SPECTACLE PUISSANT, D’UNE ÉBLOUISSANTE FORCE de profondeur et de jeu. Pièce d’Henrik Ibsen (1896), mise en scène par Thomas Ostermeier (Dir. du Schauspielhaus de Berlin). En tournée à Kléber-Méleau (Lausanne) jusqu’au 19 juin 2011. En allemand surtitré.
Tragédie familiale, contemporaine : la fierté, le pouvoir, l’argent, la gloire, la rancune, l’esprit de vengeance l’emportent sur tout sentiment humain, toute vie équilibrée. Jusqu’à l’escroquerie. Jusqu’aux cris. Jusqu’à la maladie. Jusqu’à la mort.
Un plateau couleur de givre, envahi par une fumée basse. Murs et plafonds blancs. Salon… scandinave. Chic, sobre, froid, comme bon nombre de nos salons : très inconfortable. Climat d’oppression. D’étouffement. Propice à la révolte de… Dionysos.
John Gabriel Borkman est un célèbre banquier : rationaliste assoiffé d’or, de puissance et de gloire. A tel point qu’il a non seulement négligé les siens mais a fini par se retrouver cinq ans durant derrière les barreaux. Le voilà sorti depuis huit années, ruiné, ruminant sans cesse, à peu de chose près seul, tel un loup en cage, son échec dans un appartement. Non sans parvenir à se convaincre que son heure reviendra. Mensonge. Pour sa survie.
A l’étage en dessous vit sa femme, humiliée, rancunière, « plus dure que le métal ». Elle ne lui adresse plus la parole depuis les événements ; et met tout en œuvre pour que leur fils, Erhard – jeune étudiant niais, plein de fougue juvénile – s’adonne à « sa » seule mission : celle de réhabiliter le nom des Borkman. Lui, il est à mille lieues de tout ça. Il veut vivre, simplement vivre.
Famille très occidentale. Plongée dans le vide, les non-dits, l’excès du dire et ne pas dire. Prisonniers de leur rôle, les personnages souffrent, étouffent. Au point d’être conduits à des extrémités insoupçonnées. La vie elle-même vient rétablir l’ordre des choses. Par-delà les petites volontés des hommes.
La pièce s’ouvre sur l’arrivée de la sœur jumelle de l’épouse de Borkman : Ella, ancienne (et unique) complice de ce dernier, jadis abandonnée pour assurer l’envol de sa carrière. Une maladie mortelle la force, elle, à regarder la réalité, ses émotions et sentiments en face. La voilà qui vient perturber la situation, amener de l’air à l’étouffement, débloquer le processus mortifère.
Danse de la mort. Intériorité. Solitude. Egoïsme. Mensonges à soi-même. Sentiment de vengeance. Corps et esprit médicamentés, à la déroute. Infimes mouvements. Subtile Immobilité. Phrases ciselées. Silences d’une rare plénitude. Chant du bouc.
Scénographie et mise en lumière d’une justesse inouïe. Acteurs en état de grâce, portés par des énergies insondables : Joseph Bierbichler (John Gabriel Borkman), Kirsten Dene (Gunhild Borkman), Angela Winkler (Ella Rentheim, divine), notamment.
Comme toute grande œuvre, John Gabriel Borkman a mille choses à nous dire. Sur notre monde occidental, sur nos familles, sur nous. Confrontés en toute froideur à notre triste réalité, elle nous donne en même temps des pistes pour trouver des chemins dans le labyrinthe de notre propre bêtise.
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