105-134 PrésentationPRIS PAR UN ÉLAN ENTHOUSIASTE suite à la célébration de la double gestation et naissance de Dionysos, le chœur s’adresse à la « nourrice de Sémélé », c’est-à-dire à la ville de Thèbes, au sens où la cité est le terreau, la terre nourricière de la mère du dieu. Comme les suivantes de Dionysos, Thèbes doit se couronner de la plante grimpante et exubérante qu’est le lierre. L’enjeu est toujours le même : que toute la ville se consacre au dieu et devienne de part en part bacchante. Or pour ce faire, Thèbes doit s’orner de rameaux de chêne et de sapin, se muer en cette sorte de lierre qu’est le smilax, fleurir en abondance et produire des fruits à profusion. Et pour parachever sa métamorphose, il faut encore qu’elle ceinture de laine en boucles blanches sa nébride, sa peau de faon tachetée portée sur les épaules ; il faut qu’elle la ceinture, afin qu’elle ne flotte ni ne traîne, mais soit marquée par une douce tenue. Et il faut aussi qu’elle purifie le narthex, la partie principale du thyrse, pour que de simple bâton qu’il est d’abord, il exprime comme il se doit la maîtrise, la fougue et la vigueur dionysiaques.
A peine la transformation accomplie, l’ensemble de la terre thébaine se mettra à danser au rythme de Dionysos Bromios. Et voilà que le dieu délivrera ses thiases des structures et idées rationnelles ; qu’il les conduira loin de la cité organisée, les portera vers les montagnes, là où il a déjà emmené les femmes piquées de folie – les femmes qu’il a poussées à abandonner la routine des métiers à tisser et des navettes et qu’il a amenées à célébrer la vie dionysiaque.
Après s’être adressé ainsi à Thèbes, le chœur invoque les grottes de Crète : les cavernes des Courètes, les serviteurs de la Déesse-Mère Rhéa, qui y a mis au monde le jeune Zeus, le père de Dionysos ; et celles des Corybantes, serviteurs de la déesse Cybèle, alter ego phrygien de Rhéa et acolyte de Dionysos ; les Corybantes, eux les combattants au casque à trois cimiers, eux les musiciens-inventeurs de l’instrument bacchique par excellence qu’est le tambourin : objet rond tendu de cuir qui fait résonner au loin le grondement pulsif de la vie et de la mort.
Et déjà la musique dionysiaque se fait entendre ; déjà la célébration bacchique devient véhémente : les Corybantes se sont mis à rythmer sur leur tambourin les doux souffles des auloi phrygiens, ancêtres de notre hautbois ou clarinette modernes ; grâce à lui, les cris d’évohé des bacchantes ont trouvé leur cadence ; la Déesse-Mère Rhéa a elle aussi reçu l’instrument, et l’a transmis aux Satyres. Les Satyres, ces étranges compagnons de Dionysos aux pattes, à la queue et aux oreilles pointues de cheval, sans parler de leur sexe, volontiers proéminant ; les Satyres, ces obscurs personnages, rieurs et joueurs, qui incarnent le caractère sauvage, énigmatique et fécond de la vie dionysiaque. Et voilà que les Satyres scandent eux aussi, à l’aide du tambourin, leurs chœurs triennaux, c’est-à-dire les chœurs bachiques par lesquels, tous les deux ans – ou tous les trois, si on compte comme les Grecs l’année en cours –, ils réjouissent leur divin maître, Dionysos.
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Texte intégral :
CHOEUR
(105) Ô Thèbes, nourrice de Sémélé,
Couronne-toi de lierre !
Fleuris en abondance, fleuris en abondance d’un verdoyant
smilax qui produit de beaux fruits,
Et rends-toi toute entière bacchante
(110) Avec des rameaux de chêne ou de sapin ;
Le vêtement qu’est la nébride tachetée,
Ceinture-le de laine en boucles
Blanches ! Le narthex fougueux,
Purifie-le tout autour ! Aussitôt, la terre entière dansera,
Quand Bromios mènera les thiases
Vers la montagne, vers la montagne où demeure
La foule féminine,
Loin des métiers à tisser et des navettes,
Piquée par l’aiguillon de Dionysos.
(120) Ô caverne des Courètes
Et divines grottes de la Crète
Qui ont donné naissance à Zeus,
Là, dans leurs antres, les Corybantes au casque surmonté de trois cimiers,
Ont trouvé pour moi
Ce rond objet tendu de cuir ;
Et dans la véhémence de la bacchanale,
Ils l’ont mêlé aux souffles aux doux sons
Des auloi phrygiens ; et entre les mains de la Déesse-Mère Rhéa,
Ils l’ont déposé, lui dont le bruit retentit aux évohés des bacchantes ;
(130) Le tambourin, les Satyres en délire
L’ont alors obtenu de la déesse mère,
Et l’ont joint
A leurs chœurs triennaux
Qui réjouissent Dionysos.
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(105) ὦ Σεμέλας τροφοὶ Θῆ-
βαι, στεφανοῦσθε κισσῶι·
βρύετε βρύετε χλοήρει
μίλακι καλλικάρπωι
καὶ καταβακχιοῦσθε δρυὸς
(110) ἢ ἐλάτας κλάδοισι,
στικτῶν τ’ ἐνδυτὰ νεβρίδων
στέφετε λευκοτρίχων πλοκάμων
μαλλοῖς· ἀμφὶ δὲ νάρθηκας ὑβριστὰς
ὁσιοῦσθ’· αὐτίκα γᾶ πᾶσα χορεύσει,
Βρόμιος εὖτ’ ἂν ἄγηι θιάσους
εἰς ὄρος εἰς ὄρος, ἔνθα μένει
θηλυγενὴς ὄχλος
ἀφ’ ἱστῶν παρὰ κερκίδων τ’
οἰστρηθεὶς Διονύσωι.
(120) ὦ θαλάμευμα Κουρή-
των ζάθεοί τε Κρήτας
Διογενέτορες ἔναυλοι,
ἔνθα τρικόρυθες ἄντροις
βυρσότονον κύκλωμα τόδε
μοι Κορύβαντες ηὗρον·
βακχείαι δ’ ἀνὰ συντόνωι
κέρασαν ἡδυβόαι Φρυγίων
αὐλῶν πνεύματι ματρός τε Ῥέας ἐς
χέρα θῆκαν, κτύπον εὐάσμασι βακχᾶν·
(130) παρὰ δὲ μαινόμενοι Σάτυροι
ματέρος ἐξανύσαντο θεᾶς,
ἐς δὲ χορεύματα
συνῆψαν τριετηρίδων,
αἷς χαίρει Διόνυσος.
Les autres passages des Bacchantes se trouvent ici.