Prologue 1 – Présentation rezoomée
ALORS QUE PENTHÉE, LE ROI DE THÈBES, est sur le point d’employer la force pour ramener les femmes en délire sur le droit chemin, pour les faire revenir des montagnes à la ville, de la nature sauvage à leur foyer, de leur sombre folie à la claire raison, un mystérieux jeune homme, à l’allure orientale, aux cheveux longs et aux habits amples, se présente soudain aux portes de la cité, fameuse pour ses sources de Dircé et son fleuve l’Isménos.
Dès son arrivée, l’étrange individu dévoile son identité : il se nomme Dionysos ; il est le fruit des amours du divin Zeus et de la mortelle Sémélé, qui n’est autre que la fille de Cadmos, le fondateur de la ville. On le devine sans peine : si le dieu se fait jour sous forme humaine et non divine, c’est pour mieux se faire connaître et reconnaître par les Thébains.
La première chose que Dionysos relève en pénétrant dans la cité est le tombeau de sa mère ; elle a été foudroyée alors qu’il était justement dans son ventre ; brûlée par l’éclat surpuissant de Zeus lui-même, son divin amant. Selon Dionysos, c’est somme toute Héra – l’épouse de Zeus, souvent trompée, toujours jalouse –, c’est Héra qui a poussé Sémélé à demander au dieu de se présenter à elle dans sa plus brillante splendeur. Outrage : si Héra lui a fait miroiter le septième ciel, c’était dans le seul but de se débarrasser de sa rivale. Malgré les années passées, l’événement demeure bien vivant : une flamme divine continue à faire fumer les décombres de la chambre de Sémélé. A la vue du tombeau, Dionysos ne manque pas de louer Cadmos d’avoir su bien réagir et faire bâtir sur les décombres un sanctuaire. Et le dieu ne manque pas non plus de célébrer à son tour le lieu en l’enveloppant d’une belle vigne, dense, pleine de feuilles et de grappes de raisin – une vigne symbole des mystérieuses forces productrices de vie.
A vrai dire, Dionysos ne tombe pas du ciel ; il ne descend pas directement de l’Olympe, le siège céleste des dieux. Comme l’indiquent déjà son allure et ses habits, il provient d’Asie. Avant de se rendre à Thèbes, il a traversé d’innombrables régions et cités : la Lydie, la Phrygie, la Perse, la Bactriane, la terre des Mèdes, l’Arabie, et toutes les villes qui bordent la côte orientale de la mer Egée. Il a ni plus ni moins parcouru l’ensemble de l’Asie. Ce qu’il y a fait ? Se manifester en tant que dieu. C’est ainsi qu’il a initié toute une immense région, toute une partie du monde à ses rites dionysiaques, ses mystères, ses chants et autres danses bachiques.
Mais après l’Asie, place à la Grèce ! Elle aussi doit se rendre à l’évidence de la nature divine et incontournable de Dionysos ; elle aussi doit le reconnaître comme une divinité bien établie. Mais pourquoi commencer par Thèbes ? Si Dionysos se rend d’abord dans cette cité, c’est au moins pour deux raisons : parce que Thèbes est la ville d’origine de sa mère, et donc aussi la sienne ; et parce que, réglée qu’elle est à la baguette par le rationaliste Penthée, la cité ne cesse de négliger son existence, influence et importance.
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Texte littéral :
DIONYSOS
Me voilà qui arrive sur la terre des Thébains, moi,
Dionysos, le fils de Zeus, enfanté par Sémélé, la fille de Cadmos,
Délivrée par le feu de l’éclair.
Après m’être métamorphosé de dieu en mortel,
Me voilà près des sources de Dircé et de l’eau de l’Isménos.
Je vois là, près du palais, le tombeau de ma mère foudroyée,
Et je vois là aussi les ruines de sa maison
Brûlée par le feu de Zeus d’une flamme toujours vivante –
Hubris, outrage immortel d’Héra contre ma mère.
Je loue Cadmos, qui empêche de marcher sur
Ce sol, sanctuaire de sa fille, que j’ai moi-même enveloppé
D’une verdure remplie de grappes de vigne.
Après avoir quitté les très riches champs dorés des Lydiens
Et des Phrygiens, après avoir parcouru les plateaux frappés de soleil des Perses,
Les murs de la Bactriane, la terre des Mèdes où règne
La tempête, l’heureuse Arabie
Et toute l’Asie qui, située le long de la mer salée,
Possède des cités aux belles tours,
Qui mêlent quantité de Grecs et de barbares,
Après y avoir engagé des chants et des danses, et institué mes
Célébrations de mystères, me voilà désormais arrivé dans cette cité des Grecs
Pour devenir une divinité manifeste pour les mortels.
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Ἥκω Διὸς παῖς τήνδε Θηβαίων χθόνα
Διόνυσος, ὃν τίκτει ποθ’ ἡ Κάδμου κόρη
Σεμέλη λοχευθεῖσ’ ἀστραπηφόρωι πυρί·
μορφὴν δ’ ἀμείψας ἐκ θεοῦ βροτησίαν
πάρειμι Δίρκης νάμαθ’ Ἱσμηνοῦ θ’ ὕδωρ.
ὁρῶ δὲ μητρὸς μνῆμα τῆς κεραυνίας
τόδ’ ἐγγὺς οἴκων καὶ δόμων ἐρείπια
τυφόμενα Δίου πυρὸς ἔτι ζῶσαν φλόγα,
ἀθάνατον Ἥρας μητέρ’ εἰς ἐμὴν ὕβριν.
αἰνῶ δὲ Κάδμον, ἄβατον ὃς πέδον τόδε
τίθησι, θυγατρὸς σηκόν· ἀμπέλου δέ νιν
πέριξ ἐγὼ ’κάλυψα βοτρυώδει χλόηι.
λιπὼν δὲ Λυδῶν τοὺς πολυχρύσους γύας
Φρυγῶν τε, Περσῶν ἡλιοβλήτους πλάκας
Βάκτριά τε τείχη τήν τε δύσχιμον χθόνα
Μήδων ἐπελθὼν Ἀραβίαν τ’ εὐδαίμονα
Ἀσίαν τε πᾶσαν ἣ παρ’ ἁλμυρὰν ἅλα
κεῖται μιγάσιν Ἕλλησι βαρβάροις θ’ ὁμοῦ
πλήρεις ἔχουσα καλλιπυργώτους πόλεις,
ἐς τήνδε πρώτην ἦλθον Ἑλλήνων πόλιν,
τἀκεῖ χορεύσας καὶ καταστήσας ἐμὰς
τελετάς, ἵν’ εἴην ἐμφανὴς δαίμων βροτοῖς.
Les autres passages des Bacchantes se trouvent ici (de bas en haut).