ces sciences en effet – l’épistémologie contemporaine l’atteste –, la nature est bien régie par des lois parfaitement rationnelles qui, loin d’être projetées de notre part, y existent bien plutôt en soi. Ainsi tout phénomène, l’homme y compris, peut-il bien être considéré comme une machine, composée de quantités de pièces physico-chimiques.

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La question est dès lors de savoir comment il se fait qu’on ait passé des sciences théoriques aux sciences purement technicistes telles qu’elles triomphent actuellement. Comment se fait-il que la poièsis, la productivité ait été à tel point survalorisée vis-à-vis de la phusis qu’elle se soit dévoyée en pure et simple fabricabilité, conduisant à notre monde utilitaire où toute chose n’apparaît que comme simple objet, destiné à servir à autre chose, comme simple fonction pour quelque chose d’autre ? Comment se fait-il que les phénomènes (naturels, humains ou artefacts) en soient venus à s’éclipser derrière leur fonction ? Ou, pour le formuler autrement encore : comment les phénomènes ont-ils pu passer du statut de divines productions de la phusis – d’êtres qui brillent en un éclat propre – à de simples objets d’usage, des outils sans valeur autre que celle d’être manipulables, consommables et finalement jetables ?

Nietzsche nous vient en aide pour y répondre. Le tournant, la transformation découle selon lui de l’épuisement (au tournant du 19e siècle) de la métaphysique fondée par Platon. Epuisement qui conduit au nihilisme : au fait que la lumière et vie (phusis) de l’esprit (raison), la vie phusique et spirituelle qui a jusqu’alors éclairé et animé le cosmos intelligible en toutes ses valeurs de bonté, de beauté, de vérité, d’unicité, de stabilité, d’harmonie, etc. – valeurs finalement contenues dans l’idée de Dieu, dans la tradition chrétienne –, vienne soudain à se retirer et à s’éteindre ; avec pour conséquence que le but général, universel, suprême du monde entier qui guidait jusque-là les projets occidentaux disparaisse. La définition nietzschéenne du nihilisme est aussi fameuse qu’éclairante :

« Nihilisme : le but fait défaut ; la réponse au « pourquoi ? » fait défaut ; que signifie nihilisme ? — que les valeurs suprêmes se dévalorisent. » (Fragments posthumes, Automne 1887-mars 1888, 9 [35])

Dans le nihilisme, le plan, le but général d’unité et d’harmonie du tout vient à disparaître. Les structures et valeurs intelligibles, idéales, sont vidées de leur contenu ou vie propre. La cause, la raison, la poïèse a été tellement valorisée qu’on en est venu à négliger toujours plus la vie de la phusis jusqu’à l’oublier ; jusqu’à écarter la vie phusique qui, à l’origine, chez Platon, était pourtant la base de tout. La production se sépare ainsi de la phusis et devient pure productivité technique, de plus en plus puissante, qui tourne pour ainsi dire à vide : pure technique travaillant dès lors à des fins uniquement pratiques, utilitaires et donc égoïstes, dénuées de tout projet ou plan théorique global. Si c’est encore le monde idéal qui guide les faits et gestes non seulement de la science et de la technique mais finalement de tout un chacun, ce monde idéal a toutefois perdu sa vie, son sens et cohérence d’ensemble. Les projets et progrès ne se font plus, comme chez Platon, avec une prise en compte du cosmos dans son ensemble, mais en vue de rendre disponible – grâce à la fabrication rendue possible par la technique, aujourd’hui industrialisée – un maximum d’objets capables sinon d’améliorer l’existence de tout un chacun, du moins de générer de l’argent et de faire tourner l’économie. Et voilà que tout phénomène vivant, d’abord compris comme simple produit d’une production phusique divine, a été reconnu comme résultat d’une possible fabrication humaine ; objet d’usage, de consommation, de manipulation.

Le constat que fait Nietzsche dans « Vérité et mensonge au sens extra-moral » – texte de jeunesse – est pour le moins tragique :

« Dans un quelconque coin perdu de l’univers s’écoulant de manière scintillante en d’innombrables systèmes solaires, il y eut une fois un astre sur lequel des animaux intelligents inventèrent la connaissance. Ce fut la minute la plus orgueilleuse et la plus mensongère de l’« histoire universelle », mais ce ne fut cependant qu’une minute. Après quelques souffles de la nature, l’astre se figea et les animaux intelligents durent mourir. »

Constat tragique qui n’est toutefois pas le dernier mot de Nietzsche. C’est au contraire précisément cette reconnaissance qui va le pousser à endosser sa tâche qui consiste à corriger le tir, lui le philologue doué d’une immense sensibilité phusique et artistique. Ou mieux : c’est fort de toute une sensibilité « musicale » qu’il vient à renverser la vapeur ; musicale au sens propre de ce qui a trait aux Muses : les forces inspiratrices de tout véritable artiste, y compris, à bien y regarder, la philosophie de Platon elle-même – que Platon lui-même appelle d’ailleurs « musique suprême » (Phédon, 61a). En procédant à la généalogie de la métaphysique platonisante, il découvre les présupposés implicites négligés par la tradition. C’est ainsi qu’il reconnaît et valorise notamment partout Dionysos, qui n’est autre que le dieu de la… phusis. Phusis non pas telle que l’a entendue Platon et à sa suite toute notre civilisation – comme production technique –, mais selon l’entente qu’en avaient les chanteurs-poètes, puis les penseurs, de la Grèce archaïque d’avant Platon.

Quelle est donc cette entente qui apparaît comme une véritable ressource de notre pensée et vie ? Celui qui nous renseigne le mieux est Héraclite. Dans un de ses plus fameux fragments, il indique le lien d’amour inaliénable qui existe entre l’éclosion et le retrait, la présence et l’absence. C’est ainsi qu’il dit : « La phusis aime à se cacher » (22 B 123 DK) : l’apparaître ne va pas sans disparaître. Enoncé avec lequel Platon n’est évidemment pas du tout d’accord, lui qui a tellement privilégié l’éclosion et cherché la lumière, la rationalité, qu’il en est venu à découvrir (ou imaginer ?) un monde qui fait abstraction de tout caché, de tout retrait, toute ombre, tout défaut, toute irrationalité, tout mal : le monde idéal – et à prendre ce dernier pour modèle du monde ici-bas.

Dans un autre fragment, moins fameux, mais tout aussi intéressant, Héraclite dit encore : « (…) la sagesse est de dire et de produire (poieîn) les choses vraies selon la phusis, en l’écoutant » (22 B 112 DK). Le sage est donc celui qui se met à l’écoute de la phusis pour parvenir à dire et produire des vérités. Alors que chez Platon il s’agissait de prendre en vue la phusis du monde idéal en vue de la production du meilleur des mondes possible ici-bas, il s’agit ici, dans la vie, dans ses activités, de tendre l’oreille à la nature ici et maintenant en son double mouvement simultané et réciproque d’éclosion et de retrait. L’enjeu est pour ainsi dire de faire écho au mouvement de la phusis qui nous entoure et nous traverse ; d’accompagner, de prolonger productivement les forces phusiques en nous et en dehors de nous : de se comporter en musicien, en se mettant à l’écoute des puissances inspiratrices de la phusis – et non en théoricien, en contemplateur des divines idées métaphysiques.

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Mais comment se fait-il que Platon se soit émancipé de cette expérience de la phusis ? Là aussi, Nietzsche nous donne d’instructives indications. Voici comment il entend d’abord pourquoi les premiers penseurs eux-mêmes ont abandonné le mythe (clair-obscur) cultivé par les chanteurs-poètes :

« Aucune plante <je souligne> ne se détourne de la lumière ; au fond, ces philosophes ne cherchaient qu’un soleil plus clair, le mythe ne leur était pas assez pur, pas assez éclairant. » (Humain trop humain I, §261)

C’est donc parce qu’ils sont chahutés par le va-et-vient des phénomènes, inquiétés par l’idée que l’obscurité (le retrait, la maladie, l’absence, la mort, etc.) pourrait venir à l’emporter sur la lumière, que les premiers penseurs se détourent de la lumière (claire-obscure) du mythe. Les voilà donc qui se mettent, au lieu d’écouter, d’expérimenter et de prolonger la phusis, à l’observer et à la questionner, se demandant notamment comment il se peut que les contraires puissent éclore l’un de l’autre ? Et la réponse à laquelle ils parviennent à l’unisson, chacun avec sa propre voix, la connaissance phusique à laquelle ils aboutissent est donc que les contraires sont au fond le même, nous dit Nietzsche, la même phusis : le même mouvement d’éclosion productrice à partir de la destruction et du retrait dans les profondeurs cachées. Et Nietzsche de résumer et prolonger le cheminement comme suit :

« Ces premiers penseurs avaient à <je souligne> trouver le chemin qui mène du mythe à la loi de la nature, de l’image au concept, de la religion à la science. » (Les philosophes préplatoniciens, §1)

On l’a compris : le chemin que les dits physiologistes – les penseurs d’avant Platon, qu’on appelle aussi les présocratiques – frayent n’est autre que celui de la philosophie, ensuite fondée par Platon, dont le besoin de lumière et de stabilité est tel qu’il en vient à penser un monde abstrait de tout ce qui ne lui plaît pas ou lui fait peur : sans ombre, sans inconstance, sans devenir, et donc sans laideur, sans mal, sans fausseté : un monde de toute beauté, bonté, vérité, stabilité, rationalité et harmonie. Un monde meta ta phusika, littéralement qui est au-delà de la phusis comme union des contraires : « erreur in physiologicis », « monstruosité per defectum », dit pour sa part Nietzsche.

Et c’est dans cette structure que s’inscrit notre vision du monde et de la nature à notre époque formidable, marquée par le nihilisme, au sens où le monde idéal se trouve vidé de son contenu phusique et où la productivité inhérente à la phusis est renvoyée aux Calendes grecques ; époque formidablement nihiliste où la production phusique est par suite toujours davantage remplacée par une fabrication technique, guidée par des buts purement pratiques (égoïstes, économiques) sans le moindre égard pour la phusis. Aussi nous voyons-nous envahis d’objets d’usage et de consommation, certes sensés combler tous nos manques (de beauté, de biens, de plaisirs, de plénitude, d’amour, de bonheur et que sais-je) et nous débarrasser de tous les maux, mais ayant surtout pour conséquence de transformer les êtres vivants doués de raison que nous sommes sinon en machines pulsionnelles, soit en animaux aux cerveaux exacerbés et aux sens ratatinés, soit alors en animaux aux sens exacerbés et aux cerveaux ratatinés.

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Conclusion : à la lire en toute conséquence, la déconstruction généalogique de Nietzsche invite donc à la revalorisation, comme ressource, de ce dont la tradition n’a pas voulu et qu’elle n’a eu de cesse d’écarter : la face cachée, sombre, mystérieuse, négative, tragique, de toute chose. La tâche serait donc, « en poète rétro-prospectif » (qui regarde en arrière pour dire ce qui va arriver), au lieu de rester rivé sur nos vieilles idées qui, à l’ère du nihilisme, n’apparaissent bien souvent plus que comme des suppléments d’âme, de mettre notre pensée en chantier : nous arracher résolument du monde des idées intelligibles, recommencer à tendre l’oreille pour découvrir de nouvelles musiques phusiques et par suite de nouvelles possibilités d’existence. Nouvelles musiques phusiques où la raison des « vivants doués de raison que nous sommes » serait en accord, en harmonie – et non plus en désaccord – avec le vivant en nous et hors de nous. Nouvelles possibilités d’existence qui tiennent compte des deux faces complémentaires et réciproques de la phusis : éclosion et retrait, visible et invisible, présence et absence, rationalité et irrationalité, production et destruction, beauté et laideur, bien et mal, plaisir et souffrance, finalement vie et mort, etc., l’un émergeant toujours de l’autre, comme face de l’autre. Bref : il s’agirait de se défaire de notre structure de pensée idéaliste, dualiste et repenser les choses comme union des contraires, comme différences de degrés de la même phusis. Avec Héraclite : se remettre à l’écoute de la phusis pour dire et produire des choses vraies…

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Mise en perspective : depuis Nietzsche, quelques auteurs contemporains ont eux aussi repris le thème de la nature comme phusis. Je propose de m’arrêter, pour donner d’autres perspectives, sur les deux d’entre eux qui me semblent les plus intéressants : d’abord Martin Heidegger, puis André Stanguennec.

Heidegger reprend (d’ailleurs sans le dire) les découvertes de Nietzsche et les insère dans une lecture qu’il appelle « post-métaphysique » ; lecture qui concerne la question du sens de l’être, qu’il pense à partir de notre compréhension dans son projet d’ontologie fondamentale, puis à partir du phénomène de l’être (ou estre) lui-même en son ouverture dans son Ereignisdenken. Heidegger reconnaît dans la phusis grecque la première nomination de l’être, précédant l’alètheia elle-même. Chez lui aussi, la phusis apparaît donc comme ressource de la pensée métaphysique traditionnelle (uniquement ontique) en direction, d’abord d’une véritable ontologie, fondamentale, puis de ce qu’il appelle la pensée abyssale de l’estre (qui prend en compte le retrait ou néant inhérent à l’être). La phusis lui sert pour ainsi dire de tremplin pour sa nouvelle pensée de l’être en son déploiement même (Wesung). En effet en écho à la phusis, il pense lui aussi (à sa manière) l’impensé de la tradition métaphysique : le retrait, le néant.

A la différence de Nietzsche toutefois – et de ce que je fais –, il interroge la phusis non à partir de Platon, mais de la logique d’Aristote : en approfondissant le logos prépositionnel en la vérité de son sens, il se voit contraint d’écarter toute dimension poïétique inhérente à la phusis chez Platon. Bien qu’il la reconnaisse – tout comme d’ailleurs Dionysos chez Nietzsche –, il ne peut rien en faire, tant elle n’entre pas dans sa dimension de pensée. Il pense ainsi la phusis à partir de l’estre lui-même – estre qui se donne à l’homme dans l’ouverture du langage originaire (pré-rationnel, pré-pré-positionnel) – et comprend l’éclosion comme pur don (Gunst), comme laisser (lassen) être de l’être au sein et au travers d’un espace ouvert (justement constitutif du sens de l’être) : sur la base de la phusis (mal comprise à mon sens), il entend l’éclosion comme pure Er-eignis, é-vénement-appropriement. Pur don (divin, qui sera finalement celui du « dernier dieu », à « l’autre commencement », à venir, qui pour l’instant se contente de nous faire des signes), pur don divin et laisser être qui implique, conformément à l’être même de la phusis, un proportionnel retrait (epochè), mais sans nulle idée de production et de destruction. C’est ainsi que Heidegger se met, tant bien que mal, à l’écoute des poètes et propose finalement – pour aller très vite – une « éthique du ménagement » comme réponse à ce qu’il appelle la Machenschaft (puissance du faire, du machen, de la machination sous toutes ses formes : poièsis, création divine, constitution transcendantale de l’objet, fabrication technique) ; Machenschaft qui ne serait autre que la compensation du retrait ou refus de l’estre dans la démesure de sa donation.

Aussi intéressante que soit sa position, bien qu’il ne cesse de prétendre le contraire, elle reste prisonnière de l’optimisme théorique propre à notre tradition métaphysique ; position fuyant elle aussi la vie en sa nature phusique ou musique ou productivité propre ; nature phusique qui devrait à mon avis être le point de départ.

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Dans la « dialectique réflexive » d’André Stanguennec – qui opère une réascendance de la métaphysique onto-théologique sur un mode dialectique-critique, comme « séisme » ontologique –, la phusis est un mode de ce qu’il appelle « séique ». A la différence de Heidegger qui part du logos propositionnel d’Aristote pour renouer avec la phusis comme ouverture de l’estre dans et par le logos pré-rationnel, André Stanguennec part du logos de l’idée pratique (ou esprit), descend dialectiquement de celui-ci au soi de la phusis pré-langagière, puis remonte de celle-ci à sa spécification humaine dans le logos.

A l’inverse de Heidegger, il accorde ainsi à la phusis pré-langagière (ou cosmique, comme il l’appelle aussi : phusis comprise de manière séique, pulsive et cursive) la primauté ontologique sur la phusis comme logos privilégié du Dasein. Au contraire de Heidegger, André Stanguennec n’a par là pas besoin de rejeter la définition traditionnelle de l’homme comme « être vivant doué de logos »[1]. La réinterprétation dialectique séique et phusique qu’il en propose l’amène à prendre en considération la phusis comme jamais encore la tradition métaphysique n’est parvenue à le faire, et par suite à ouvrir à nouveaux frais le dialogue (aujourd’hui largement englué dans la philosophie analytique) entre philosophie (à sa nouvelle manière phusique) et sciences (physiques).

Le reproche qui peut être adressé à André Stanguennec est en somme le même que celui fait à Heidegger. Bien que pour sa part soucieux de reconnaître la richesse de la phusis, sa position demeure elle aussi – comme Heidegger, mais de façon tout à fait assumée – prisonnière de l’optimisme théorique (humain trop humain), rivé sur les idées et partant incapable d’entendre vraiment la musique phusique.



[1] Pour Heidegger, l’homme n’est pas un animal : l’humanité de l’homme a son origine dans l’interruption de l’évolution animale par l’Anspruch (revendication) adressé à l’homme par l’être même dans le langage ; fort du langage de l’être, l’homme reçoit alors l’Eksistenz (Eksistence) qui fait de lui le Da-sein, c’est-à-dire le lieu de l’être.

2 réponses à “La nature comme phusis : éclosion ou fabrication ?”

  • Perrine dit :

    Merci pour ce très beau texte, même si la dernière partie, la mise en perspective que tu proposes, est trop difficile à comprendre pour une non-philosophe.

    Tu dis que seule la philosophie a la possibilité de repenser, de ressourcer notre tradition puisque c’est de la philosophie qu’est née notre vision du monde. Mais il semble difficile que la pensée occidentale rationnelle puisse être ressourcée par une philosophie elle aussi occidentale rationnelle. D’où l’attente d’une révolution quantique en science humaine si je comprends bien. Or cette révolution quantique a déjà eu lieu dans certaines sciences dites naturelles. Dans la discussion qui suit la présentation, vous parlez de physique quantique par exemple. Quelqu’un parle de désubstantialisation en physique, parce que la physique quantique permet le dépassement de l’étude des corps, des masses, des forces qui s’appliquent sur ceci ou cela, pour ne travailler qu’avec les ondes, les énergies. Elle accepte aussi une certaine incertitude. Cela n’offre-t-il pas de nouvelles possibilités ?

    Cette désubstantialisation, qui vide la physique de sa substance « classique », ou plutôt ce dépassement des valeurs classiques, permet ainsi, dans un même mouvement, de ressourcer la physique, non ?

    Donc la révolution quantique en science naturelles ne permettrait-elle pas de ressourcer notre mode de pensée, avec comme point de départ la pensée scientifique? Pourquoi attendre une potentielle révolution en science humaine si cette possibilité existe déjà? Ou est-ce que la productivité technique, industrielle, économique, qui mène pour finir au nihilisme, à une désubstantialisation cette fois complète, est trop importante dans le monde scientifique et menace cette possibilité?

    En médecine, et ça apparaît également dans la discussion, une possibilité apparaît au travers des pratiques dites « parallèles », pour lesquelles l’intérêt grandit d’ailleurs énormément en occident. Ces divers pratiques peuvent il me semble être apparentées à la révolution quantique en physique par le dépassement des notions médicales occidentales classiques (d’anatomie, de physiologie) qu’elles permettent. Avec la différence qu’elles ne découlent pas, comme la physique quantique de la physique classique, des théories de la médecine classique, mais ont leur source ailleurs.

  • Michysos dit :

    A vrai dire, ce que vise à faire la pensée phusique est précisément amorcer une révolution quantique en sciences humaines : déconstruire en toute conséquence notre vision du monde pour laisser éclore les multiples possibilités écrasées par notre tradition…

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