Hymne homérique à Dionysos I (suite) | Lion et ours dionysiaques

APRÈS AVOIR ÉTÉ REMIS À L’ORDRE par le capitaine, le pilote fait hisser les voiles. Très vite, le vent les gonfle et tend les cordages. Et voilà que le noir navire de pirates file sur la mer. Mais le bateau a beau prendre le large, l’inquiétante étrangeté du jeune homme prisonnier ne se trouve pas diminuée pour autant. Bien au contraire : alors que ses liens se défaisaient sans cesse, d’autres actes, plus étonnants et merveilleux encore, se produisent.

Un étrange liquide apparaît soudain sur le bateau : non pas qu’une vague d’eau salée soit venue s’abattre sur le pont, mais un doux breuvage, une boisson odorante y jaillit soudain bruyamment. Dionysos n’y va pas de main morte : il fait ni plus ni moins surgir du vin, son breuvage par excellence, et se répandre une odeur immortelle, rappelant l’ambroisie, la nourriture divine qui confère à ceux qui l’ingèrent une vie sans fin. L’étonnement des marins se transforme en stupeur et en effroi.

D’autant plus que le dieu ne se contente pas de ces prodiges. En effet, le long de la plus haute voile s’étend soudain une immense vigne, porteuse de nombreuses grappes – symboles dionysiaques des mystérieuses forces de vie. Et le long du mât s’enroule tout à coup un sombre lierre, aux multiples fleurs et aux fruits réjouissants : la plante grimpante et exubérante qui unit en elle les couleurs sombres et joyeuses ; la plante qui figure la permanence et puissance de la vie. Et toutes les chevilles des rames se parent subitement d’une couronne.

« Approche-toi de la terre, fais accoster le navire ! », crient alors au pilote les marins effrayés. Mais il est trop tard ; ils auraient dû réfléchir avant, écouter le conseil du pilote et ne pas se laisser entraîner comme ils l’ont fait à l’hubris, à la convoitise démesurée : impossible désormais de revenir en arrière…

Et Dionysos de poursuivre de plus belle ses prodiges. Après les productions végétales, il passe aux épiphanies animales : il prend la forme d’un terrible lion, redoutable de puissance et de cruauté ; il se met à rugir de toute sa force du point le plus élevé du bateau. En même temps, un peu plus bas, au milieu du pont du navire, il fait apparaître un ours au cou velu, lui aussi incarnation de la force instinctive et brutale. Autant de signes de la puissance divine de Dionysos, du caractère sauvage et violent de la vie qu’il figure. Et voilà que, face aux marins apeurés, l’ours se dresse de fureur, et que le lion les menace de ses yeux étincelants d’irritation, les regardant de bas en haut, prêt à bondir.

Mais que va-t-il se passer ? Quel espoir de salut les marins peuvent-ils encore avoir ?

(A suivre…)

*

Après que le capitaine ait ainsi parlé, on dressait le mât et la voile du navire.
Le vent a soufflé au milieu de la voile, et tout autour les cordages
Se sont tendus ; bientôt des actes étonnants leur sont apparus.
Tout d’abord, sur le rapide navire noir, du vin,
Doux breuvage odoriférant, a jaillit avec bruit et une odeur immortelle
S’est levée ; une stupeur a pris tous les marins qui voyaient cela.
Aussitôt, le long de la plus haute voile, s’est étendue
Çà et là une vigne, et de nombreuses grappes
Y étaient suspendues ; puis le long du mât s’est enroulé un sombre lierre
Abondant en fleurs, et des fruits réjouissants y poussaient ;
Et toutes les chevilles des rames avaient des couronnes ; voyant cela,
Les marins ordonnaient alors au pilote d’approcher désormais
Le bateau de la terre ; mais le dieu est devenu pour eux à l’intérieur du navire,
A son point le plus haut, un lion terrible, et il rugissait grandement, puis au milieu du navire
Le dieu, montrant des signes, a produit un ours au cou velu ;
L’ours s’est dressé de fureur, alors que le lion sur le sommet du pont
Regardait de bas en haut d’une terrible manière ; […]

 *

Ὣς εἰπὼν ἱστόν τε καὶ ἱστίον ἕλκετο νηός.
ἔμπνευσεν δ’ ἄνεμος μέσον ἱστίον, ἀμφὶ δ’ ἄρ’ ὅπλα
καττάνυσαν· τάχα δέ σφιν ἐφαίνετο θαυματὰ ἔργα.
οἶνος μὲν πρώτιστα θοὴν ἀνὰ νῆα μέλαιναν
ἡδύποτος κελάρυζ’ εὐώδης, ὤρνυτο δ’ ὀδμὴ
ἀμβροσίη· ναύτας δὲ τάφος λάβε πάντας ἰδόντας.
αὐτίκα δ’ ἀκρότατον παρὰ ἱστίον ἐξετανύσθη
ἄμπελος ἔνθα καὶ ἔνθα, κατεκρημνῶντο δὲ πολλοὶ
βότρυες· ἀμφ’ ἱστὸν δὲ μέλας εἱλίσσετο κισσὸς
ἄνθεσι τηλεθάων, χαρίεις δ’ ἐπὶ καρπὸς ὀρώρει·
πάντες δὲ σκαλμοὶ στεφάνους ἔχον· οἱ δὲ ἰδόντες
νῆ’ ἤδη τότ’ ἔπειτα κυβερνήτην ἐκέλευον
γῇ πελάαν· ὁ δ’ ἄρα σφι λέων γένετ’ ἔνδοθι νηὸς
δεινὸς ἐπ’ ἀκροτάτης, μέγα δ’ ἔβραχεν, ἐν δ’ ἄρα μέσσῃ
ἄρκτον ἐποίησεν λασιαύχενα σήματα φαίνων·
ἂν δ’ ἔστη μεμαυῖα, λέων δ’ ἐπὶ σέλματος ἄκρου
δεινὸν ὑπόδρα ἰδών· […]

Hymne homérique à Dionysos, 32-48.

*

Ce témoignage de Dionysos vous a parlé ? Vous en trouverez d’autres (dont la première partie de celui-ci) ici.

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