LA TRAGÉDIE DES EUMÉNIDES est la troisième pièce de la trilogie composée par le poète tragique Eschyle. L’action s’ouvre sur un monologue de la Pythie, la fameuse prophétesse du dieu Apollon à Delphes.
Sur le point d’entrer dans la partie la plus sacrée du sanctuaire – celle où, forte de la voix de sa divinité, elle transmet ses oracles aux hommes –, la Pythie se met à prier, non seulement son dieu, Apollon, mais aussi d’autres divinités prophétiques susceptibles de l’aider à guider les hommes.
Elle commence par vénérer la Terre, première gardienne de l’oracle delphique ; puis sa fille Thémis, qui personnifie la loi divine ; puis Phoibé, la grand-mère d’Apollon qui a précédé ce dernier sur le trône de Delphes ; avant de passer finalement à Apollon lui-même.
Au début de notre passage, la Pythie en vient à célébrer les Nymphes, qui elles aussi possèdent un certain pouvoir divinatoire. Pas toutes les Nymphes, bien sûr – il y en a des centaines et des centaines de part le monde –, mais celles de la grotte de Corycis, située tout près de Delphes, vers le sommet du Mont Parnasse, la montagne qui surplombe le sanctuaire. Grotte qui a pour particularité d’être remplie d’innombrables gazouillis d’oiseaux et de se voir fréquentée par toutes sortes de divinités de passage.
Mais le plus important à propos de cette grotte – comme le relève la Pythie elle-même, non sans faire savoir qu’elle ne l’oublie pas – est qu’elle est la propriété de Dionysos. Dionysos-Bromios – le dieu dont le terrible grondement, le profond mugissement fait trembler tous ceux qui ne comptent pas parmi ses fidèles. Voilà longtemps qu’il règne sur la grotte de Corycis : depuis le jour où, à la tête des Bacchantes, il a combattu son cousin Penthée, le roi de Thèbes, qui refusait de reconnaître sa divine nature et importance.
Aveuglé par sa rassurante vision rationnelle et morale du monde, Penthée a vu Dionysos-Bromios le punir, lui tramer un bien noir destin : le dieu lui a fait payer sa sotte arrogance en lui réservant le sort d’un lièvre – animal sauvage, plein de forces de vie, mais traqué, attrapé, tué, et finalement déchiqueté puis dévoré par les compagnes du dieu en délire.
Si la Pythie ne prie pas directement Dionysos-Bromios, si elle ne semble le mentionner qu’en passant, elle ne manque toutefois pas de souligner son importance. Nous le savons : même si ce n’est que de manière cachée, la présence du dieu est inaliénable, aussi à Delphes, comme le rappelle l’un des frontons qui lui est consacré sur le temple du sanctuaire. En tant que dieu de la vie et de la mort, en tant qu’incarnation des forces du monde, il guide lui aussi les hommes dans leurs actions – n’hésitant pas à les punir de mort s’ils viennent à se survaloriser et par là troubler l’équilibre du tout.
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J’honore les Nymphes, celles de la grotte de Corycis,
Amie des oiseaux, passage de divinités.
Bromios règne sur cet endroit, et je ne l’oublie pas,
Depuis le jour où le dieu a mené au combat les Bacchantes,
Tramant comme punition pour Penthée le sort d’un lièvre.
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σέβω δὲ νύμφας, ἔνθα Κωρυκὶς πέτρα
κοίλη, φίλορνις, δαιμόνων ἀναστροφή.
Βρόμιος ἔχει τὸν χῶρον, οὐδ’ ἀμνημονῶ,
ἐξ οὗτε Βάκχαις ἐστρατήγησεν θεὸς
λαγὼ δίκην Πενθεῖ καταρράψας μόρον.
Eschyle, Euménides, 22-26
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