IEGOR GRAN, L’écologie en bas de chez moi, livre publié chez P.O.L. en 2011.
« Voici qu’un soir de mai 2009, en rentrant dans l’immeuble où j’habite, j’aperçois une drôle de petite réclame sur le tableau des informations, ce carré de liège où l’on annonce les coupures d’eau, les pendaisons de crémaillère, les gants perdus et les adolescents disponibles pour le baby-sitting, le coin sympa du voisin sympa, la fenêtre de tir de la sociabilité obligatoire. Ecrit à la main, en capitales, on y lit ceci : « Ne manquez pas ! Le 5 juin, projection du film Home de Yann Arthus-Bertrand, sur France 2. Nous avons tous une responsabilité à l’égard de la planète. Ensemble, nous pouvons faire la différence. » En bas est agrafée une pastille bleue : la photo de la Terre vue de très loin, que des mains prosélytes ont grossièrement découpée aux ciseaux, probablement dans un magazine télé. Comprenez : l’heure est grave, la Terre elle-même a paraphé l’appel, scellé de son logo universel la bulle papale, mis un point final à l’ordre de mobilisation. »
Autofiction qui s’en prend à la montée en puissance du « prurit vert », comprenez l’idéologie écologique. Texte né en réponse au film Home, de Yann Arthus Bertrand, source de tout un prosélytisme écologique écervelé.
Pour ceux qui n’ont pas vu le film : Home est un documentaire à gros moyens, aux longs travellings et images inouïes sur notre belle planète en train de se faire bousiller par les méchants hommes. Musique d’ambiance lancinante. Images lentes, belles et bonnes à couper le souffle d’un côté. En face, New York : la vitesse, la laideur, le mal proprement dit. Le tout sur fond de voix off qui, tutoyant le spectateur, parle à l’enfant qui devrait de toute urgence se responsabiliser. Bref : film militant écolo, pour ne pas dire de « propagande », comme le fanfaronne son réalisateur lui-même. Film tout sauf phusique sur la « nature » telle qu’on l’idéalise. Film mensonger, par omission des vrais problèmes. Vous pouvez le regarder ici en intégralité. Le trailer ci-dessous (en bas de l’article) vous en donnera déjà une bonne idée.
A la sortie de Home, pas le moindre article critique. Personne n’ose. Ni sur le fond, ni sur la forme. Consensus généralisé : c’est un chef d’œuvre, excellent puisqu’il nous pousse à sauver notre bonne vieille planète. L’heure est venue de se responsabiliser, en commençant par se mettre à trier ses déchets, comme la voisine sympa du troisième, obsédée par le tri sélectif. Et que ce soit clair : celui qui ne le fait pas est un meurtrier : il assassine la terre de ses enfants. Qu’on se le dise !
Hypocrisie : les plus grands trieurs ne manquent pas, leur bonne action faite, de rouler en 4×4, de gaspiller l’eau et l’électricité, d’acheter des framboises et du raisin au milieu de l’hiver, de partir bien souvent se ressourcer dans un hôtel all inclusive d’une île quelconque à des milliers de kilomètres.
Et si Home était un clone des films de propagande nazie de Leni Riefenstahl ? Et si la préoccupation écolo était une nouvelle religion ? Plus fâcheuse encore que les autres, parce que totalitaire ? Et si le prurit vert n’était que bien-pensance d’un homme occidental malade et écervelé ?
Ce qui me frappe dans la bande annonce de ce film est l’absence de terre, de racines, d’abîmes, de bas-fonds.
On ne fait que survoler (à l’aide bien sûr d’un hélicoptère tout ce qu’il y a de plus écologique en la matière), de bien haut, la surface. On ne prend pas le temps de se plonger dans les puissances et forces qui oeuvrent de manière cachée. On ne s’arrête sur rien. Ni sur les animaux, ni sur les hommes qui, à leur façon, composent le monde.
Sorte de fast-food sans pieds ni tête nous abreuvant d’un paradis qui n’a jamais existé et n’existera jamais?!
Ah divine Gaïa, quelle clairvoyance : rien qu’avec la bande-annonce, tu as tout compris !
« Sans pieds ni tête », écris-tu. Je dirais plutôt, en employant l’expression consacrée (et non aseptisée) : sans QUEUE ni tête. Oui, ce qui manque, ce sont avant tout les forces pulsionnelles – et tout ce qu’elles engendrent, par-delà bien et mal…
Que le film soit un engagement pour intellos superficiels bien-pensants et moraux (quatre mots qui reviennent d’ailleurs au même – et qui désignent ce qu’on fait de nous) est une chose. Le livre de Gran en est une autre. L’intéressant n’est-il pas ce que Gran en fait ? Les perspectives qu’il ouvre sur notre (vision du) monde ?
Mon cher Ouranos, tu as raison! Compte bien plutôt que Gran ait pris la plume pour nous rendre attentifs et laisser émerger quelques piques et bosses.
Impossible cependant d’en dire plus pour l’instant; le livre ne m’est pas encore parvenu. Je réapparaîtrai donc dans quelques temps…
Bonjour,
J’espère que j’ose intervenir. Votre texte m’interpelle. Le film est peut-être à gros budget, toutefois, si ces millions servent à faire naître les millions de petits efforts individuels pour sauver notre terre, où est le mal? Quel est le « vrai problème », comme vous dites, et qu’en ferez vous dans 300 ans s’il n’y a plus de glaciers ni de forêts pour rendre l’air respirable? Je n’ai pas lu ce livre, mais j’espère que, pour oser être si dur avec l’écologie, il propose une autre solution pour que la terre et la vie existent encore dans quelques centaines d’années.
Pour ma part, je trie mes déchets, économise l’eau, et fais, à mon échelle, tous les efforts possibles. J’ai par ailleurs un abonnement général CFF, non pas une grosse voiture. Ne mettez donc pas tout le monde dans le même panier! J’essaie d’éduquer mes enfants à en faire autant, pour qu’ils soient conscients de l’importance des efforts de chacun en matière d’écologie, si minimes qu’ils soient. Et j’espère qu’ils pourront, quand ils seront grands, participer à sauvegarder leur terre. Yann Arthus Bertrand et Iegor Gran n’auront sans cela plus ni queue ni tête…
Bonjour Stéphanie,
Bien sûr que vous osez intervenir ! Et même plus : merci de le faire !
Si notre texte sur le dernier livre de Iegor Gran vous interpelle, c’est qu’il s’inscrit dans un travail d’ensemble sur et à partir de la phusis que vous ne connaissez sans doute pas encore.
Le « vrai problème » ? Il concerne l’image et expérience que se fait l’homme occidental de la nature : la nature comme vie, beauté, bonté, santé, clarté, douceur, plaisir, paix, amour, etc. Image que prolonge à outrance le film de Yann Arthus Bertrand. Or vous le savez et expérimentez bien : la nature est en même temps mort, laideur, méchanceté, maladie, obscurité, violence, souffrance, guerre, haine, etc. Le « vrai problème » est que l’homme occidental met tout en oeuvre pour supprimer l’un au profit de l’autre, cherchant à faire que la terre devienne un paradis. Or le paradis n’est qu’une idée qu’on se fait de la vie en faisant abstraction de tout ce qui nous y déplaît mais qui est à vrai dire indéracinable. En cherchant à réaliser le paradis, on produit inexorablement de l’enfer. L’un ne va pas sans l’autre. Telle est la vie, ou phusis, comme nous l’appelons.
Oui, PHUSIS.CH s’occupe un peu de partager cela. Et si vous cliquiez un peu sur nos différentes rubriques ? « VIN ET PHILOSOPHIE » vous permettra, entre autres, de découvrir notre démarche et vision du monde.
Evidemment, nous ne sommes pas contre l’écologie, bien au contraire : nous trions nous aussi les déchets, économisons eau et électricité, nous déplaçons en train, ne mangeons pas de framboises en plein hiver, etc. Mais nous ne sommes pas d’accord avec la manière dont l’écologie est amenée. Parce que nous sommes convaincus que la vision du monde et de la vie (paradisiaque) sur laquelle elle s’appuie pour le faire est non seulement erronée, mais encore dangereuse (révolte de l’enfer). Ainsi, les efforts individuels sont certes salutaires, mais ne changent rien au « vrai problème » – qui implique que l’homme exploite, pour son bonheur (paradis) personnel, la terre au point de la ravager (enfer).
Tout cela, ce n’est évidemment pas Iego Gran, mais PHUSIS.CH qui le dit. L’auteur d’autofiction se contente de raconter une histoire, son histoire, dans laquelle il est touché, gêné par certains phénomènes qu’il relève, souligne, dégomme tant bien que mal…
Il faudrait que je trouve un moment pour me promener plus amplement sur votre site, qui a l’air très riche. Je ne sais pas trop par quoi commencer.
J’en ai profité pour regardé le film à nouveau. Vous parlez de paradis. Le film dénonce le paradis que l’homme essaie de se créer (Dubaï par exemple), pour que tout soit confortable et facile. Sans respect de la nature, de ses arbres et multiples richesses. Créant un déséquilibre fatal.
Pourriez-vous dire de la nature qu’elle n’est pas que belle? Quand on voit ces images, bien qu’extrêmes, mais aussi juste en regardant autours de nous, les collines, les arbres, les rivières. Où est la laideur?
Pour moi c’est l’équilibre qui compte. Ca implique peut-être une vie plus primitive de l’homme, plus proche de la nature, et moins de la facilité. Ca pourrait être aussi un paradis.
Vous êtes évidemment la bienvenue sur chacune des promenades proposées…
Oui, la nature est belle ! Et même très belle ! Et comme vous le dite si bien – en vous inscrivant par là spontanément dans une perspective… phusique -, ce qui compte, c’est l’équilibre ; et l’homme ferait mieux de vivre de manière plus primitive, plus proche de la nature, et moins dans la facilité.
C’est là exactement ce que propose PHUSIS.CH. Toute la question est de savoir d’où provient le déséquilibre de notre monde ; et comment parvenir à y remédier. Notre thèse est la suivante: bon nombre de dissonances découlent de la tentative, par les puissances de la raison, relayées par la technique, de se défaire de tout ce qui, dans le monde, nous déplaît. Autrement dit la volonté de rendre notre monde plus parfait que ce qu’il est. Comment faire pour renverser la vapeur ? Changer de perspective : non plus partir uniquement de notre petite personne intelligente, mais du monde entier et la part de celui-ci que nous sommes en tant que corps…
Où est la laideur dans les paysages magnifiques qui s’offrent à nous ? Dans tout ce qui les rend possibles : les luttes effrénées et cruelles de tous les instants qui se jouent dans les soubassements. Ce que nous voyons n’est partout que la face visible de l’iceberg. Or c’est elle et uniquement elle que nous montre le film quand il est question de nature épargnée par l’homme. La face cachée est ainsi oubliée et l’image qu’on se fait de la nature (paradisiaque) forcément… erronée.