QUOI, VOUS ME FUYEZ ? Vous êtes effrayés par ce qui vous arrive ? Ma mise en garde contre les bons et les justes vous fait trembler ?
Ô mes frères, mais à quoi vous attendiez-vous quand je vous ai poussé à briser les bons et les justes et les valeurs des bons et des justes ? Vous croyiez que ce serait sans conséquences pour vous et pour l’homme en général ? Détrompez-vous : ce n’est que par là que j’ai arraché l’homme de la terre qu’il exploite et assèche ; que je l’ai libéré du désert rationaliste et moraliste dans lequel il vit depuis la nuit des temps ; ce n’est que par là que je l’ai embarqué sur sa haute mer, en direction du surhomme.
Si, par le passé, l’homme a rencontré la peur, la suspicion, la maladie et quantité d’autres choses qui lui ont donné la nausée, il a toujours su résoudre ses problèmes par son intelligence et ses croyances. Rivé qu’il était sur ses idées de bonté et de justice, il s’en est toujours sorti. Mais tout a changé : débarrassé des bons et des justes, loin de sa terre et de ses idéaux, embarqué sur sa haute mer, le voilà qui rencontre le grand effroi, le grand regarder-autour-de-soi, la grande inquiétude, la grande maladie, le grand dégoût : le grand mal de mer.
Les rivages que les bons et les justes vous ont appris, les contours qu’ils vous ont fait repérer et maîtriser, la sécurité et l’assurance qu’ils vous ont fait gagner s’avèrent tout à coup être faux, des leurres, des apparences. Ce que vous croyiez être la vérité se dévoile soudainement comme une erreur, une illusion ; ce qu’on vous a enseigné apparaît comme une succession de mensonges. Oui, c’est dans des mensonges que vous êtes nés ; dans des mensonges que vous avez grandi ; dans des mensonges que vous avez été cachés, voilés, et en même temps abrités et protégé toute votre vie durant. Et voilà que vous vous rendez compte que le monde que vous croyiez vrai est de fond en comble menteur : simple voile cachant et abritant la vérité profonde ; simple surface illusoire, interprétation superficielle à partir d’idées préétablies.
Mais ne soyez pas effrayés ! Le sage spécialiste des origines qui a découvert le pays « Homme », qui a sondé sa vraie nature et reconnu comment il est devenu le domaine du bon et du juste, n’en est pas resté là : il a aussi découvert le pays « Avenir de l’homme ». C’est ainsi qu’il a arraché l’homme de sa terre et l’a placé sur la mer, sur la haute mer, sa haute mer ! Ne soyez pas effrayés par ce qui vous arrive ! Vous avez franchi une étape : vous devez maintenez être des marins, mes braves et patients marins !
Marchez droit et partez à l’heure, ô mes frères ! Apprenez à marcher droit ! Nous vivons une période de troubles : la mer est déchaînée, tempétueuse : nombreux sont ceux qui ont besoin de vous ; nombreux sont ceux qui veulent se redresser en s’accrochant à vous.
La mer est déchaînée, tempétueuse. Regardez, tout est dans la mer – et pas seulement ce qui se montre, et pas seulement les valeurs du plus laid des hommes. Allez ! En route ! Vous autres vieux cœurs de marins ! Cap sur le surhomme !
Qu’importe votre patrie ! Qu’importe la terre sur laquelle vous êtes nés et avez grandi ! Qu’importent les bons et justes qui vous ont précédés ! Regardez, c’est là-bas, au milieu de la mer, que veut nous conduire notre gouvernail ; là-bas, au loin, où se trouve le pays de nos enfants ! Ne tremblez plus, regardez : notre grande aspiration – grande nostalgie, grand désir – est plus tempétueuse encore que la mer tempétueuse ! Notre volonté d’idéal tragique plus puissante que la peur d’échouer ! Allez, en route ! Cap sur le surhomme !
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Traduction littérale
Vous me fuyez ? Vous êtes effrayés ? Vous tremblez devant cette parole ?
Ô mes frères, quand je vous ai poussé à briser les bons et les tables des bons : ce n’est que là que j’ai fait embarquer l’homme sur sa haute mer.
Et voilà seulement que lui vient le grand effroi, le grand regarder-autour-de-soi, la grande maladie, le grand dégoût, le grand mal de mer.
Les bons vous ont appris de faux rivages et de fausses sécurités ; vous êtes nés et avez été cachés dans des mensonges des bons. Tout est jusqu’au fond menteur et caché par les bons.
Mais qui a découvert le pays « Homme » a aussi découvert le pays « Avenir de l’homme ». Vous devez maintenez être mes marins, braves, patients !
Marchez droit et à l’heure, ô mes frères, apprenez à marcher droit ! La mer est tempétueuse : nombreux sont ceux qui veulent se redresser en s’accrochant à vous.
La mer est tempétueuse : tout est dans la mer. Allez ! En route ! Vous autres vieux cœurs de marins !
Qu’importe la patrie ! C’est là-bas que veut aller notre gouvernail, là où est le pays de nos enfants ! Là-bas au loin, plus tempétueuse que la mer tempête notre grande aspiration (nostalgie).
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Il s’agit ci-dessus de la partie 28 (sur 30) du douzième chapitre (« De vieilles et de nouvelles tables ») de la « Troisième partie » des « Discours de Zarathoustra » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement réinvesti (en haut) et traduction littérale (en bas). Les précédents chapitres se trouvent ici.
Salut Michel,
Qu’est-ce que la « volonté d’idéal tragique »? ça m’intéresse. Merci de ta réponse.
Fedi
La volonté d’idéal tragique s’oppose à la volonté traditionnelle, d’ordre romantique. Au lieu d’aspirer à un monde idéal abstrait, il s’agit de tout faire pour réaliser, en soi et autour de soi, le vie ici et maintenant en sa nature tragique (comme tragédie, au sens du chant du bouc, le compagnon de Dionysos).