A LA FIN DE SA PREMIÈRE INTERVENTION, le chœur s’extasie sur la joyeuse douceur de son dieu lorsqu’il initie les célébrations bachiques. Comme il est heureux et doux Dionysos Bromios quand, dans les montagnes, loin de la vie civilisée, il court avec les membres de ses thiases ! Il se confond avec ses fidèles : ensemble, ils foncent à travers bois et clairières une pareille peau de faon sacrée sur les épaules.
Mais, tout à coup, le dieu se distingue de sa fervente horde. Il plonge sur le sol, attrape une bête, traque son sang, la saigne tel un bouc sacrificiel et se met à en dévorer la chair crue – joie de l’homophagie ! En procédant de la sorte, le dieu est l’exarque des bacchantes : il donne à ses thiases le signal du commencement du rituel festif. Et voilà que Dionysos et son cortège, où qu’ils soient, se voient transposés dans les montagnes asiatiques de Phrygie et de Lydie. Et voilà qu’en réponse au signe divin, les bacchantes, exaltées, poussent le cri de l’évohé.
Et ce n’est pas tout : Dionysos et les bacchantes ne sont pas les seuls à manifester leur enthousiasme bachique. Répondant à leur élan, la terre entière déborde elle aussi de joie et de tendresse. Plus généreuse que jamais, elle fait soudain s’écouler à profusion du lait, du vin et du miel, nectar d’abeilles, – autant d’aliments symboles de vie, de fertilité et d’immortalité, dont la suavité fait écho à la sauvage brutalité de la chasse et de l’homophagie.
C’est alors que le dieu, le Bacchant par excellence, élève dans le ciel une torche de pin à flamme ardente – une torche de pomme de pin, fameux emblème dionysiaque qui, comme le lierre, figure la permanence de la vie végétative, l’exaltation de la puissance vitale et la glorification de la fécondité. Et Dionysos de faire luire ainsi les faces sombres, insoupçonnées, mystérieuses du monde. Et de répandre en même temps dans les airs comme une vapeur d’encens syrien, enivrant rappel des rites dionysiaques asiatiques.
Puis, d’un signal de son narthex – la partie principale du thyrse –, le dieu fait s’élancer les femmes errantes que sont les bacchantes ; il les pousse à courir et à produire des chœurs dans les montagnes ; il les excite ; il crie ; et se met lui-même en mouvement en faisant virevolter dans les airs les délicates boucles de sa chevelure.
En écho aux évohés des bacchantes, Dionysos fait entendre sa voix : par deux fois, il appelle ses suivantes à se rassembler autour de lui, les exhorte à chanter et danser en son honneur, avec l’aisance et brillance qui marque l’écoulement du fleuve jaillissant du mont Tmôlos, chez lui, en Lydie. Quand le bruit harmonieux de l’aulos en bois de lotus sacré – instrument qui fait entendre quantités de mélodies et de jeux eux aussi sacrés – retentit en accord avec leurs errances montagnardes, il faut que les bacchantes, sur fond de grondements de tambourins, crient et dansent à la mode phrygienne, glorifiant par toute une série d’évohés le dieu de l’évohé.
A peine le dieu a fini de parler, chaque bacchante éprouve elle aussi, sans délai, dans une sorte de fusion dionysiaque, la joyeuse douceur de Dionysos. Semblable à une jeune pouliche insouciante qui gambade en toute légèreté dans le pré en compagnie de sa mère, chacune fait soudain exécuter à ses pieds agiles des danses aussi gracieuses que bondissantes, prise qu’elle est par la douce folie et joyeuse ivresse dionysiaques.
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Texte intégral :
CHOEUR
(135) Il est doux et heureux dans les montagnes quand,
Lui aussi habillé du vêtement sacré en peau de faon,
Il quitte la course des thiases,
Plonge à terre, et traque le sang
Sur le point de s’écouler du bouc – quelle joie de dévorer la chair crue !
(140) Il est emporté vers les montagnes de Phrygie et de Lydie,
Lui, Bromios, l’exarque, le signal du commencement de tout ça,
Evohé.
Le sol ruisselle de lait, ruisselle de vin,
Ruisselle de nectar d’abeilles.
Comme une vapeur d’encens syrien,
Le Bacchant élève
La flamme ardente du pin,
Et par l’intermédiaire de son narthex, fait s’élancer les errantes
En course et en chœurs ;
Les excite
Et les pousse par des cris,
(150) Et jette lui-même vers l’éther ses boucles délicates.
En même temps, voici ce qu’il fait retenir en écho aux évohés :
Ô, venez, bacchantes,
Ô, venez, bacchantes,
Avec la brillance du Tmôlos aux flots d’or,
Sur fond de tambours au profond grondement,
Chantez et dansez Dionysos,
Glorifiant d’évohés le dieu de l’évohé,
Dans des cris et des chants phrygiens,
(160) Quand le lotus sacré au bruit harmonieux
Fait retentir des jeux sacrés qui s’accordent à
Vos errances dans les montagnes, dans les montagnes.
La bacchante est adoucie et rendue heureuse comme la pouliche paissant avec sa mère,
La bacchante mène sa jambe au pied agile dans des danses légères, la bacchante.
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(135) ἡδὺς ἐν ὄρεσσιν ὅταν
ἐκ θιάσων δρομαίω
πέσηι πεδόσε, νεβρίδος ἔχων
ἱερὸν ἐνδυτόν, ἀγρεύων
αἷμα τραγοκτόνον, ὠμοφάγον χάριν,
(140) ἱέμενος εἰς ὄρεα Φρύγια Λύδι’
†ὁ δ’ ἔξαρχος† Βρόμιος·
εὖοἷ.
ῥεῖ δὲ γάλακτι πέδον, ῥεῖ δ’ οἴνωι,
ῥεῖ δὲ μελισσᾶν νέκταρι.
Συρίας δ’ ὡς λιβάνου κα-
πνὸν ὁ Βακχεὺς ἀνέχων
πυρσώδη φλόγα πεύκας
ἐκ νάρθηκος ἀίσσει
δρόμωι καὶ χοροῖσιν
πλανάτας ἐρεθίζων
ἰαχαῖς τ’ ἀναπάλλων
(150) τρυφερόν <τε> πλόκαμον εἰς αἰθέρα ῥίπτων.
†ἅμα δ’ ἐπ’ εὐάσμασιν ἐπιβρέμει τοιάδ’·†
Ὦ ἴτε βάκχαι,
ὦ ἴτε βάκχαι,
Τμώλου χρυσορόου χλιδᾷ
μέλπετε τὸν Διόνυσον
βαρυβρόμων ὑπὸ τυμπάνων,
εὔια τὸν εὔιον ἀγαλλόμεναι θεὸν
ἐν Φρυγίαισι βοαῖς ἐνοπαῖσί τε,
(160) λωτὸς ὅταν εὐκέλαδος
ἱερὸς ἱερὰ παίγματα βρέμηι σύνοχα
φοιτάσιν εἰς ὄρος εἰς ὄρος· ἡδομέ-
να δ’ ἄρα πῶλος ὅπως ἅμα ματέρι
φορβάδι κῶλον ἄγει ταχύπουν σκιρτήμασι βάκχα.
Les autres passages des Bacchantes se trouvent ici.