LĂ-BAS, AU LOIN, SUR LA MER, SE TROUVE lâĂźle aux tombes, la silencieuse Ăźle aux tombes, oĂč continue Ă vire tout le passĂ©, tout ce qui est mort. LĂ -bas, au loin, sur la mer, se trouvent aussi les tombes de ma jeunesse. Je veux dĂ©sormais y voguer pour y dĂ©poser une couronne â une couronne toujours verte, symbole non de mort mais de vie.
Câest ainsi, rĂ©solu dans mon cĆur, que jâai traversĂ© la mer.
Ă vous, tombes de ma jeunesse, visages et apparitions de ma jeunesse ! Ă vous, tous les regards de lâamour, vous, tous les instants divins, marquĂ©s par lâinsouciance, la naĂŻvetĂ©, lâaffirmation de toute chose, le jeu ! Comme vous mâĂȘtes morts vite, si vite ! Je me souviens aujourdâhui de vous comme de mes morts, comme de mes proches trop tĂŽt disparus.
Une odeur suave, libĂ©ratrice du cĆur et des larmes me vient de vous, vous mes morts prĂ©fĂ©rĂ©s. En vĂ©ritĂ©, elle Ă©branle et libĂšre en mĂȘme temps le cĆur du marin solitaire que je suis : elle le rappelle Ă ses bons souvenirs enfouis et lâouvre Ă son ĂȘtre le plus profond.
Quâimporte ce qui sâest passĂ© depuis ces temps immĂ©moriaux, moi, le plus solitaire, je continue, au fond, Ă ĂȘtre le plus riche et le plus enviable ! Car je vous ai eus â nâest-ce pas vrai, vous autres phĂ©nomĂšnes de ma jeunesse ? Et vous mâavez eu aussi ; et vous mâavez dâune certaine maniĂšre encore : dites-moi donc pour qui dâautre que moi, de telles pommes roses sont tombĂ©es de lâarbre, de tels instants dĂ©licieux ont eu lieu ? Je suis nĂ© sous une bonne Ă©toile ; et jâai tout fait pour lâhonorer, la cĂ©lĂ©brer.
Visages de ma jeunesse, je continue Ă ĂȘtre lâhĂ©ritier et le terreau de votre amour, de votre surabondance, de votre gĂ©nĂ©rosité ; mes pensĂ©es poussent de maniĂšre sauvage, fleurissent vers votre mĂ©moire de vertus insouciantes, multicolores, ĂŽ vous les mieux aimĂ©s.
Ah, nous Ă©tions faits pour rester ensemble, lâun prĂšs de lâautre : vous, miracles charmants et Ă©trangers, et moi, marin solitaire ; et ce nâest pas pareils Ă des oiseaux timides que vous ĂȘtes venus vers moi et mon dĂ©sir â non, mais tout bonnement comme celui qui a confiance en celui qui inspire confiance !
Oui, vous Ă©tiez pareils Ă moi, vous autres regards et instants divins : faits pour la fidĂ©litĂ©, pour un partage durable, pour de tendres Ă©ternitĂ©s. Et voilĂ pourtant que vous ĂȘtes morts : est-ce que je dois vous nommer selon votre infidĂ©lité ? Je nâai pas encore appris dâautre nom que celui-lĂ pour dire votre absence, votre disparition.
En vĂ©ritĂ©, vous mâĂȘtes morts trop vite, vous les fugitifs, phĂ©nomĂšnes enfouis dans le passĂ©. Et pourtant, vous ne mâavez pas fui, pas davantage que je ne vous ai fui : nous sommes vous et moi innocents dans ce qui est somme toute notre infidĂ©litĂ©.
Les choses se sont passĂ©es comme cela : vous vous ĂȘtes, Ă la longue, fait Ă©trangler, vous autres oiseaux chanteurs de mes espoirs ! LâĂ©ducation, lâĂ©cole, lâinstruction, lâinformation a tout mis en Ćuvre pour me tuer, me tuer en mon ĂȘtre le plus profond ! Me faire perdre ma naĂŻvetĂ©, mon enfance, mes illusions. Oui, mes instants prĂ©fĂ©rĂ©s, câest toujours vers vous que la mĂ©chancetĂ© Ă dĂ©cochĂ© ses flĂšches â pour me toucher en mon centre, mon Ă©lan vital, mon cĆur !
Et la mĂ©chancetĂ© a visĂ© juste, a touchĂ© dans le mille ! Nâavez-vous pas toujours Ă©tĂ© le bien le plus cher Ă mon cĆur, ma possession, dont jâĂ©tais en mĂȘme temps moi-mĂȘme possĂ©dé : voilĂ pourquoi vous avez dĂ» mourir jeunes, bien trop tĂŽt !
On a lancĂ© la flĂšche vers ce que je possĂ©dais de plus tendre, de plus vulnĂ©rable : vous, dont la peau est pareille Ă un doux duvet ou, mieux, pareille au sourire qui meurt sous lâeffet dâun simple regard ou froncement de sourcils !
Mais voici ce que je veux dire Ă mes mĂ©chants ennemis : quâest-ce que le meurtre dâun homme en comparaison de ce que vous mâavez fait !
Ce que vous mâavez fait, mĂ©chants ennemis, est bien pire que nâimporte quel assassinat ; vous mâavez pris des choses irremplaçables, vous mâavez amputĂ© de ma vie â voilĂ ce que jâai Ă vous dire, mes ennemis !
Vous avez assassinĂ© les visages et miracles prĂ©fĂ©rĂ©s de ma jeunesse ! Vous mâavez pris mes compagnons de jeux : les esprits bienheureux avec lesquels je passais mon temps Ă jouer â la vie comme enfantin jeu divin ! Câest en leur mĂ©moire que je dĂ©pose aujourdâhui cette couronne et profĂšre cette malĂ©diction.
Cette couronne en lâhonneur de la vie, et cette malĂ©diction contre vous, mes ennemis, les assassins de la vie en moi ! Car vous avez rendu court mon Ă©ternel jeu enfantin ; vous lâavez brisĂ© comme un son dans la nuit froide ! Mon Ă©ternitĂ© mâest Ă peine venue, nâa pas eu le temps de se marquer en moi plus que comme un instant, un coup dâĆil divin !
VoilĂ ce que, jadis, Ă la bonne heure, mâa dit ma puretĂ©, mon innocence: « Tous les ĂȘtres doivent mâĂȘtre divins : je dois cĂ©lĂ©brer comme divin tout ce qui se fait jour autour de moi et en moi. »
Vous mâavez alors assailli avec des fantĂŽmes sales ; ah, oĂč donc a fui maintenant cette bonne heure !
« Tous les jours doivent mâapparaĂźtre saints ; il faut sanctifier chaque instant » â voilĂ comment, jadis, a parlĂ© la sagesse de ma jeunesse, parole dâune sagesse joyeuse, en vĂ©rité !
Mais vous mâavez alors, vous autres mĂ©chants ennemis, volĂ© mes nuits et les avez vendues contre le supplice de lâinsomnie : ah, oĂč donc a fui maintenant cette sagesse joyeuse ?
Jâai jadis dĂ©sirĂ© des signes favorables, des oiseaux de bon augure : vous avez alors placĂ© sur mon chemin un hibou monstrueux, rĂ©pugnant. Ah, oĂč donc a fui alors mon tendre dĂ©sir ?
Je me suis un jour promis de renoncer Ă tout dĂ©goĂ»t, de devenir fondamentalement affirmateur : vous avez alors transformĂ© mes proches, et mĂȘme mes plus proches en furoncles, en purulents ulcĂšres des plus dĂ©goĂ»tants. Ah, oĂč donc a fui alors ma plus noble promesse ?
Je mâavançais jadis en aveugle, sans rien avoir en vue, sans but, en suivant mes seules sensations, mes seules pulsions, sur des chemins bienheureux : vous avez alors jetĂ© vos immondices â vos catĂ©gories, vos rĂšgles, votre mauvaise conscience â sur mon sentier dâaveugle : et voilĂ que lâaveugle est maintenant dĂ©goĂ»tĂ© de son vieux sentier.
Et quand jâai rĂ©ussi les choses les plus difficiles, quand jâĂ©tais en train de cĂ©lĂ©brer la victoire de mes dĂ©passements, vous avez poussĂ© ceux qui mâaimaient Ă crier que je leur faisais le plus grand mal.
En vérité, telle a toujours été votre maniÚre de faire : vous avez empoisonné, dénaturé mon meilleur miel et corrompu le zÚle de mes meilleures abeilles.
A ma charitĂ© vous avez toujours envoyĂ© les mendiants les plus insolents : vous avez fait profiter de mes bienfaits les gens qui le mĂ©ritaient le moins ; autour de ma pitiĂ© vous avez toujours pressĂ© les plus incurables impudents. Vous avez par lĂ blessĂ© mes vertus dans leur croyance. Vous mâavez fait douter de mes convictions spontanĂ©es, profondes.
Et quand jâoffrais encore en sacrifice ce que jâavais de plus sacrĂ©, aussitĂŽt vous le rĂ©cupĂ©riez : aussitĂŽt votre « dĂ©votion » y ajoutais vos dons les plus gras, faisant finalement Ă©touffer mon plus sacrĂ© dans la vapeur de votre graisse.
Et un jour jâai voulu danser comme jamais je nâavais dansé : je voulais danser par-delĂ tous les ciels. Mais vous avez alors convaincu mon chanteur prĂ©fĂ©rĂ© de me faire faux bond.
Et voilĂ quâil sâest mis Ă jouer de maniĂšre lugubre et grave ; ah, il mâa cornĂ© les oreilles comme un sombre cor !
Chanteur assassin, outil de la mĂ©chancetĂ©, toi le plus innocent, guidĂ© par des forces malĂ©fiques ! JâĂ©tais dĂ©jĂ prĂȘt pour la meilleure des danses : et voilĂ que tu as assassinĂ© avec tes sons rauques mon extase !
Ce nâest que dans la danse que je sais dire le symbole des choses les plus hautes â et voilĂ que mon plus haut symbole est restĂ© inexprimĂ© dans mes membres !
Le plus haut espoir est resté inexprimé en moi, prisonnier dans mon corps ! Et tous les visages et toutes les consolations de ma jeunesse me sont morts !
Comment ai-je seulement pu supporter tout cela, ne pas en mourir ? Comment ai-je triomphĂ© et surmontĂ© de telles blessures ? Comment mon Ăąme sâest-elle relevĂ©e de ces tombes ?
Câest quâil y a en moi quelque chose dâinvulnĂ©rable, dâimpossible Ă enterrer ; quelque chose dâune puissance telle quâil fait Ă©clater les rochers : il sâagit de ma volontĂ©, ma grande volontĂ©. Elle traverse en silence les annĂ©es, demeurant inĂ©luctablement inchangĂ©e.
Quoi quâil arrive, ma vieille volontĂ© veut aller Ă son pas sur mes pieds ; le sens des choses est durement inscrit dans son cĆur invulnĂ©rable.
Au contraire dâAchille, moi, invulnĂ©rable, je ne le suis quâau talon : jâavance sans rĂ©pit, toujours je poursuis mon chemin. Et toi, la plus patiente, toi ma volontĂ©, tu vis toujours lĂ , toujours tu me pousses, Ă©gale Ă toi-mĂȘme ! A travers toutes les tombes, tu tâen es encore toujours sortie ! Tu mâas encore permis de surmonter tous les malheurs, toutes les mĂ©chancetĂ©s.
En toi continuent Ă vivre les instants dĂ©licieux prisonniers de ma jeunesse ; et, comme vie et jeunesse, tu es assises ici, pleine dâespoir, sur des dĂ©bris de tombes jaunies par le temps.
Oui, tu continues Ă ĂȘtre pour moi la destructrice de toutes les tombes, celle qui me permet de ne pas mâaffliger de la situation, qui me permet de surmonter les fĂącheuses Ă©volutions : salut et santĂ© Ă toi, ĂŽ ma volonté ! Car nous savons bien quâon nâa rien sans rien, que ce nâest que lĂ oĂč il y a des tombes quâil est possible quâil y ait des rĂ©surrections.
Chant de Zarathoustra.
***
Traduction littérale
LĂ -bas est lâĂźle aux tombes, la silencieuse ; lĂ -bas sont aussi les tombes de ma jeunesse. Je veux y porter une couronne toujours verte de la vie. »
Ainsi rĂ©solu dans mon cĆur, jâai traversĂ© la mer. â
Ă vous visages et apparitions de ma jeunesse ! Ă vous tous les regards de lâamour, vous instants divins ! Comment mâĂȘtes vous morts si vite ! Je me souviens de vous aujourdâhui comme de mes morts.
De vous, mes morts prĂ©fĂ©rĂ©s, me vient une odeur suave, libĂ©ratrice du cĆur et des larmes. En vĂ©ritĂ©, elle Ă©branle et libĂšre le cĆur du marin solitaire.
Je continue encore Ă ĂȘtre le plus riche et le plus enviable â moi le plus solitaire ! Car je vous ai eus, non pas, et vous mâavez encore : dites, pour qui donc, comme pour moi, de telles pommes roses sont-elles tombĂ©es de lâarbre ?
Je continue encore Ă ĂȘtre lâhĂ©ritier et la terre de votre amour, florissant vers votre mĂ©moire de vertus colorĂ©es poussant de maniĂšre sauvage, ĂŽ vous les mieux aimĂ©s.
Ah, nous Ă©tions faits pour rester prĂšs lâun de lâautre, vous miracles charmants et Ă©trangers ; et vous nâĂȘtes pas venus vers moi et mon dĂ©sir pareils Ă des oiseaux timides â non comme celui qui fait confiance Ă celui qui fait confiance !
Oui, faits pour la fidĂ©litĂ©, pareils Ă moi, et pour de tendres Ă©ternitĂ©s : est-ce que je dois vous nommer selon votre infidĂ©litĂ©, vous regards et instants divins : je nâai pas encore appris dâautre nom.
En vĂ©ritĂ©, vous mâĂȘtes morts trop vite, vous les fugitifs. Pourtant vous ne mâavez pas fui, ni moi je ne vous ai fui : nous sommes innocents les uns vis-Ă -vis des autres dans notre infidĂ©litĂ©.
On vous a Ă©tranglĂ© pour me tuer, vous oiseaux chanteur de mes espoirs ! Oui, mes prĂ©fĂ©rĂ©s, câest toujours vers vous que la mĂ©chancetĂ© Ă lancĂ© des flĂšches â pour toucher mon cĆur !
Et elle a touché ! Nâavez-vous pas toujours Ă©tĂ© mon plus cordial, ma possession et ce dont jâĂ©tais possĂ©dé : câest pourquoi vous avez dĂ» mourir jeunes et bien trop tĂŽt !
On a lancĂ© la flĂšche vers le plus vulnĂ©rable que je possĂ©dais : câĂ©tait vous, dont la peau est pareille Ă un duvet et plus encore au sourire qui meurt dâun regard !
Mais je veux dire ce mot Ă mes ennemis : quâest-ce que tout meurtre dâhomme face Ă ce que vous mâavez fait !
Vous mâavez fait pire mĂ©fait que ne lâest tout meurtre dâhomme ; vous mâavez pris des choses irremplaçables : â câest ainsi que je vous parle, mes ennemis !
Car vous avez assassinĂ© les visages et miracles prĂ©fĂ©rĂ©s de ma jeunesse ! Vous mâavez pris mes compagnons de jeux, les esprits bienheureux ! En leur mĂ©moire, je dĂ©pose cette couronne et cette malĂ©diction.
Cette malĂ©diction contre vous, mes ennemis ! Car vous avez rendu court mon Ă©ternel, brisĂ© comme un son dans la nuit froide ! Il mâest Ă peine venu comme des yeux divins qui se lĂšvent â comme instant !
Ainsi a un jour, Ă la bonne heure, parlĂ© ma pureté : « Tous les ĂȘtres doivent mâĂȘtre divins. »
Alors vous mâavez assailli avec des fantĂŽmes sales ; ah, oĂč donc a fui maintenant cette bonne heure !
« Tous les jours doivent mâĂȘtre saints » â ainsi a un jour parlĂ© la sagesse de ma jeunesse : en vĂ©ritĂ© le discours dâune sagesse joyeuse !
Mais alors, vous mâavez, ennemis, volĂ© mes nuits et les avez vendues pour le supplice de lâinsomnie : ah, oĂč donc a fui maintenant cette sagesse joyeuse ?
Jâai un jour dĂ©sirĂ© des signes bienheureux dâoiseaux : alors vous avez mis sur mon chemin un hibou monstrueux, rĂ©pugnant. Ah, oĂč donc a fui alors mon tendre dĂ©sir ?
Je me suis un jour promis de renoncer Ă tout dĂ©goĂ»t : alors vous avez transformĂ© mes proches et plus proches en furoncles. Ah, oĂč donc a fui alors ma plus noble promesse ?
Je mâavançais un jour en aveugle sur des chemins bienheureux : vous avez alors jetĂ© vos immondices sur le chemin de lâaveugle : et maintenant il est dĂ©goĂ»tĂ© de son vieux sentier dâaveugle.
Et quand jâai fait le plus difficile et fĂȘtĂ© la victoire de mes dĂ©passements : vous avez fait crier ceux qui mâaimaient que je leur faisais le plus mal.
En vĂ©ritĂ©, telle a toujours Ă©tĂ© votre maniĂšre dâagir : vous mâavez dĂ©naturĂ© mon meilleur miel et le zĂšle de mes meilleures abeilles.
A ma charité vous avez toujours envoyé les mendiants les plus insolents ; autour de ma pitié vous avez toujours pressé les plus incurables impudents. Ainsi vous avez blessé mes vertus dans leur croyance.
Et si jâoffrais encore en sacrifice mon plus sacré : aussitĂŽt votre « dĂ©votion » y ajoutais vos plus plsu gras dons : de sorte que mon plus sacrĂ© Ă©touffait encore dans la vapeur de votre gras.
Et un jour jâai voulu danser comme jamais je nâavais dansé : je voulais danser par-delĂ tous les ciels. Vous avez alors convaincu mon chanteur prĂ©fĂ©rĂ©.
Et voilĂ quâil a entonnĂ© dâune maniĂšre lugubre et grave ; ah, il mâa cornĂ© les oreilles comme un sombre cor !
Chanteur assassin, outil de la mĂ©chancetĂ©, le plus innocent ! JâĂ©tais dĂ©jĂ prĂȘt pour la meilleure danse : voilĂ que tu as assassinĂ© avec tes sons mon extase !
Ce nâest que dans la danse que je sais dire le symbole des choses les plus hautes : â et maintenant mon plus haut symbole mâest restĂ© inexprimĂ© dans mes membres !
Le plus haut espoir mâest restĂ© inexprimĂ© et non libĂ©ré ! Et tous les visages et consolations de ma jeunesse me sont mortes !
Comment lâai-je seulement supporté ? Comment ai-je triomphĂ© et surmontĂ© de telles blessures ? Comment mon Ăąme sâest-elle relevĂ©e de ces tombes ?
Oui, il y a en moi quelque chose dâinvulnĂ©rable, dâimpossible Ă enterrer, qui fait Ă©clater les rochers : cela sâappelle ma volontĂ©. Cela traverse les annĂ©es en silence et inchangĂ©.
Elle veut, ma vieille volontĂ©, aller Ă son pas sur mes pieds ; le sens est durement inscrit dans son cĆur et invulnĂ©rable.
InvulnĂ©rable, je ne le suis quâau talon. Tu vis toujours lĂ , Ă©gale Ă toi-mĂȘme, la plus patiente ! Tu tâen es encore toujours sorti Ă travers toutes les tombes !
En toi vit aussi encore le non dĂ©livrĂ© de ma jeunesse ; et comme vie et jeunesse, tu es assises ici, pleine dâespoir, sur des dĂ©bris de tombes jaunes.
Oui, tu mâes encore la destructrice de toutes les tombes : salut Ă toi, ma volonté ! Et ce nâest que lĂ oĂč il y a des tombes quâil y a des rĂ©surrections. â
Chant de Zarathoustra.
***
Il sâagit lĂ de la suite de la retraduction commentĂ©e et littĂ©rale du Zarathoustra de Nietzsche. OnziĂšme chapitre de la « DeuxiĂšme partie » des « Discours de Zarathoustra ». Les prĂ©cĂ©dents se trouvent ici.