IL Y A ENCORE, MES FRÈRES, DES LIEUX OÙ IL EXISTE DES PEUPLES ET DES TROUPEAUX. Des endroits où les gens vivent en harmonie les uns avec les autres. Ensemble. Mais ce n’est pas le cas chez nous : non, chez nous, il n’y a plus de peuple, plus de troupeau. Chez nous, il n’y a plus que des États.
L’État ? Vous voulez savoir ce que c’est que l’État ? Allez ! Ouvrez-moi grand vos oreilles, je vais vous le dire : l’État, c’est la mort des peuples.
Si les peuples et les troupeaux sont marqués par la chaleur, la cordialité, ce qu’on appelle État est au contraire froid, anonyme. L’État est un monstre sans âme, le plus froid de tous les monstres froids. Un monstre qui n’est pas seulement froid, mais qui, de plus, ment froidement. Voici un de ses mensonges préférés ; voici comment un de ses mensonges préférés rampe hors de sa bouche : « Moi, l’État, je suis le peuple », dit-il froidement.
Mais quel mensonge ! L’État n’a rien à voir avec le peuple ! Tous deux ne proviennent pas du même terreau. Jugez-en vous-mêmes : les peuples ont été créés par des créateurs, des hommes qui ont suspendu au-dessus de leurs semblables une croyance et un amour rassembleurs. Le tout au service du peuple. Et par là de la vie.
Les États sont au contraire le produit de destructeurs : loin d’unir les hommes dans une croyance et un amour communs, ils placent des pièges au-dessus de leurs têtes. Deux pièges : cent convoitises d’une part, et un glaive de l’autre. Cent désirs pour aguicher le grand nombre ; et un glaive pour qu’il sache ce que ça lui coûte d’aller trop loin. Il ne s’agit pas, dans L’État, de croire et d’aimer ; mais de convoiter, de consommer – et d’obéir. Politique de la carotte et du bâton : base du système de fonctionnement de l’État.
Bien sûr, là où le peuple existe encore, là où il y a encore des gens rassemblés par des idées et des affinités communes, on ne comprend pas l’État. Même plus : on le déteste. On le considère comme un danger : un regard méchant, un mépris et un péché contre les coutumes et les droits. Contre les « droits de l’homme », pourrait-on dire, mais en se gardant d’entendre l’expression au sens de l’État, c’est-à-dire en tant que droits de l’homme défini comme être vivant doué de raison, de logique, de rationalité pragmatique. Si le peuple déteste l’État, s’il y reconnaît un mépris et un pécher contre les coutumes et les droits de l’homme, c’est au sens où l’homme est pour lui bien plus qu’un animal doué de raison, un singe capable d’inventer et d’utiliser des machines rendant sa vie plus agréable, mais un pont entre l’animal et le surhomme.
Laissez-moi vous indiquer ceci : au contraire de l’État, qui cherche à faire que tout le monde parle la même langue, celle de l’État, justement ; que tout le monde partage les mêmes valeurs, celles de l’État, justement ; chaque peuple parle sa propre langue et cultive sa propre expérience du bien et du mal. Langue et expérience que le peuple voisin ne comprend pas – et que le peuple voisin n’a pas à comprendre. Car chaque peuple a inventé la langue qui lui convient : son langage, ses coutumes et ses droits. Sa vérité.
L’État, pour sa part, ment dans toutes les langues du bien et du mal. Il s’immisce froidement dans tous les peuples et leur impose son langage, sa logique rationnelle, son mensonge. Et il n’y a rien à faire : quoi qu’il dise, il ment. Sa langue elle-même lui fait tordre la réalité, lui donne une vision fausse, tronquée, de la vérité. Tout ce dont il parle, il s’en empare, il le pille, il le réduit à son système de pensée et de valeurs, à sa vision du monde. Au point finalement que tout ce qu’il a, il l’a volé.
Tout en lui est faux : même ses dents sont fausses. Dents volées, fabriquées, intégrées. Tout ce qu’il mord, tout ce dont il s’empare, tout ce qu’il pille et réduit en miette – et il y en a des choses, l’État a du mordant, ô combien de mordant –, c’est avec des dents volées. Et voilà que tout ce qu’il avale est faux aussi. En fin de compte, même ses entrailles sont fausses.
Attention de ne pas confondre les langues du bien et du mal. Attention de ne pas réduire toute chose à un seul bien et un seul mal. Ce que je vous indique sur l’État, la confusion qu’il fait des langues du bien et du mal, croyant qu’il n’y a que son bien et son mal qui vaillent, c’est en vérité la volonté de mort : l’écrasement des différences, jusque dans la mort. Ce que je vous indique, je l’indique en vérité aux prédicateurs de la mort !
Pour qu’ils poursuivent leur travail : continuent à prêcher la « vie éternelle » – symbole même de la mort. Pour qu’ils continuent à pousser les gens dans la mort. Car c’est un fait : dans l’État, on enfante trop ; il y a trop de monde. A croire que l’État a été inventé pour les gens de trop, les superflus, ceux qui ne servent à rien dans la vie ! Puissent-ils dégénérer et mourir au plus vite !
Regardez-moi comment il se les attire, les gens, l’État ! Comment il les appâte, les beaucoup trop nombreux, avec ses sucreries, ses plaisirs, ses jouissances stériles ! Et regardez comment il les avale ! Comment il les mâche ! Et comment il les remâche ; comment il les rumine !
Écoutez comment il crie, le monstre froid : « Il n’y a rien de plus grand que moi sur terre : je suis le doigt ordonnateur de Dieu ». Se gaussant d’être le prolongement de Dieu lui-même, prenant à son compte les valeurs traditionnelles, l’État impose. L’État ordonne. Et voilà que tout le monde tombe à genoux devant la nouvelle idole. Et pas seulement les imbéciles à longues oreilles, les ânes ; et pas seulement les esprits bornés, à vue courte. Tout le monde tombe à ses genoux ! Tout le monde.
Hélas, il n’y a rien à faire. L’État est si aguicheur et si puissant qu’il s’immisce partout. Même en vous. Même en vous, il susurre ses sombres mensonges ! Oui : l’État est malin, très malin. Hélas si malin qu’il arrive à deviner les cœurs riches, qu’il repère facilement les êtres surabondants, qui ne calculent pas, qui n’hésitent pas à gaspiller leurs forces !
Oui, en vous aussi, il s’immisce. Vous aussi, il vous devine, vous qui avez surmonté le vieux Dieu, vous autres vainqueurs des anciennes valeurs du vieux Dieu mort ! Comme il vous voit un peu fatigué par le combat mené contre les anciennes valeurs, il profite de l’occasion pour vous prendre. Et voilà que votre fatigue elle-même sert la nouvelle idole !
Comme elle est pauvre, la nouvelle idole, comme elle souffre du manque, elle fait tout pour s’entourer de gens comme vous, de héros, d’hommes d’honneur, comme vous ! Alors elle vous aguiche, vous appâte ; elle met tout en œuvre pour vous prendre dans son camp, pour vous récupérer. Comme elle se réchauffe volontiers sous le soleil de la bonne conscience, vous avez tôt fait de devenir son supplément d’âme. Oui, le monstre froid se couche volontiers au soleil pour avoir meilleure allure, pour paraître en meilleure santé !
Et elle est prête à tout vous donner, si vous l’adorez, la nouvelle idole : voilà comment l’État s’achète l’éclat de votre vertu et le regard de votre œil fier. Voilà comment il vous récupère.
Elle veut vous utiliser, la nouvelle idole : avec vous, grâce à vous, elle veut appâter le grand nombre, les beaucoup trop nombreux ! Quelle perfidie ! Oui, c’est un tour de passe-passe infernal qui a été inventé là : un cheval de la mort, qui s’avance en trottant, avec tous ses cliquetis d’apparence et d’honneurs divins. Une tromperie systématique.
Oui, il faut être fort pour résister à la machination du système. C’est pour beaucoup une mort qui a été inventée là ; une mort qui se gausse d’être la vie. En vérité, à regarder cela avec un peu de distance, on y reconnaît un service rendu à tous les prédicateurs de la mort ! Une accélération du mouvement… vers la fin.
Je nomme État l’endroit où se trouvent tous les buveurs de poison, les bons et les graves. État, l’endroit où tous se perdent eux-mêmes, dans l’alcool, dans le divertissement, mais aussi dans le travail. Tous : les bons et les graves. État, l’endroit où le lent suicide de tous – s’appelle « la vie » ; où tout concourt à faire dégénérer, et mourir l’homme.
Regardez-moi donc ces superflus ! Ils se volent les œuvres des inventeurs et les trésors des sages : ils appellent leur vol culture– et tout chez eux devient maladie et désagrément !
Regardez-moi donc ces superflus ! Ils sont toujours malades : ils vomissent leur bile, liquide visqueux et amer que sécrète leur foie, et l’appellent journal. Ils s’avalent les uns les autres alors qu’ils ne sont pas même capables de se digérer.
Regardez-moi donc ces superflus ! Ils courent après les richesses et ne se rendent même pas compte que leurs richesses les rendent de plus en plus pauvres. Regardez-les, ces sans ressources, ces impuissants, regardez comme ils courent après le pouvoir, comme ils cherchent inlassablement ce qu’ils considèrent comme le levier du pouvoir : l’argent, beaucoup d’argent !
Regardez-les grimper, ces singes rapides ! Regardez-les : ils se grimpent les uns par-dessus les autres, sans même se rendre compte qu’ils ne font que se déprimer les uns les autres ; qu’ils ne font que s’enfoncer mutuellement dans la boue.
Regardez comme ils veulent tous s’approcher du trône, avoir une belle situation, de nombreux biens matériels, de l’aisance, du succès ! Telle est leur folie : ils croient que le bonheur est assis sur le trône ! Mais ils se trompent : c’est souvent de la boue qu’on trouve sur le trône – et souvent le trône lui-même est jonché sur de la boue. Avec leurs aspirations, leurs désirs, ils ne font somme toute que se vautrer dans la boue.
Oui, ils m’apparaissent tous comme des fous, des singes grimpeurs, des surchauffés, des surexcités. Et leur idole, le monstre froid qu’est l’État, m’apparaît puant : tous ensembles, ils m’apparaissent puants, ces idolâtres de l’État.
Mes frères, vous voulez vous aussi étouffer dans l’exhalaison puante de leurs bouches et de leurs convoitises ? Brisez plutôt les fenêtres et sautez dans le vide. Vous serez mieux, seuls et dans le vide, que prisonniers de l’État et de sa vision étriquée et arrogante du monde.
Évitez donc les mauvaises odeurs ! Éloignez-vous de l’idolâtrie des superflus !
Évitez donc les mauvaises odeurs ! Éloignez-vous de l’émanation malodorante des ces sacrifices humains !
Profitez du fait que la terre soit aujourd’hui encore libre pour les grandes âmes. Qu’il y ait encore de nombreuses places vides pour les solitaires ; et aussi pour ceux qui sont seuls à deux ; ceux qu’entoure l’odeur du souffle des mers calmes.
Oui, les grandes âmes sont encore libres de vivre une vie libre. Telle est la vérité : celui qui possède peu sera d’autant moins possédé par ses possessions : louée soit la petite pauvreté, la vie modeste !
Ce n’est que là où cesse l’État que commence l’homme qui n’est pas superflu : ce n’est que là où cesse l’État que commence le chant du nécessaire, la mélodie unique et irremplaçable de la vie.
Là où cesse l’État – regardez donc par là-bas, mes frères ! Ne voyez-vous pas encore l’arc-en-ciel, les ponts en direction du surhomme ? –
Parole de Zarathoustra.
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Traduction littérale
Il y a encore des lieux où il existe des peuples et des troupeaux, mais pas chez nous, mes frères : là, il n’y a que des États.
État ? Qu’est-ce donc ? Allez ! Ouvrez-moi maintenant vos oreilles, car je vais maintenant vous dire mon mot sur la mort des peuples.
On appelle état le plus froid de tous les monstres froids. Il ment aussi froidement ; et ce mensonge rampe hors de sa bouche : « Moi, l’État, je suis le peuple. »
C’est un mensonge ! Ce sont des créateurs qui ont créé les peuples et ont suspendu au-dessus d’eux une croyance et un amour : ainsi ont-ils servi la vie.
Ce sont des destructeurs, ceux qui placent des pièges pour le grand nombre et les appellent États : ils suspendent au-dessus d’eux un glaive et cent convoitises.
Là où il y a encore un peuple, il ne comprend pas l’État et le déteste comme regard méchant et péché contre les coutumes et les droits.
Je vous donne ce signe : chaque peuple parle sa langue du bien et du mal : le voisin ne la comprend pas. Le peuple a inventé son langage en coutumes et en droits.
Mais l’État ment dans toutes les langues du bien et du mal ; et quoi qu’il dise, il ment – et quoi qu’il ait, il l’a volé.
Tout en lui est faux : il mord avec des dents volées, le mordant. Même ses entrailles sont fausses.
Confusion des langues du bien et du mal : je vous donne ce signe comme signe de l’État. En vérité, c’est la volonté de mort qu’indique ce signe ! En vérité, il fait signe aux prédicateurs de la mort !
Beaucoup trop de monde vient au monde : l’État a été inventé pour les superflus !
Regardez-moi comment il se les attire, les beaucoup trop nombreux ! Comment il les avale et mâche et remâche !
« Il n’y a rien de plus grand que moi sur terre : je suis le doigt ordonnateur de Dieu » – ainsi crie le monstre. Et pas seulement ceux qui ont de longues oreilles et la vue courte tombent à genoux !
Hélas, en vous aussi, il susurre ses sombres mensonges ! Hélas, il devine les cœurs riches, qui se gaspillent volontiers !
Oui, vous aussi, il vous devine, vous autres vainqueurs du vieux Dieu ! Vous avez fatigué dans le combat, et voilà que votre fatigue sert encore la nouvelle idole !
Elle voudrait s’entourer de héros et de d’hommes d’honneur, la nouvelle idole ! Elle bronze volontiers sous le soleil de la bonne conscience, – le monstre froid !
Elle veut tout vous donner si vous l’adorez, la nouvelle idole : c’est ainsi qu’elle s’achète l’éclat de votre vertu et le regard de votre œil fier.
Elle veut avec vous appâter les beaucoup trop nombreux ! Oui, c’est un tour infernal qui a été inventé là, un cheval de la mort, cliquetant sous le crépi d’honneurs divins.
Oui, c’est pour beaucoup une mort qui a été inventée là, une mort qui se gausse d’être la vie : en vérité, un service rendu à tous les prédicateurs de la mort !
Je nomme État l’endroit où se trouvent tous les buveurs de poison, les bons et les graves. État, l’endroit ù tous se perdent eux-mêmes, les bons et les graves : État, l’endroit où le lent suicide de tous – s’appelle « la vie ».
Regardez-moi donc ces superflus ! Ils se volent les œuvres des inventeurs et les trésors des sages. Ils amassent tout ce qu’ils peuvent – et appellent ça culture. Ils se croient supérieurs – et tout chez eux devient maladie et désagrément !
Regardez-moi donc ces superflus ! Ils sont toujours malades : ils vomissent leur bile, liquide visqueux et amer que sécrète leur foie, et l’appellent journal. Ils s’avalent les uns les autres et ne peuvent pas même se digérer.
Regardez-moi donc ces superflus ! Ils acquièrent des richesses et deviennent par là plus pauvres. Ils veulent le pouvoir et d’abord le pied-de-biche du pouvoir, beaucoup d’argent, – ces sans ressources !
Regardez-les grimper, ces singes rapides ! Ils grimpent les uns par-dessus les autres et se tirent ainsi dans la boue et la profondeur.
Ils veulent tous aller vers le trône : telle est leur folie, – comme si le bonheur était assis sur le trône ! Souvent, c’est la boue qui est assise sur le trône – et souvent aussi le trône sur la boue.
Ils m’apparaissent tous comme des fous, et des singes grimpeurs, et des surchauffés. Leur idole, le froid monstre, m’apparaît comme sentant mauvais : tous ensembles m’apparaissent comme sentant mauvais, ces serviteurs d’idole (idolâtres).
Mes frères, vous voulez donc étouffer dans l’exhalaison (haleine) de leurs bouches et de leurs convoitises ? Brisez plutôt les fenêtres et sautez dans le vide.
Évitez donc les mauvaises odeurs ! Éloignez-vous de l’idolâtrie des superflus !
Évitez donc les mauvaises odeurs ! Éloignez-vous de la vapeur (Dampf, émanation) de ces sacrifices humains !
La terre est aujourd’hui encore libre pour les grandes âmes. Il y a encore de nombreuses places vides pour les solitaires et les duolitaires, autour desquels souffle l’odeur des mers calmes.
Une vie libre est encore libre aux grandes âmes. En vérité, quiconque possède peu sera d’autant moins possédé : louée soit la petite pauvreté !
Ce n’est que là où cesse l’État que commence l’homme qui n’est pas superflu : c’est là que commence le chant du nécessaire, la mélodie unique et irremplaçable.
Là où cesse l’État – regardez donc là-bas, mes frères ! Ne le voyez-vous pas, l’arc-en-ciel et les ponts du surhomme ? –
Parole de Zarathoustra.
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Il s’agit là de la suite de la retraduction commentée du Zarathoustra de Nietzsche. Onzième chapitre des « Discours de Zarathoustra » (« Première partie »). Les précédents se trouvent ici.
Texte très riche – et pourtant pas trop coûteux.
En appâtant les gens par le confort, le plaisir, la facilité – promesses de bonheur paradisiaque -, l’Etat favorise le déséquilibre, tant de l’homme que de la vie; déséquilibre qui conduit finalement l’un et l’autre à la mort. Alors qu’au contraire, en visant une expérience authentique de la vie (ici et maintenant, comme union des contraires), le peuple poursuit l’évolution « phusique » des phénomènes. C’est ça?
Précieuses remarques. Oui, c’est tout à fait ça! Même que le terme d’authentique ferait sûrement jaser tous les êtres fermés à la musique. Pour eux, toute expérience est forcément authentique. Mais c’est là une autre histoire.
Je m’immisce dans votre dialogue:
L’Etat expérimente-t-il la vie? N’impose-t-il pas plutôt une façon de vivre, sans expérience, mais toute loi, tout droit, toute morale? Dans ce cas, on pourrait enlever la qualification d' »authentique » à l’expérience de la vie du peuple. Et en même temps la possibilité de jaser aux anti-musiciens…
Mais pour qui vous prenez-vous? Vous croyez que notre bien-être, nos plaisirs, nos jouissances et notre bonheur ne sont que du pipeau? Il ne faut quand même pas nous prendre pour des cons! Non seulement nous expérimentons la vie, mais nous expérimentons la VRAIE vie, la vie AUTHENTIQUE: celle, dénuée de souffrances, que nous sommes, grâce à notre langage, capables de produire pour tout le monde!
Tiens, le ton monte. Guerriers: à vos armes!
Je mets cette fois mon doigt dans une fissure:
Comment une production du langage, choisie pour ses qualités agréables, peut-elle prétendre « être la vraie vie »…?
Et les variations, les intervalles, les syncopes, les tons, demis-tons et quarts de tons? Drôle de musicien, cet état.
Mais ma chère Ariana, la vraie vie n’est qu’à venir, comme le dit votre Zarathoustra (en se trompant) avec son idée (fausse) de surhomme (utopique). Je vais vous dire la vérité, moi: la vraie vie n’est autre que celle que promeut l’Etat: vie toute de plaisir et de bonheur. Les variations, intervalles, syncopes, tons, demis-tons et autres quarts de tons, nous les jetons aux calendes grecques! Musique primitive, tout ça! Notre musique, elle, ne fait jamais mal aux oreilles: sur la base de la gamme bien tempérée, nous cheminons en direction d’une musique idéale!
« Une idée se casse toujours la gueule quand elle touche terre. Elle se couvre toujours de merde et de sang quand elle passe de la tête aux mains. »
Votre musique idéale, cher Etat Musicien, votre bonheur tout de plaisir : une idée qui, dans la « vraie vie », essaie en vain de couvrir la merde qu’elle appelle malheur et souffrance, qui font à son grand désespoir tout autant partie de la vie.
C’est vraiment important de savoir quelle est LA « vie authentique »? On peut se contenter d’avoir une préférence pour celle un peu tumultueuse, faite de diversité, de sommets, mais aussi de souffrances et pourquoi pas de quelques utopies! Non? C’est plus drôle, plus intéressant, plus varié et certainement plus beau que celle bling-bling proposée par l’idole.
Pas besoin de se justifier par des critères « d’authenticité » pour ressentir un certain malaise face à cette image de l’état…