L’HOMME EXPLIQUÉ AUX FEMMES. L’avenir de la masculinité, Flammarion, 2010 (240 p.).
Livre étrange d’un philosophe-écrivain prolixe, auteur d’essais sur des thèmes aussi divers que variés, toujours à la mode : racisme, loft, réforme de l’orthographe, violence, amour, bonheur et, dans son dernier livre… l’homme, expliqué avant tout à partir de la sexualité.
Il intervient régulièrement dans les débats de société, fait des conférences dans le monde entier. Philosophe vitaliste et provocateur. Ouvreur de portes et de fenêtres. Libérateur phusique ?
Épigraphe : « Avoir une belle femme qu’il pourra montrer, jouir d’un métier où l’on décide des choses : telle sont les obligations qu’il a remplies. Il a eu tout ce qu’il voulait, tout ce qu’il avait appris à vouloir. Et maintenant, quoi. Maintenant, rien. Il ne lui reste plus qu’à gagner encore plus de bons points à l’école : brillante carrière, belle destinée. Il n’imagine pas d’autre vie que celle-là, qu’il édifie avec amertume, en vue de l’amertume. Une plénitude malheureuse. » (Christian Bobin, La femme à venir)
Dans son livre, Cespedes se bat contre l’image de l’homme traditionnel, à la virilité de ce qu’il appelle « l’onde de choc » : muscles, abdos, dureté, insensibilité, impénétrabilité, ligne (phallus) droite, au plus loin du « trembler de la vie », du jeu, du mystère. La puissance comprise comme pouvoir, maîtrise et manipulation et non comme possibilités, comme puissance de charme.
Cespedes brosse un tableau de l’homme désincarné par la morale et les technologies, notamment de communication. Il lutte contre la déperdition érotique, la fuite dans le virtuel, le porno, le sain, le sport, la flemme d’aimer. Il revalorise l’ouverture et la pénétration réciproques à et dans les phénomènes : amour et sexualité libres, ondulatoires, fantaisistes, à deux ou à plusieurs.
Femme(s) et/ou homme(s). Pourvu que ce ne soit pas « l’encouplement » traditionnel, c’est à dire le couple exclusif et durable. Le couple est selon lui à réinventer, en s’arrachant de la tête l’institution IKEA, qui n’engendre que des vies ratatinées, comme Cespedes le dit à la fin de la vidéo de France Inter.
Quelques extraits, rapides, drôles, crus, parfois en même temps poétiques. Toujours critiques.
Drainage virtuel (p. 19-20) : « Dans les années 1920, le mariage « tenait » en partie grâce aux filles de joie qui soulageaient le mari (l’épouse préférait l’adultère, pratiqué avec une incomparable discrétion) ; aujourd’hui, le couple « tient » grâce à la pornographie, livrée gratuitement à domicile, qui vidange l’encouplé d’un trop-plein d’orages. Sur le plan du désir, pas sûr que nous en sortions gagnants.
Plus le drainage virtuel nous assagit, plus nous éprouvons l’énergie qui nous pousse à fricoter corps contre corps, vie contre vie, comme une débauche de vitalité inutile et immature. La libido et la soif d’implication sentimentale cessent peu à peu d’être les alliées de nos réjouissances : elles nous encombrent. Elles nous détournent du confort virtuel, le confort d’être soi sans l’autre (bien que « connectés ») – la nouvelle panacée.
[…] Ne s’embrouiller qu’au téléphone, ne s’ennuyer qu’aux heures de pointe, ne draguer qu’avec de l’écran dans les yeux. Utopie-cauchemar de la désimplication affective et de la désincarnation prises comme des preuves de liberté. Oui, nous, les hommes du virtuellement correct, nous souffrons de désincarnation. Nous trions les aliments à donner à notre corps, nous sélectionnons les émotions à vivre et nous entretenons moins de rapports étroits avec des femmes qu’avec notre poste de télévision. Nous ne vivons pas notre vie : nous la gérons, la consommons et la diffusons au tout-voyant.
Nous tuons en elle ce qu’il y a d’imprévisible et d’impliquant, son cœur pulpeux de mélanges et d’érotisme, pour n’en garder que la gangue inerte, l’habillage agité, le clinquant de nos acquisitions et de nos mésaventures d’ego. Technologiquement assistées, nos vies ne sont plus que des coquilles vides, et l’on s’étonne que quelque chose dans notre être profond ne tourne pas rond ?! »
Néo-ascétisme et flemme d’aimer (p. 123-126) : « La flemme d’aimer se signale précisément par une désaffection pour la pénétration des fentes de l’autre. Une désérotisation de notre vitalité, tout à fait compatible avec le sport, la forme athlétique et la normalité souriante et confortable que nous vendent les marchands de bonheur.
Comme nous l’avons vu, la flemme d’aimer est apparue avec le devoir de sexualité performante, au moment même où elle se libérait grâce à la subversion tous azimuts des années 1970 (désacralisation de l’encouplement, émancipation des femmes, pilule, expérimentations en tout genre…). Par la convergence d’un Marché récupérant les territoires libertaires à son compte et, en Europe, d’un psychologisme outrancier du désir sexuel, ou, aux États-Unis, d’un retour en force du puritanisme, se mit alors en place un « néo-ascétisme » plutôt paradoxal qui, sous des allures de permissivité totale et d’ouverture au sexe, préconisa un usage raisonné (réfléchi) et raisonnable (modéré) des plaisirs.
Étrange synthèse du Kâma-Sûtra et de tantrisme, de sexe olé-olé et de sexe sublimé, de démocratisation d’une sexualité appartenant jusqu’ici à une élite – plusieurs partenaires, recours à certains raffinements… – et d’encadrement de la libido dans une Normalité dévitalisée et un individualisme désolidarisant.
[…] Le néo-ascétisme, discipline du corps par l’esprit remplaça ainsi le plaisir de faire l’amour et de manger – activités pour le moins essentielles – par l’impératif d’éviter la mort (grâce au préservatif, aux exercices physiques et aux aliments prescrits par le docteur David Tartempion). Tel est son terrorisme : stigmatiser nos plaisirs simples pour nous faire accepter la déréalisation de notre désir et, au final, son évitement. « Le désir, c’est la mort » fut le credo répandu ; désir aussitôt remplacé par l’envie d’acheter les produits des publicités.
[…] Le néo-ascétisme reste un ascétisme, c’est-à-dire un exercice de privation visant un idéal. En l’occurrence : privation du désir (remplacé par le pré-désiré, les faux besoins), et idéal de pouvoir (le pouvoir sur soi et sur les autres). Sa morale : « Moins tu désires, plus tu contrôles. » Le désir est perçu à juste titre comme une possession au sens démonologique du terme. Une ingérable emprise sur notre volonté. Or le but du néo-ascétisme est de posséder sans être possédé, d’avoir le maximum de choses sous notre emprise sans jamais être sous l’emprise de quelque chose ou de quelqu’un.
« Culs serrés » (p. 137-140) : « […] l’anus. Cet orifice a tellement été l’objet d’un tabou que le vocable qui le désigne sonne comme un gros mot ; en outre, de tous les termes non triviaux et même admis dans le langage des blouses blanches, il semble encore plus vulgaire que le pire des termes argotiques. C’est dire sa charge subversive. Il est toutefois vraisemblable que des hommes ouverts à l’onde de charme et aux plaisirs multicolores qu’elle rend possibles lèveront le tabou à cet endroit.
La répulsion des excréments ne peut servir d’épouvantail : un anus soigneusement lavé vaut un gland propre – gland, du reste, que l’urine n’a jamais dévalorisé. Non, le vrai épouvantail tient ici dans une homophobie extrême, celle que la masculinité de l’onde de choc inculque aux garçons pour en faire des machines intrusives sans défaut d’armure, sans faille ni réceptivité. Une masculinité capable d’insulter, d’agresser, et même de tuer pour protéger ses arrières. Une masculinité qui devient chèvre à l’idée de se faire pénétrer. Une masculinité d’hétéro straight, de « culs serrés ».
La masculinité de l’onde de choc est paranoïaque avant tout pour se boucher l’anus, rendre inaccessible et anesthésiée l’une des parties les plus accessibles de notre anatomie. L’expression « avoir le cul serré » mérite d’ailleurs toute notre attention, dans la mesure où elle exprime la posture physique et existentielle de la masculinité primaire. Il convient de garder les fesses contractées tout le temps – le premier rempart. Cela revient à faire de l’homme un bloc rigide planté dans le sol, sans aucune souplesse du bassin, autrement dit sans sensualité. Car, sans aller jusqu’à « rouler des fesses », la sensualité du corps féminin comme du corps masculin réside nécessairement dans sa capacité à être traversé par les ondes, de la tête aux pieds. En serrant les fessiers sans discontinuer, nous stoppons la danse du corps avec les danses extérieures, nous figeons l’ondoiement, nous nous transformons en arbre mort.
Cela donne de piteux résultats dans le coït hétéro tout ce qu’il y a de traditionnel : des corps rouillés – dos soudé aux fesses soudées aux cuisses –, incapables de cambrures, d’ondulations, de fantaisies mouvantes. Par conséquent, des mouvements de queue rectiligne et sans surprise, dont la seule variation consiste en une accélération percussive.
Faire l’amour : osciller avec l’autre, en l’autre, pour l’autre, et cela commence par désolidariser nos fesses de nos épaules. Un faire-l’amour sans jeu ni mélange d’ondes n’est plus un faire-l’amour : c’est un assaut. Et la chanson de Georges Brassens revient aux lèvres de l’assaillie : « Quatre-vingt-quinze fois sur cent/ La femme s’emmerde en baisant/ Qu’elle le taise ou qu’elle le confesse/ C’est pas tous les jours qu’on lui déride les fesses… »
L’imperméabilité aux ondes fait que nous bloquons aussi ce qui ondoie peut-être le plus : les émotions. Etre « cul serré », c’est être coincé, mal à l’aise en présence de l’autre parce que impuissant à laisser les émotions fluctuer et la spontanéité vivre. Contracter l’anus pour en refouler l’ouverture, c’est donc perdre notre naturel.
[…] Colmater nos ouvertures, paralyser nos vibrations. La fermeté contre la « femellité » ; la prédation contre le sensuel.
La rectitude masculine commence par un rectum discipliné, un anus dévitalisé, un sérieux intégral. »
Une philosophie de la sexualité masculine… Drôle et intéressant(e). Notamment les idées de « force des failles » (à essayer d’appliquer en fin de 800m si l’on manque de vitesse)et celle sur la nouvelle façon d’aimer, libre et libérée, qu’il nous assigne comme mission à nous, jeunes; la partie sur la séduction vécue comme « snob – pas snob – snob pour pécho(lol) » est super drôle. Retrouver le vrai désir, la « gourmandise » (à vrai dire le propre de l’Homme, non?)… Ayons envie des femmes. Miam!!! Personnellement je ne voyais pas forcément la phusis proposée jusqu’alors sur ce site comme cela, en fait c’est évident.
Mais que et/ou qui lire pour avoir le penchant féminin? Simone de Beauvoir?
Et y aurait-il encore des philosophes aujourd’hui? Considères-tu Cespedes au même titre qu’un Nietzsche?
A part ça, je me demande si justement, à propos de Simone de Beauvoir, elle n’avait pas plus de testostérone que les femmes en général. Pour oser revendiquer une libération féminine comme elle l’a fait, il en fallait, des couilles.
Pas sûr que Cespedes soit un grand philosophe… Moins sûr encore qu’il soit un libérateur phusique (cf. mon intro). Aussi intéressantes et aguicheuses que soient ses propositions « phéno(no)ménologiques », elles ne paraissent tout compte fait que de surface, de plus recouvertes d’une épaisse couche d’idéalisme: monde fantasmé, tout de jouissance et de plaisir, où tout désir serait assouvi, tout amour partagé, toute partie du corps explorée, etc. Jouir, jouir et jouir encore. Toujours et encore.
Cespedes semble peu intéressé par le pan caché de la médaille à deux (pour ne pas dire mille) faces qu’est la phusis. Son projet apparaît comme une espèce d’hédonisme libertaire, idéaliste et positiviste, somme toute bien loin de la phusis.
Si ce n’est pas un grand philosophe, ni un libérateur phusique, c’est par contre un auteur sexy et stimulant, avant tout parce qu’il s’occupe de thèmes de choc et… de charme; sexy et stimulant aussi parce qu’il dit (assez bellement, d’ailleurs) à haute voix de ce que la plupart ose à peine chuchoter (voire penser) en catimini. Et ça ne fait pas aucun doute: ses constats sur notre monde d’Occidentaux tardifs ne sont pas dénués de vérité.
Bien sûr que notre rapport au(x) corps est une catastrophe; que nos rôles sociaux, nos structures de pensée, nos principes judéo-platonico-chrétiens, nos liens avec la technologie, etc. ne le sont pas moins. Pas sûr par contre que notre salut (expression très peu phusique) se trouve dans les seuls plaisir amoureux et érotiques.
Pour ce qui est de Simone de Beauvoir: il y a plein de femmes qui ont des couilles. Comme il y a plein d’hommes qui (s)ont des cons. Dans une perspective phusique, l’être humain est simplement androgyne.
Si Cespedes pense que la sensualité du corps réside dans sa capacité à être traversé par les ondes et qu’en serrant les fesses, l’ondoiement est figé et bien il faudra qu’il trouve une manière de dormir la bouche ouverte ! A moins de faire l’arbre, mort qu’il est déjà.
Cespedes veut surtout peut-être tirer une femme soumise mascuniste soumis au vieux beauf gaulois et chauvin!
Bien que Cespedes dit des choses intéressant il n’en reste pas moins puritain quand il parle du porno.
Quand il évoque dans un précédent la multiplication des partenaires en disant autrepart que les clubs échangistes c’est un truc de puritain c’est très parodoxal aussi.
Cespedes est à l’amour ce que BHL est à la géopolitique et à l’histoire aussi!