JE SUIS UN OCÉAN PAISIBLE ; calme est le fond de la mer que je suis : qui donc pourrait deviner qu’il recèle des monstres, des êtres en même temps effrayants et farceurs !
Inébranlable est ma profondeur ; mais elle n’a rien à voir avec le calme plat auquel on aspire généralement ; dans la sérénité de ma profondeur brillent quantité d’énigmes et de rires flottants qui auraient tôt fait d’ébranler la plupart. Vous me connaissez : Je ne m’appuie pas sur la vie idéale pour avancer, je ne cherche nullement à lui ressembler, mais me plonge dans le labyrinthe de la vie tragique pour le, la et me surmonter.
J’ai vu aujourd’hui un homme très bien ; un de ces hommes que tout le monde admire : homme sublime, solennel, en même temps très savant et pénitent de l’esprit ; illustre, et rempli de remords face à Dieu, se sentant toujours d’une manière ou d’une autre coupable. Oh, comme mon âme a ri de sa laideur !
Fier, la poitrine bombée, semblable à ceux qui attirent vers eux tout l’air qu’ils peuvent, voilà comment il se tenait, l’homme sublime, et en silence.
Il était chargé de tout un butin de chasse, de toute une série de vérités, de laides vérités ; et il était bien habillé, même que ses habits étaient déchirés, tant il s’est donné à sa chasse, à son entreprise de quête de connaissances. Beaucoup d’épines pendaient aussi à lui, ce qui montre bien à quel point il s’est engagé : il n’a pas hésité à se frotter à ce qui pique. Mais je n’ai par contre pas pu voir la moindre rose sur son habit grevé d’épines : tout ce qu’il a ramené des bois, outre ses vérités, ce sont des vêtements déchirés et… des épines ; aucune rose, aucun signe de beauté, de dépassement des difficultés rencontrées sur son chemin.
Le chasseur était lourd et laid. Il n’a pas encore appris le rire, la légèreté et la beauté. C’est l’œil et l’air sombre qu’il revenait ainsi de la forêt de la connaissance.
Il rentrait certes du combat avec une belle prise, beaucoup d’animaux de toutes sortes, mais à travers son œil grave, c’était encore une bête sauvage qui regardait – une bête qui ne s’est pas encore surmontée !
Oui, il est toujours là, aux aguets, comme un tigre qui veut bondir. Mais moi – comment vous le cacher ? – je n’aime pas ces âmes secrètes, tendues, prêtes à déchirer leurs proies ; tous ces gens retirés, cachés, réactifs ne sont pas à mon goût ; et même plus, ils me répugnent.
Comment ? Vous me dites, vous mes amis, qu’il ne faut pas se disputer sur les goûts et les couleurs ? Vous me dites que chacun a le droit de penser ce qu’il veut ? Mais vous n’avez rien compris : toute la vie n’est que ça : dispute sur les goûts et les couleurs, combats d’idées !
Le goût est, dans nos vies, ce qu’il y a de plus important : c’est ce qui donne le poids à toutes choses ; et c’est en même temps la balance sur laquelle on place les choses en question ; et c’est encore le peseur qui pèse et valorise ces dernières. Malheur à tout vivant qui veut vivre sans dispute, sans rien peser, sans balance ni peseur ! Au lieu de vouloir le monstrueux et délicieux équilibre de la vie, il veut le calme plat de la mort.
Ah, si seulement cet homme sublime se fatiguait de sa sublimité, de son rôle de héros ; si seulement il abandonnait ses airs supérieurs, s’il arrêtait de ne s’appuyer que sur ses laides et mortes vérités : ce n’est que là que commencerait sa beauté, – et ce n’est que là que je lui trouverais des qualités, l’apprécierais, le trouverais à mon goût, savoureux.
Ce n’est que quand il se détournera de lui-même, quand il arrêtera son faux-semblant, qu’il sautera par-dessus son ombre – et, en vérité, sautera dans son soleil ! Non pas dans le soleil de tout un chacun, mais dans son soleil, le sien propre ; et qu’il brillera dans sa lumière.
L’homme sublime, le pénitent solennel a trop longtemps été assis dans l’ombre ; ses joues sont pâles ; ses attentes, ses butins, ses espoirs de progrès, d’idéal l’ont presque fait mourir de faim.
Bien sûr, il y a encore du mépris dans son œil – il n’arrête pas de mépriser les autres, du haut de son piédestal. Et bien sûr, il y a encore du dégoût accroché dans un coin de sa bouche – il trouve ses congénères bien laids, bien inférieurs à lui, bien primitifs. Certes, il est maintenant au repos, sa chasse terminée, mais son repos n’est pas serein, n’est pas encore étendu au soleil ; il continue à vivre caché dans l’ombre, à traquer ses proies : son repos est encore entaché d’ombres.
Il devrait faire comme le taureau ; son bonheur devrait sentir la terre, humer la terre, et non le mépris de la terre. Au lieu de dire « non », son bonheur devrait dire « oui » à la vie et au monde tel qu’il est : il devrait être affirmateur et non négateur.
Je voudrais le voir en taureau blanc, l’homme sublime, écumant et hurlant devant la charrue : et son hurlement serait encore une louange et une bénédiction de tout ce qui est terrestre, y compris de la souffrance, y compris du poids qu’on porte !
Mais son visage est encore sombre ; et il ne veut et ne supporte pas la lumière ; l’ombre de sa main, par laquelle il se cache, par laquelle il se voile la face, joue encore sur lui. Le sens terrestre de son œil est encore tapi dans l’ombre.
Même son action lui fait encore de l’ombre, tant elle est marquée par sa pensée réflexive, ses projets : la main de celui qui agit ainsi, à l’aide d’un plan, assombrit sa personne en sa nature propre. Il n’a pas encore dépassé, surmonté son action réfléchie.
Bien sûr, j’aime chez lui sa tête baissée ; j’aime voir sa nuque de taureau : mais je veux désormais encore voir en lui l’œil de l’ange, la pureté et bonté de l’ange.
Il doit encore désapprendre sa volonté de héros, sa volonté d’être vengeur, qui veut la puissance sur autrui et les choses : il ne doit pas se contenter d’être un homme sublime, solennel, il doit encore me devenir élevé, homme de haut rang, de haut vol : abandonner sa volonté rationnelle, stratégique, et devenir le sans volonté ; ainsi l’éther lui-même se mettrait alors à le porter, à l’élever dans les hauteurs !
Il a certes fait du chemin, vaincu quantité de monstres, résolu pléthore d’énigmes ; il est certes parvenu à maîtriser une foule de choses qui, jadis, lui faisaient peur et le faisaient souffrir. Mais il devrait encore délivrer ses monstres et ses énigmes, les libérer de leurs chaînes : il devrait encore les métamorphoser en enfants célestes ; les aimer par-delà bien et mal, comme partie intégrante du tout tragique.
Sa connaissance n’a pas encore appris à sourire et à être sans jalousie ; il continue à avoir des airs de supériorité, à être méprisant, mesquin : son immense passion, sa torrentielle passion n’est pas encore devenue sereine, calme dans la beauté ! Si calme il y a, c’est toujours le visage tiré, l’âme lourde.
En vérité, il ne doit pas, comme il le croit, venir à bout de son désir ; son exigence ne doit pas soudain se taire, baigner dans la satiété ; ce dernier doit au contraire se faire beauté, plonger dans la beauté comme équilibre des forces antagonistes ! La grâce appartient à la générosité de celui qui a une grande âme, qui désire beaucoup et donne beaucoup, sans jamais s’arrêter.
Le bras posé par-dessus la tête, prêt à se tendre, prêt à donner : c’est ainsi que devrait se reposer le héros, c’est ainsi qu’il devrait encore surmonter son repos.
Mais précisément pour le héros et sa volonté violente – dominatrice d’autrui et des choses –, le beau est le plus difficile, le plus dur de toutes choses. Car le beau est inaccessible à toute volonté violente.
Pour atteindre la beauté, il ne faut pas être une brute, il faut avoir le sens des distinctions fines, savoir dire et faire un peu plus, un peu moins : voilà qui est ici précisément important, et même le plus important, vivre en harmonie avec la musique du monde.
Rester les muscles décontractés, relâchés, et la volonté dés-harnachée, libre : voilà le plus difficile, le plus lourd pour vous tous, vous autres hommes sublimes, tant vous êtes crispés, tant vous êtes prisonniers de vos idées préfabriquées !
Quand la puissance devient clémente et descend des sphères supérieures, invisibles, dans le visible, quand elle s’incorpore en tout équilibre, en toute sérénité : j’appelle cette descente beauté.
Et de la beauté, je n’en veux justement de personne autant que de toi, homme sublime, homme à la volonté violente : que ta bonté, ta générosité soit ta dernière victoire sur toi-même.
Si je veux de toi le bien, c’est que je te crois capable de tout le mal. Tu es un homme de passion, un homme de volonté, de puissance, de violence : tu as le pouvoir de te dépasser et de tourner en bien tout le mal que tu fais.
Tu ne ressembles en rien à ceux qui sont bons par faiblesse : en vérité, je me suis souvent moqué des faibles qui se croyaient bons parce qu’ils n’ont pas la force d’être méchants, parce qu’ils ont des pattes paralysées !
Au lieu d’aspirer à l’idéal, tu devrais aspirer à la colonne de la vertu, à la sagesse de la vie : elle devient certes toujours plus belle et plus tendre, mais plus elle s’élève, plus elle devient en même temps dure et résistante à l’intérieur. L’un ne va pas sans l’autre, plongée qu’elle est dans la terre.
Oui, toi, l’homme sublime, tel est ton destin : tu dois te surmonter ; un jour tu devras encore être beau et présenter à ta propre beauté un miroir, pour qu’elle s’y reconnaisse.
Alors ton âme va soudain frissonner devant des avidités et aspirations divines en même temps très nouvelles et très anciennes ; et il y aura soudain encore de l’adoration dans ta vanité !
Car ceci est le secret de l’âme : ce n’est que quand elle a abandonné le héros, celui qui veut la puissance sur autrui et sur les choses, que s’approche d’elle, en rêve, le sur-héros, qui veut avoir la puissance sur lui-même, et croire aux forces qui le dépassent et s’en laissent guider.
Parole de Zarathoustra.
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Traduction littérale
Calme est le fond de ma mer : qui devinerait donc qu’il recèle des monstres farceurs !
Inébranlable est ma profondeur : mais elle brille d’énigmes et de rires flottants.
J’ai vu aujourd’hui un sublime, un solennel, un pénitent de l’esprit : oh, comme mon âme a ri de sa laideur !
La poitrine bombée et semblable à ceux qui attirent vers eux le souffle : c’est ainsi qu’il se tenait, l’homme sublime, et en silence :
Chargé de laides vérités, son butin de chasse, et riche en habits déchirés ; beaucoup d’épines étaient aussi pendues à lui – mais je n’ai pas encore vu de rose.
Il n’a pas encore appris le rire et la beauté. C’est sombre que ce chasseur revenait de la forêt de la connaissance.
Il rentrait du combat avec beaucoup d’animaux : mais de sa gravité regardait encore une bête sauvage – bête qui ne s’est pas surmontée !
Il est toujours là comme un tigre qui veut bondir ; mais je n’aime pas ces âmes tendues, tous ces gens retirés répugnent à mon goût.
Et vous me dites, amis, qu’il n’y a pas à se disputer sur les goûts et les couleurs ? Mais toute la vie est dispute sur les goûts et les couleurs !
Goût : c’est en même temps poids et balance et peseur ; et malheur à tout vivant qui voulait vivre sans dispute et poids et balance et peseur !
Si seulement il se fatiguait de sa sublimité, cet homme sublime : ce n’est que là que commencerait sa beauté, – et ce n’est que là que je veux le sentir et le trouver savoureux.
Et ce n’est que quand il se détourne de lui-même qu’il va sauter par-dessus sa propre ombre – et, en vérité !, dans son soleil.
Il a été trop longtemps assis à l’ombre, les joues du pénitent de l’esprit ont pâli ; ses attentes l’ont presque fait mourir de faim.
Il y a encore du mépris dans son œil ; et du dégoût se cache à sa bouche. Certes, il est maintenant au repos, mais son repos n’est pas encore étendu au soleil.
Il devrait faire comme le fait le taureau ; et son bonheur devrait sentir la terre, et non pas le mépris de la terre.
Je voudrais le voir en taureau blanc, écumant et hurlant devant le soc : et son hurlement devrait encore louer tout ce qui est terrestre !
Son visage est encore sombre ; l’ombre de sa main joue sur lui. Le sens de son œil est encore dans l’ombre.
Son acte lui-même est encore l’ombre sur lui : la main assombrit celui qui agit. Il n’a pas encore surmonté son acte.
Bien sûr j’aime chez lui la nuque du taureau : mais je veux désormais encore voir l’œil de l’ange.
Il doit encore désapprendre sa volonté de héros : il doit être pour moi un élevé et pas seulement un sublime : – l’éther lui-même devrait l’élever, le sans volonté !
Il a vaincu des monstres, il a résolu des énigmes : mais il devrait encore délivrer ses monstres et énigmes, il devrait encore les métamorphoser en enfants célestes.
Sa connaissance n’a pas encore appris à sourire et à être sans jalousie ; sa torrentielle passion n’est pas encore devenue calme dans la beauté !
En vérité, son désir ne doit pas se taire et plonger dans la satiété, mais dans la beauté ! La grâce appartient à la magnanimité de celui qui a une grande âme.
Le bras posé par-dessus la tête : c’est ainsi que devrait se reposer le héros, c’est ainsi qu’il devrait encore surmonter son repos.
Mais précisément pour le héros, le beau est le plus dur de toutes choses. Le beau est inaccessible à toute volonté violente.
Un peu plus, un peu moins : ceci précisément est ici beaucoup, est ici le plus.
Rester les muscles décontractés et la volonté désharnachée : tel est le plus lourd pour vous tous, vous les sublimes !
Quand la puissance devient clémente et descend dans le visible : j’appelle beauté telle descente.
Et de personne comme de toi, homme violent, je veux justement la beauté : que ta bonté soit ta dernière victoire sur toi-même.
Je te crois capable de tout le mal : raison pour laquelle je veux le bien de toi.
En vérité, je me suis souvent moqué des faibles qui se croyaient bons parce qu’ils ont des pattes paralysées !
Tu devrais aspirer à la colonne de la vertu : elle devient toujours plus belle et plus tendre, mais plus elle s’élève, plus elle devient dure et résistante à l’intérieur.
Oui, toi l’homme sublime, un jour tu devras encore être beau et présenter le miroir à ta propre beauté.
Alors ton âme va frissonner devant des avidités divines ; et il y aura encore de l’adoration dans ta vanité !
Car ceci est le secret de l’âme : ce n’est que quand elle a abandonné le héros que s’approche d’elle, en rêve, – le sur-héros. –
Parole de Zarathoustra.
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Il s’agit là de la suite de la retraduction commentée et littérale du Zarathoustra de Nietzsche. Treizième chapitre de la « Deuxième partie » des « Discours de Zarathoustra ». Les précédents se trouvent ici.
Cher Monsieur Herren,
J’étudie Nietzsche depuis un an, prenant des notes au fur et à mesure que je découvre la signification de tel ou tel de ses textes. Je publie ces notes sous forme de livre http://www.danielmartin.eu/Philo/volontepuissance.pdf pour le cas où sa lecture pourrait faire gagner du temps à d’autres débutants comme moi.
J’ai une particularité par rapport aux auteurs de textes sur Nietzsche que j’ai lus, sur papier ou sur Internet : je suis ingénieur et astronome, je n’ai aucun diplôme philosophique ou même littéraire. J’ai seulement étudié en profondeur le déterminisme (voir http://www.danielmartin.eu/Philo/Determinisme.pdf ).
Incapable de comprendre dans « Ainsi parlait Zarathoustra » le texte « Des hommes sublimes » j’ai trouvé sur Internet votre texte http://phusis.ch/michel/2011/09/26/des-sublimes/ . Merci de l’avoir écrit, lui et ses semblables ; vous êtes docteur en philosophie, on doit pouvoir se fier à vous pour interpréter Nietzsche !
Mais hélas, votre forme d’esprit est trop différente de la mienne pour que je puisse trouver dans votre texte ci-dessus les éléments de compréhension que je cherche. J’ai l’habitude devant une abstraction, concept ou processus, de m’en construire un exemple que j’essaie ensuite de compléter, d’approfondir.
Or dans votre texte je ne trouve pas d’exemple d’homme sublime ; est-il un métaphysicien incapable de sortir de son monde d’abstractions pour s’intéresser à des émotions ? est-il un théologien ? est-il – hélas – un personnage aux contours flous que Nietzsche lui-même aurait été incapable de préciser (et d’autant plus qu’il déteste la précision !)
Quel message Nietzsche veut-il délivrer dans ce texte ? Est-ce seulement que son homme sublime est trop peu humain à son goût, et même trop différent du surhomme ? Pourquoi Nietzsche lui reproche-t-il son mépris, lui qui méprise si souvent et si fort (par exemple les Anglais, les Allemands et les scientifiques) ?
Comment traduire les symboles que sont la mer, les monstres, les épines, etc.?
Ce texte m’intéresse d’autant plus que je me sens vaguement visé par les reproches de Nietzsche : je suis athée et amystique comme Socrate (si j’ai bien compris Socrate) ; je suis incapable de comprendre les notions comme Dieu et l’âme autrement que comme des inventions d’hommes qui cherchent à se consoler, des idoles, des pollutions intellectuelles. Pourtant j’adore l’art.
Pouvez-vous m’aider ?
Daniel MARTIN
apxipi@orange.fr
L’homme sublime est l’homme de la tradition occidentale (rationnelle, chrétienne, morale) assoiffé par l’idéal : l’homme en même temps très savant, très illustre, très supérieur, et se sentant toujours d’une manière ou d’une autre coupable. Nietzsche le juge laid et s’en moque, car, en traquant la connaissance (abstraite – vie métaphysique), il manque de vie ; car il manque la vie (ici et maintenant).
Au lieu de rester un homme sublime, solennel, il doit se surmonter, devenir élevé, homme de haut rang, de haut vol : pour ce faire, il doit abandonner sa volonté rationnelle, stratégique, et devenir le sans volonté, pour laisser travailler la volonté de la vie (ici et maintenant). Nietzsche le critique parce qu’il le croit capable de beaucoup plus que ce qu’il est.
Le message de Nietzsche est que l’homme sublime est un pont en direction du surhomme ; qu’il doit se dépasser en direction du surhomme. Loin d’être trop peu humain, l’homme sublime est trop humain, c’est-à-dire trop rationaliste-moraliste. Le mépris qu’il lui reproche est le mépris de la vie ici et maintenant ; Nietzsche lui-même, s’il m éprise aussi, ne méprise que la vie suprasensible (rationnelle-morale).
Pour ce qui est des symboles de la mer, des monstres et des épines, ce sont autant de symbole de Dionysos, le dieu artiste de la vie tragique (non idéale) comme union des contraires et enfantin jeu divin.
Au plaisir d’une prochaine discussion ! Bon vent !
Merci infiniment.
Grâce à vous j’ai pu rédiger le paragraphe
« Des hommes sublimes » de mon cours « Nietzsche en langage clair » http://www.danielmartin.eu/Philo/volontepuissance.pdf
Je ne sais s’il tiendra dans cette boîte de saisie, mais j’essaye de vous en donner copie:
Des hommes sublimes
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Source : « Ainsi parlait Zarathoustra » II « Des hommes sublimes »
Pour l’interprétation de ce texte je m’appuie sur le commentaire signé Michysos
http://phusis.ch/michel/2011/09/26/des-sublimes/ que je remercie.
Que peut-on dire de l’homme sublime ?
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L’homme sublime est un Européen de l’ouest :
Instruit et fier de son savoir (« sublime », « le torse bombé ») ;
Dont le savoir est fait de vérités : il est rationnel, scientifique, voire métaphysique (caractéristiques sans valeur pour Nietzsche (« hideuses vérités »), butin de sa quête de connaissance (« butin de chasse »);
Qui a un comportement empreint de gravité (« homme solennel ») et ne sait donc pas rire ;
Qui se repent d’avoir péché contre la vie naturelle pleine d’émotions, dont son savoir traditionnel l’éloigne (« pénitent de l’esprit »).
Les critiques et suggestions de Nietzsche adressées à l’homme sublime
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L’homme sublime ne se laisse pas aller à des pulsions irréfléchies (« je n’aime pas les âmes tendues comme la sienne ; leurs réticences me déplaisent. »)
Il est insensible à l’humour et l’art (« le rire et la beauté ») ;
Malheur à tout homme qui veut vivre sans contradictions, sans se laisser aller à ses pulsions parce que son esprit est dominé par sa raison (comme Socrate) :
« …malheur à toute chose vivante qui voudrait vivre sans la lutte à cause des poids, des balances et des peseurs ! »
S’il cessait d’être rationnel pour se laisser aller davantage à l’émotion, je pourrais l’apprécier :
« S’il se fatiguait de sa sublimité, cet homme sublime : c’est alors seulement que commencerait sa beauté, – et c’est alors seulement que je voudrais le goûter… »
En se détournant de sa culture rationnelle, il trouvera son bonheur :
« Ce ne sera que lorsqu’il se détournera de lui-même, qu’il sautera par-dessus son ombre, et, en vérité, ce sera dans son soleil. »
A force d’être seulement rationnel son esprit a perdu toute fantaisie, il a presque perdu l’aptitude à vivre, et aujourd’hui il s’en repent :
« Trop longtemps, il était assis à l’ombre, le pénitent de l’esprit a vu pâlir ses joues ; et l’attente l’a presque fait mourir de faim. »
Par habitude, il continue à mépriser les plaisirs terrestres, mais il ne se révolte plus contre leur irrationalité. Je voudrais le voir comme un taureau puissant qui mugit d’émotion, transporté par la beauté de la vie naturelle :
« Il y a encore du mépris dans ses yeux […]. Il est vrai qu’il repose maintenant, mais son repos ne s’est pas encore étendu au soleil. […] Je voudrais le voir semblable à un taureau blanc, qui souffle et mugit devant la charrue : et son mugissement devrait chanter la louange de tout ce qui est terrestre !
Conclusions et souhaits de Zarathoustra
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L’homme sublime doit être à la fois un intellectuel et un artiste. Son esprit doit être à la fois sublime par sa science et élevé par ses valeurs et ses goûts. S’il y parvient, il pourra alors évoluer vers le surhomme.