« TU NE VOLERAS PAS ! TU NE TUERAS PAS ! » A l’époque, par chez nous, les commandements de ce genre couraient les rues. On les considérait même comme saints. On faisait tout pour les honorer : on s’agenouillait, courbait l’échine et allait jusqu’à enlever ses chaussures devant eux.
Mais je vous demande : y a-t-il un endroit au monde où il y a eu de plus grands voleurs et de plus grands assassins que par chez nous, là, justement, où ont triomphés de tels commandements pourtant considérés comme saints et vénérés partout ? Non !
Comment il se fait qu’il en soit ainsi ? Je vais vous le dire : du fait que ces commandements sont en désaccord avec la réalité de la vie. Voilà pourquoi notre monde a été marqué et continue à être marqué par un très grand nombre de vols et de meurtres. Mais dites-moi : n’est-il pas, dans certaines circonstances, bon de voler et de tuer ? Le vol et le meurtre n’est-il pas parfois nécessaire pour rétablir un tant soi peu l’équilibre de la vie, par exemple entre ceux qui n’ont rien et ceux qui ont tout ? En appelant saints de tels commandements, en les vénérant tout azimut, n’a-t-on pas frappé à mort la vérité elle-même – la vérité tragique de la vie ici et maintenant au profit d’une autre vérité, de la vérité idéale, abstraite, de l’ordre de la pure pensée morale ?
N’était-ce pas un prêche de mort que de proclamer saint ce qui, au fond, contredit la vie, ce qui va à l’encontre de la vérité tragique de la vie ? Oh, mes frères, mettez tout en œuvre pour brisez ce qui est néfaste à la vie, ce qui l’étouffe, ce qui l’empêche ! Brisez, brisez-moi les vieilles tables de valeurs et de commandements – et libérez donc l’existence en sa nature propre !
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Traduction littérale
« Tu ne dois pas voler ! Tu ne dois pas tuer ! » – on appelait jadis saintes de telles paroles ; devant elles, on pliait genoux et têtes et enlevait les chaussures.
Mais je vous demande : où de tout temps dans le monde est-ce qu’il y a eu de meilleurs voleurs et assassins que là où il y avait de tels mots saints ?
N’y a-t-il pas dans toute vie elle-même – vol et tuerie ? Et le fait que de tels mots soient appelés saints, la vérité elle-même n’a-t-elle pas été – frappée à mort ?
Ou était-ce un prêche de mort que de proclamer saint ce qui contredit et va à l’encontre de la vie ? Oh, mes frères, brisez, brisez-moi les vieilles tables !
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Il s’agit ci-dessus de la partie 10 (sur 30) du douzième chapitre (« De vieilles et de nouvelles tables ») de la « Troisième partie » des « Discours de Zarathoustra » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement réinvesti (en haut) et traduction littérale (en bas). Les précédents chapitres se trouvent ici.