PRIS DE PEUR PAR LA TERRIBLE FUREUR du lion et de l’ours dionysiaques sur le point de les attaquer, les marins cherchent à fuir. Mais, sur le bateau, la marge de manœuvre est restreinte… C’est ainsi qu’ils se réfugient sur la poupe, là où se tient le pilote. Le seul à avoir précédemment reconnu la nature divine de leur prisonnier ; le seul qui désormais garde son calme ; le seul dont le thumos, l’organe qui anime, stimule et excite hommes et dieux, reste modéré.
Mais la fuite des marins vers le pilote ne pondère pas les ardeurs du lion. Bien au contraire : sans délai, ce dernier bondit sur le capitaine. Pour le tuer ? Le dévorer ? Le chant ne le dit pas. Mais les marins n’y réfléchissent pas par deux fois : pour ne pas subir le même sort, les voilà qui plongent dans la mer. A peine dans l’eau, nouveau prodige : les pirates perdent leur aspect humain et se voient métamorphosés en… dauphins, – mammifères connus comme serviteurs et messagers de la Grande Déesse de la mer, souvent accompagnée par… Dionysos. Voici que ceux-là même qui ont fait outrage au dieu par leur convoitise démesurée se trouvent mis à son service sous forme de dauphins.
Et le pilote ? Comme il n’a, lui, pas été dupe et s’est dûment interposé en faveur du dieu, il bénéficie d’un destin privilégié. Alors même que, entraîné par le mouvement des autres, il est lui aussi sur le point de sauter, Dionysos le retient et lui adresse la parole en ces termes : « Aie confiance, divin Hécator, toi qui réjouis mon élan vital ! » Appelé par son nom doublé de l’épithète « divin », le pilote peut à bon droit retrouver son calme : si ses compères ont péché par hubris, il n’a pour sa part cessé de réjouir le thumos du dieu, qui en vient à lui dévoiler qui il est véritablement : Dionysos, le très grondant et très puissant fils de Sémélé et de Zeus.
Moralité : même s’il joue les masques, même s’il apparaît sous diverses formes et qu’on peine à le reconnaître, Dionysos est incontournable et ne doit jamais être négligé. Bienheureux celui qui lui accorde la place qui lui revient ! Mais gare à celui qui ne l’honore pas comme il se doit : il sera corrigé et malgré lui contraint à le servir ! Et le chanteur de relever à son tour sa fidélité au dieu : « Réjouis-toi, enfant de Sémélé aux beaux yeux », lui dit-il. Avant de conclure en soulignant l’influence de Dionysos sur toute musique : comme à toute chose, c’est lui qui donne aux chants leur beauté de leur doux ordre.
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[…] ; les marins se sont enfuis vers la poupe
Et se sont placés effrayés autour du pilote dont
L’élan vital était modéré. Soudain, s’élançant, le lion
A saisi le capitaine ; et les marins l’ayant vu, pour échapper à ce funeste destin,
Ont sauté tous ensemble dans la divine mer,
Et se sont vus devenir dauphins. Apitoyé par le pilote,
Dionysos l’a retenu, l’a rendu pleinement heureux et lui a dit ces mots :
« Aie confiance, divin Hécator, toi qui réjouis mon élan vital ;
Je suis, moi, Dionysos le très grondant, qu’a enfanté ma mère
Sémélé la Cadméenne, après s’être unie d’amour à Zeus. »
Réjouis-toi, enfant de Sémélé aux beaux yeux ; si on venait à t’oublier,
Il serait tout à fait impossible de mettre en ordre un doux chant.
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[…]· οἱ δ’ εἰς πρύμνην ἐφόβηθεν,
ἀμφὶ κυβερνήτην δὲ σαόφρονα θυμὸν ἔχοντα
ἔσταν ἄρ’ ἐκπληγέντες· ὁ δ’ ἐξαπίνης ἐπορούσας
ἀρχὸν ἕλ’, οἱ δὲ θύραζε κακὸν μόρον ἐξαλύοντες
πάντες ὁμῶς πήδησαν ἐπεὶ ἴδον εἰς ἅλα δῖαν,
δελφῖνες δ’ ἐγένοντο· κυβερνήτην δ’ ἐλεήσας
ἔσχεθε καί μιν ἔθηκε πανόλβιον εἶπέ τε μῦθον·
Θάρσει † δῖ’ ἑκάτωρ τῷ ἐμῷ κεχαρισμένε θυμῷ·
εἰμὶ δ’ ἐγὼ Διόνυσος ἐρίβρομος ὃν τέκε μήτηρ
Καδμηῒς Σεμέλη Διὸς ἐν φιλότητι μιγεῖσα.
Χαῖρε τέκος Σεμέλης εὐώπιδος· οὐδέ πῃ ἔστι
σεῖό γε ληθόμενον γλυκερὴν κοσμῆσαι ἀοιδήν.
Hymne homérique à Dionysos, 48-59.