Question fondamentale de la philo

Quid estVous voulez savoir pourquoi nous sommes tous des indécrottables théoriciens optimistes ? Pourquoi, dans tout ce que nous vivons, dans tout ce que nous faisons, dans tout ce que nous pensons, nous sommes toujours rivés sur nos idées ? Toujours en train de faire des projets ? Toujours en train de réduire la foisonnante complexité de la vie, des phénomènes, des sensations à des idées et concepts fixes ? Et pourquoi nous risquons toujours de tomber dans le contraire de l’optimisme, à savoir dans le pessimisme, tant la réalité s’avère ne pas correspondre à nos idées ?

Vous voulez savoir ? Eh bien je vais vous le dire, c’est somme toute à cause de… Platon, le premier philosophe proprement dit de notre tradition. Premier philosophe qui a eu un rôle formidable sur le cours de l’histoire, jusqu’à nos jours, où son influence continue à travailler, et même de plus belle, de manière larvée, et même si on ne veut pas le dire…

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Voici comment les choses se sont passées. C’était y a quelque 2500 ans, au IVe siècle avant Jésus-Christ, à Athènes. Dans une Athènes en crise, plongée dans la guerre du Péloponnèse et chahutée par quantité de troubles sociaux et politiques. C’est là, dans ce terreau, qu’est né et qu’a vécu Platon : jeune homme très sensible, très artiste, toujours enclin à partager en mots ce qui gronde et travaille en lui. Dans la lignée de ses illustres prédécesseurs et maîtres que sont les aèdes et poètes – Homère, Hésiode et tous les autres –, il composait des poèmes, des mythes, des pièces de théâtre.

Mais voilà qu’il rencontre Socrate, vieux penseur bien connu à Athènes parce qu’il dialoguait, dans la rue, avec les gens, et en particulier avec les jeunes gens, en particulier avec les jeunes hommes, pour défendre des propos allant complètement à l’encontre de la vision artistique traditionnelle des choses et du monde. Et ce tellement qu’il a fini par être condamné à mort, d’une part pour non croyance aux dieux de la Cité, et d’autre part pour… corruption de la jeunesse.

Loin de croire aux arts, aux mystérieuses puissances artistiques, Socrate croyait à la seule intelligence et claire raison humaine pour découvrir la vérité et organiser les choses de la vie. Dans l’Athènes en crise, son souci – d’ailleurs garant de tout son succès – était de trouver une tenue ferme, une stabilité au sein du va-et-vient tragique des phénomènes. Aussi son intérêt était-il moral : il voulait savoir ce qui se fait de bien et ce qui se fait de mal dans les maisons. Il distinguait partout le bien du mal. Et, rebondissant sur la pensée de Parménide, il cherchait à fixer toute chose, à tout mettre en lumière, à définir tout ce qui est (tout on, en grec) en ce qu’il est (en son ti estin), autrement dit en son être idéal (einai).

L’hypersensible Platon est évidemment impressionné par le personnage. Dès qu’il le rencontre, il se voue corps et âme, dans ses écrits, à la connaissance de la vérité idéale, gage de sécurité. Il devient par là le premier optimiste théorique – ou le deuxième, si on compte son maître Socrate. Chaque phénomène, chaque sentiment, il l’interroge désormais en son être, en sa vérité idéale : ti to on, qu’est-ce que l’étant ? Qu’est-ce que c’est que cela ? Qu’est-ce qu’une chose ? Qu’est-ce qu’est cette chose ? Voilà la question que se pose Platon. Qu’est-ce que l’amour ? Qu’est-ce que la justice ? Qu’est-ce que la beauté ? Qu’est-ce que la nature ? Etc.

Interrogation qui est devenue la question fondamentale de la philosophie. Et par suite de tout un chacun, tant la pensée occidentale s’est imposée partout dans le monde. Socrate n’était peut-être pas bien vu dans la Cité par tout le monde, mais Platon a eu un grand succès, et après lui le platonisme a triomphé et fait en sorte que toutes nos pensées soient marquées par l’idée et la question de Platon.

Et cette question nous marque aujourd’hui encore. Quoi qu’il se passe, quoi qu’on voie, quoi qu’on ressente, on a été éduqué à se demander « qu’est-ce que c’est ? » Et à répondre en plaquant une idée, un concept, une catégorie clairs et nets sur notre sensation : « C’est un arbre », « c’est un imbécile », « c’est une erreur », « c’est l’amour », etc.

Jeu incessant de questions et de réponses qui a certes pour avantage de nous permettre de vivre dans une certaine sécurité, de toujours en avoir le cœur net, mais qui a en même temps pour immense désavantage de nous pousser à réduire l’infinie complexité du monde et des phénomènes et des sensations à des idées fixes et des concepts et des catégories préétablis qui ne correspondent nullement à la foisonnante réalité de la vie.

Et voilà qu’on est chahuté entre l’optimisme théorique et le pessimisme pratique, l’optimisme théorique et le pessimisme pratique.

Allez, ne négligeons et n’écrasons pas le foisonnement de la vie.

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Un jeudi sur deux, le Dr. Ludovic MietZsche (GRE/CHN/FRA/GER/GBR/USA) vous rappelle quelques fondamentaux de la philosophie traditionnelle. Non sans dévoiler en même temps, dans les plis et replis négligés par notre vision idéaliste, quantité de perspectives cachées.

Retrouvez la chronique précédente ici.

6 Comments

  1. Au lieu de (se) poser la question de savoir « Qu’est-ce que c’est ? », il faut se demander « QUI c’est ? ».
    Best wishes as always, see you soon, bye bye. L.M.

  2. « Comment c’est ? » est certes moins objectivant que « Qu’est-ce que c’est ? ». Mais « Comment c’est ? » a toutes les chances d’impliquer une réponse subjective. Or comme le subjectif n’est que le pendant de l’objectif, comme il n’y a pas de subjectif sans objectif, nous avons toutes les chances de nous fourvoyer là aussi.

    Seul « Qui c’est ? » se situe par-delà l’objectivation et la subjectivation, par-delà les idées, les catégories, la raison purement humaine.

    De plus, « Qui c’est ? » a pour avantage d’impliquer une réponse toute simple – qui à la fois remet l’homme à sa place et lui donne de nouvelles possibilités : Dionysos, comme nom pour la vérité claire-obscure des mystérieuses forces de vie, qu’il s’agit ensuite d’accompagner et de déployer.

    A ce stade, les questions « Qu’est-ce que c’est ? » et « Comment c’est ? » peuvent d’ailleurs très bien réintégrer la pensée et les investigations.

    Best wishes as always, see you soon, bye bye. L.M.

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