TrickyNOUVEAU DISQUE DE TRICKY, vecteur de forces surpuissantes : libération musicale de nos corps et de nos esprits à partir des tréfonds de l’existence, par-delà nos fausses idoles, idées et images artificielles.

Voilà près de vingt ans que Tricky, le Bad Boy de Bristol – une ville du Sud-Ouest de l’Angleterre –, fait parler la poudre dans ses bientôt dix disques et ses milliers de concerts. Loin de faire la star, de jouer les idoles, de jeter de la poudre aux yeux, il ne cesse de se plonger au plus profond de lui-même. Loin de défendre, nier, ou simplement faire ronronner nos vieilles valeurs éculées, il se confond avec l’intimité du monde et laisse émerger les énergies qui affluent. Pour mettre le feu aux poudres : animer nos cellules, stimuler nos organes, affiner et exalter nos sens, libérer nos corps et nos pensées des jeux formels – et réalimenter nos vies.

« Tricky » est incernable : un de ces phénomènes délicieux qui débordent nos catégories de raison ; qui, au lieu de fixer les choses, ouvrent les horizons, expriment le mystère, l’ambiguïté, le caractère énigmatique, problématique – et jouissif à la fois – de l’existence. « Tricky » veut dire difficilecompliqué, piégeux, et en même temps délicat ; et aussi malin et rusé. Autant de qualités qui font écho au jeu du monde et qui sont diablement nécessaires à ceux qui tentent d’accompagner les forces de vie plutôt que de se laisser transformer en pions sur un jeu d’échecs.

Exprimer les puissances qui le traversent

Comme le travail de tous les gens bien, celui de Tricky est impossible à mettre dans une case. A l’époque, on a dit qu’il était l’inventeur du trip-pop, mais lui-même a toujours affirmé que ça ne voulait rien dire. Ce qu’il fait, c’est simplement exprimer les puissances qui le traversent : transmettre les pulsions, les sensations, les couleurs, les odeurs, les densités, les forces et les faiblesses, les amours et les haines qui le prennent et le possèdent… à en perdre la raison, et mieux retrouver la vie. En musique, avec la musique, par la musique et finalement pour la musique. Sans avoir pris la moindre leçon. Et même plus : en déconseillant à quiconque d’en prendre.

Ouverture à la fécondité de la vie

Alors que tout le monde, par l’intermédiaire des mauvais profs et des médias, réduit l’art à un pur jeu formel, source, sinon de travail stérile, de vulgaire divertissement et d’érudition, Tricky fait partie des rares artistes qui accordent à la musique et à la vie un pouvoir propre. Des rares artistes qui croient qu’il existe des forces qui dépassent l’homme et ses mornes aspirations égoïstes, qu’elles soient de reconnaissance, d’amour, de confort, de bonheur, ou de je ne sais quoi encore. Des fous qui, en écoutant et prolongeant les puissantes énergies qui les prennent de fond en comble, contribuent à freiner la régression fatale dont souffrent l’homme, l’art et la vie en général.

Loin de considérer l’art comme un à-côté divertissant, un frivole tintement de grelots – loin du prétendu sérieux de l’existence (le travail, la famille, l’argent, le bien-être) –, au lieu de nous divertir en nous détournant de la vie ici et maintenant, en surexcitant et usant nos nerfs émoussés, Tricky nous plonge dans l’ivresse de la vie, nous ouvre à sa fécondité, vérité et généralité pulsive, libératrice d’infini, en nous et en dehors de nous.

Un enfant de la musique de la vie

Tricky, c’est un enfant de la vie ; un enfant de la divine musique de la vie : un rejeton des mystérieuses forces inspiratrices des vrais artistes qui, quand ils sont au travail, loin de réfléchir et de faire les malins, ne sont plus maîtres de leur pensées, et ne font qu’accompagner ce qui afflue : « Something comes out through me… », raconte Tricky dans une interview de 2010 : « Music has a mind of his own… Music tells me what to do… I don’t control it, it controls me… It’s like meditation : I’m miles and miles away, when I make music… ».

Magicien de l’insondable

Tricky, c’est une mauvaise herbe à travers le béton. Sa musique est l’expression de la pulsivité de la vie dans les structures de notre monde compartimenté, compressé, desséché, optimisé et contrôlé à outrance. Sur fond de rythmicité traditionnelle, basique, régulière, sans surprise, jaillit des profondeurs abyssales un rythme dithyrambique, irrégulier, saccadé. Ses résonnances sont volcaniques, relèvent d’une éruption : de l’écoulement violent et puissant, producteur et destructeur à la fois, de forces insondables.

En magicien des ténèbres, il fait émerger les plus belles tonalités, les sons les plus jouissifs des souterrains les plus sombres et chaotiques. Les plus grands plaisirs émanent du magma passionné et plein de souffrances de la vie elle-même. Magma qui ne cesse de respirer, de bouillonner, de gronder, de menacer, d’attaquer, tantôt de manière tout à fait évidente, tantôt de façon quasi imperceptible. Et dès que le tréfonds se fait entendre, dès qu’il s’extériorise en sa puissance, le voilà tempéré par des sonorités d’une douceur, limpidité et clarté rares ; tellement confortables et rassurantes qu’elles frôlent le dessèchement, le désert, qui se trouvent toutefois toujours de nouveau réalimenté, revitalisé par la prodigieuse énergie, force et sève qui travaille dans l’ombre.

Jeu de la vie

Tricky, c’est l’expression de la lutte musicale contre les mécanismes stériles que répandent les fausses idoles : réflexes égoïstes, identitaires et réactifs de repli sur soi, sur son petit monde et confort personnels. Lutte pour la libération du jeu tragi-comique de l’existence ; et pas seulement dans nos têtes, mais dans chacun de nos sens, organes et cellules. Le tout de manière inconsciente, naïve, en porte-parole de forces surhumaines, pour arracher la musique elle-même de l’emprise des puissances idéalistes, morales, trop humaines. « You know, I always stay naïve… It’s important to stay naïve… », en toute rigueur, en toute cohérence, en toute superficialité – par profondeur : « Without compromise. »

Pour que tout ça soit just Tricky : le jeu de la vie.

*

Ci-dessous le deuxième morceau du disque, intitulé Nothing Matters :

 

1 Comment

  1. Bien que votre billet date un peu, il me semble que c’est « trip-hop » au lieu de « trip-pop » comme vous l’avez écrit, non ?

    Je ne connais Tricky que de nom, encore que j’adore sa chanson « Excess » (rien que le titre est évocateur !), que j’avais entendue jadis dans un nanar horrifique, et qui me fait frissonner et me porte loin à chaque fois, tant au niveau instrumental que vocal (et puis, j’adore la polyphonie dans les chansons : là on a 3 chanteurs, c’est le top) que textuel (« I believe in people dying/I believe diseases coming/I believe that’s why I’m running », bons dieux que c’est puissant !).

    Par la suite, je n’ai jamais poursuivi mon écoute de cet artiste, même si je ne l’ai pas pour autant refourgué aux oubliettes. Il faut dire que j’évolue dans ce qui est à mon sens le genre musical le plus infini et le plus varié qui soit, le metal (musique dionysiaque par excellence, musique qui nous invite notamment à nous reconnecter à la partie primitive de notre voix et donc de nos corps et âmes, par l’utilisation de la saturation vocale ((le « growl » ou le « grunt »)) et de danses déchaînées appelées pogos ou headbanging, en vigueur aussi dans le punk) tant si et bien qu’on sait à quel point elle est stigmatisée et diabolisée de nos jours par la culture de masse, puisqu’il est vrai également que son imagerie est à la base essentiellement fondée sur la figure de Satan et sur les figures païennes en opposition aux figures chrétiennes…), et que par conséquent mon temps libre dédié à la musique ne passe (hélas ?) quasiment que dans l’écoute de ce que le metal a à m’offrir.

    Ceci étant, votre billet passionné sur Tricky m’amène à reconsidérer les choses en sa faveur.

    En parlant du dieu de Nysa, une chanson que j’adore et que j’écoute en ce moment même, je ne résiste pas au plaisir de la mettre en lien ici : http://www.youtube.com/watch?v=XtrGqVZgBQI .

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