Non à l’amour-pitié

Giovanni Segantini - The last effort of the daySAVEZ-VOUS OÙ, dans le monde, se sont déroulées les plus grandes folies, sources des plus grandes souffrances ? Réponse : chez les compatissants, les êtres qui, conformément à la morale chrétienne-idéaliste, ont pour vocation d’aimer leur prochain, de le prendre en pitié et de partager avec lui ses faiblesses et ses souffrances.

Pris par ce tournant, on en est venu à perdre l’équilibre et la mesure de toute chose : on s’est mis à aspirer à un monde idéal, dénué de peine et de problème ; et on a tout mis en œuvre pour le réaliser dans l’ici et le maintenant. Mais au lieu d’améliorer la situation, on a par là provoqué d’innombrables jalousies et souffrances supplémentaires.

Malheur à tous ceux dont l’amour n’est que compassion et pitié ! Malheur à tous ceux qui aiment sans avoir surmonté notre tradition, sans s’être élevés au-dessus de leur pitié ! Leur amour ne fait que stimuler la faiblesse, provoquer la jalousie – et multiplier les souffrances.

Voilà comment, un jour, le diable lui-même m’a parlé – le diable, le pendant du Bon Dieu, le compensateur de l’excès de pureté, de bonté, de clarté, de beauté et de vérité traditionnelles : « Dieu a lui aussi son enfer ; il a lui aussi un lieu de souffrances dans lequel il finira par sombrer : c’est son amour pour les hommes. » A force de guider les mortels vers le paradis, à force de les aimer et les prendre en pitié, le Bon Dieu ne fait lui aussi que promouvoir la faiblesse, la jalousie et la souffrance. Au point de finir par en périr.

Et le diable ne s’est pas trompé : Dieu et les valeurs de lumière, de vérité, de beauté, de bonté, de pureté qu’il incarne ont bien fini par disparaître. Avec le temps, ils ont perdu leur statut, leur efficace : ils se sont dévoilés comme une erreur. Et voilà comment le diable est venu me parler, dernièrement : « Dieu est mort ; et c’est bien de sa compassion pour les hommes qu’il est mort. » Son amour, sa pitié, son aspiration idéaliste à un monde meilleur a eu raison de lui et de sa vie erronée.

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Traduction littérale

Ah, où dans le monde se sont passées de plus grandes folies que chez les compatissants ? Et qu’est-ce qui, dans le monde, a offert plus de souffrance que les folies du compatissant ?

Malheur à tous ceux qui aiment sans avoir encore une hauteur au-dessus de leur compassion !

Voilà comment un jour le diable m’a parlé : « Dieu a lui aussi son enfer : c’est son amour pour les hommes. »

Et dernièrement je l’ai entendu dire ces mots : « Dieu est mort ; c’est de sa compassion pour les hommes que Dieu est mort. »

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Il s’agit ci-dessus de l’épigraphe de la « Quatrième et dernière partie » des « Discours de Zarathoustra » du Zarathoustra de Nietzsche. Elle reprend un passage « Des compatissants » du troisième chapitre de la « Deuxième partie ». Texte phusiquement réinvesti à nouveau (en haut) et traduction littérale (en bas)Les autres chapitres et parties se trouvent ici.

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