SI JAMAIS J’AI DĂPLOYĂ au-dessus de moi des ciels tranquilles⊠Si jamais jâai Ă©tendu une sphĂšre de calme au-dessus de lâagitation des contraires qui mâentoure et me harcĂšle ici-bas⊠Si, au lieu de me laisser tĂ©lĂ©guider par un prĂ©tendu monde idĂ©al, au lieu de me faire chahuter par mille opinions aussi Ă©goĂŻstes que contradictoires, jâai rĂ©ussi Ă devenir autonome, Ă me faire pousser des ailes et Ă mâenvoler dans mes propres cielsâŠ
Si jâai alors baignĂ© et jouĂ© Ă ma guise dans lâintensitĂ© de mes ciels ⊠Si jâai jubilĂ© lĂ -haut, dans de lointaines profondeurs de lumiĂšre⊠Et si, Ă force, ma libertĂ© elle-mĂȘme sâest vue pousser des ailes⊠Et si, Ă force, je me suis libĂ©rĂ© lâesprit et ai gagnĂ© une sagesse dâoiseauâŠ
Car voici comment parle la sagesse dâoiseau : « Regarde, il nây a pas de haut et pas de bas ! Il nây a pas de contraires : pas de bien et de mal, de vrai et de faux, de beau et de laid, dâutile et dâinutile ! Tout est bien ! Allez, lance-toi de tous les cĂŽtĂ©s, toi le lĂ©ger ! Lance-toi en haut, en bas, en-dehors, en-dedans, en arriĂšre et en avant ! Allez, joue avec le vent ! Danse, et ne marche plus ! Chante, et ne parle plus !
â Tous les mots ne sont-ils pas faits pour les lourds ? Tous les mots ne sont-ils pas trompeurs ? Tous les mots ne rĂ©duisent-ils pas la rĂ©alitĂ© Ă une peau de chagrin ? Tous les mots ne mentent-ils pas Ă la vie ? A ce qui est lĂ©ger, ouvert, complexe et mouvant ? Allez, chante, et ne parle plus ! »
Si jâai dĂ©ployĂ© au-dessus de moi de tels ciels tranquilles, je me suis ainsi libĂ©rĂ© lâesprit, si jâai atteint et me suis plongĂ© dans une telle intensitĂ©, si jâai appris Ă chanter et danser de la sorte, ĂŽ comment pourrais-je ne pas ĂȘtre dĂ©sireux dâĂ©ternitĂ©, sensuellement, sexuellement attirĂ© par le nuptial anneau des anneaux, lâanneau de lâĂ©ternel retour du mĂȘme ?
Jâai beau avoir cherchĂ©, jamais je nâai trouvĂ© la femme avec qui je voulais faire des enfants ; jamais je nâai aimĂ© de femme au point de vouloir, avec elle, perpĂ©tuer mon genre et faire des enfants ; ne serait-ceâŠ, ne serait-ce avec cette seule femme que jâaime de fond en comble : lâĂ©ternitĂ©. Il nây a quâavec elle, quâavec lâĂ©ternitĂ© et pour lâĂ©ternitĂ© que je veux faire des enfants, que je veux perpĂ©tuer mon genre et donner naissance Ă de beaux enfants, de beaux enfants remplis de force, de maĂźtrise et de joie. Car je tâaime, ĂŽ Ă©ternité ! Et avec toi et pour toi je veux tout faire ; avec toi et pour toi je veux produire le meilleur, avec toi et pour toi je veux avancer en direction du surhomme, je veux contribuer Ă la naissance du surhomme !
Car je tâaime, ĂŽ Ă©ternité !
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Traduction littérale
Si jamais jâai dĂ©ployĂ© au-dessus de moi des ciels tranquilles et me suis envolĂ© de mes propres ailes dans mes propres ciels :
Si jâai nagĂ© en jouant dans des lointaines profondeurs de lumiĂšre et quâune sagesse dâoiseau est venue Ă ma liberté : â
â mais voici comment parle la sagesse dâoiseau : « Regarde, il nây a pas de haut et pas de bas ! Lance-toi de tous cĂŽtĂ©s, au-dehors, en arriĂšre, toi le lĂ©ger, Chante ! Ne parle plus !
â tous les mots ne sont-ils pas faits pour les lourds ? Tous les mots ne mentent-ils pas au lĂ©ger ? Chante ! Ne parle plus ! » â
ĂŽ comment ne devrais-je pas ĂȘtre dĂ©sireux dâĂ©ternitĂ© et du nuptial anneau des anneaux, â lâanneau du retour ?
Jamais encore je nâai trouvĂ© la femme dont je voudrais des enfants, ne serait-ce cette femme que jâaime : car je tâaime, ĂŽ Ă©ternité !
Car je tâaime, ĂŽ Ă©ternité !
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Il sâagit ci-dessus de la septiĂšme et derniĂšre partie « Des sept sceaux » (seiziĂšme chapitre) de la « TroisiĂšme partie » des « Discours de Zarathoustra » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement rĂ©investi (en haut) et traduction littĂ©rale (en bas). Les prĂ©cĂ©dents chapitres et parties se trouvent ici. C’est ici la fin officielle du Zarathoustra. Le quatriĂšme livre n’a Ă©tĂ© publiĂ© qu’Ă quelques exemplaires et n’a jamais Ă©tĂ© diffusĂ© par Nietzsche lui-mĂȘme.