EN FIN D’APRÈS-MIDI, APRÈS UNE LONGUE MARCHE, Zarathoustra est enfin sorti de la forêt et arrivé dans la ville toute proche. La place du marché était étonnamment noire de monde. La foule des grands jours était sortie de chez elle pour venir admirer un funambule. Profitant de l’aubaine de rencontrer autant de personnes à la fois, Zarathoustra n’a pas hésité une seconde. Il s’est avancé devant ses congénères et, plein de candeur, sans la moindre présentation ni entrée en matière, il a prononcé ces paroles : « Je vous enseigne le surhomme. L’homme est quelque chose qui doit être surmonté. »
On imagine les regards, les sourires, les froncements de sourcils, les index pointés en direction des tempes. « Qu’est-ce qu’il raconte, celui-là ? Qu’est-ce qu’il nous veut ? C’est un marginal, un fou… » Sans y prendre garde, Zarathoustra a continué de plus belle : « Qu’avez-vous fait pour surmonter l’homme ? Jusqu’ici, tous les êtres ont produit quelque chose de plus haut qu’eux, quelque chose qui les dépasse. Vous voulez être un retour en arrière, un reflux de ce grand flux ? Vous préférez retourner à l’animal plutôt que de surmonter l’homme ? »
Le discours de Zarathoustra peut paraître débridé, mais il est tout à fait cohérent. Il part d’un constat : l’homme est un étrange phénomène, à la remorque de lui-même. Pas seulement de lui-même, mais de tous les êtres de la nature. Au fil du temps, l’être humain a dégénéré, au sens propre du terme : il a perdu son genre. Au lieu de faire comme tous les phénomènes de la nature, d’évoluer, de se dépasser, de se surmonter, il s’est mis à stagner, pire : à régresser, à reculer.
« Mais qu’est-ce qu’il dit, ce drôle d’individu ? Que nous veut-il ? », se demande la foule. Loin d’être freiné dans son ardeur, Zarathoustra s’est avancé davantage, pour devenir plus explicite : « Qu’est-ce que le singe pour l’homme ? Un rire ou une douloureuse honte ? Eh bien l’homme doit être exactement la même chose pour le surhomme : un rire ou une douloureuse honte. »
« Vous avez fait le chemin du ver à l’homme, et beaucoup en vous est encore ver. Vous étiez jadis des singes, et l’homme est aujourd’hui encore plus singe que n’importe quel singe. » On n’ose à peine imaginer les réactions à ces paroles, non seulement toujours plus claires, mais aussi de plus en plus dures. Porté par son trop-plein, son élan, Zarathoustra de poursuivre : « Même le plus sage d’entre vous n’est qu’un tiraillement, un hybride de plante et de fantôme. » L’homme a beau se prendre pour l’être le plus avancé, le plus abouti de la nature, il n’est qu’une hésitation, un croisement entre sa nature et ses fantasmes d’être supérieur qu’il s’imagine être.
Et Zarathoustra de demander, sans songer une seconde que personne ne le connaît, qu’il parle en inconnu à des inconnus : « Mais est-ce que je vous pousse, moi, à devenir des fantômes et des plantes ? » Non : loin de là ! L’enseignement de Zarathoustra est tout autre : « Voyez, je vous enseigne le surhomme ! »
Les paroles a priori débridée sont incroyablement cohérentes. Zarathoustra répète ce qu’il a avancé au début : il se présente comme l’enseignant du surhomme, littéralement l’être humain qui dépasse, qui surmonte l’homme tel qu’il est à présent, qui est à vrai dire à la remorque de lui-même. Mais qu’est-ce qu’au juste le surhomme ? « Le surhomme est le sens de la terre » a continué Zarathoustra, avant de prendre un ton évangéliste et de se mettre à exhorter ses auditeurs : « Que votre volonté dise : que le surhomme soit le sens de la terre ! » Pour que le surhomme puisse exister, en chair et en os, et pas seulement en pensée, il faut que l’homme le veuille en tant que sens de la terre. A force de le vouloir, il apparaîtra, il émergera.
« Je vous en conjure, mes frères, restez fidèles à la terre et ne croyez pas ceux qui vous parlent d’espérances supraterrestres ! Ce sont des empoisonneurs, qu’ils le sachent ou non. » Sens terrestre contre sens idéaliste, sens chrétien. Il n’y a pas de vie après la mort, pas d’espoir au-delà. Le paradis est un mirage. La seule vie qui existe est celle que nous sommes en train de vivre, ici et maintenant, sur cette terre. Tous les espoirs supraterrestres sont dangereux pour la vie. Tous nos efforts sont à placer dans l’ici et maintenant de cette terre, qui nous porte et nous transporte.
Ceux qui font miroiter une autre vie, un au-delà, bienheureux, hors du temps, plein d’amour, sans souffrance, une vie idéale, se fourvoient. Ils ne font qu’empoisonner l’existence : « Ce sont des contempteurs de vie. » S’ils méprisent l’existence, c’est à vrai dire par faiblesse, par manque de force. Ils la dénigrent parce qu’ils sont incapables de supporter la vie telle qu’elle est, telle qu’elle se joue : « Ce sont des mourants et eux-mêmes des empoisonnés, poursuit Zarathoustra. La terre en est fatiguée. » Tellement qu’ils feraient mieux de l’abandonner, de disparaître : « Puissent-ils y parvenir, dans la terre ! », continue-t-il. Pour les contempteurs de vie, la mort est finalement leur seule manière d’aller dans le sens de la terre. En mourant, au lieu de le salir, de la spolier, ils l’alimentent, la nourrissent, lui permettent de devenir le terreau sur lequel pourra apparaître le surhomme.
Les temps ont bien changé. « Il fut un temps, reprend Zarathoustra, où le sacrilège envers Dieu était le plus grand des sacrilèges, mais Dieu est mort, et par suite aussi les auteurs de sacrilèges à son égard. » Regardons autour de nous : ce n’est aujourd’hui plus Dieu qui guide le monde. Ce ne sont plus les valeurs chrétiennes – celles traditionnelles du beau, du bon, du vrai à partir desquelles se déclinent toutes les autres – qui imprègnent nos existences. Ce sont aujourd’hui d’autres valeurs, non plus spirituelles, communautaires, mais matérialistes, égoïstes, hédonistes qui façonnent aujourd’hui nos vies. En ce sens : Dieu est mort, le christianisme, ses valeurs sont dépassées. Ce sont d’autres instances qui guident le monde. Forcément, le sacrilège chrétien contre les idées chrétiennes est lui aussi caduc. « Le plus terrible est maintenant d’être sacrilège envers la terre, et de considérer plus haut les entrailles de l’insondable – les idées, l’être – que le sens de la terre ! »
Comme Dieu est mort, que les valeurs traditionnelles ont fait leur temps, il n’y a plus rien qui dépasse l’homme. La vie a perdu son sens. L’homme ne cherche plus que son plaisir égoïste, dans le confort, la consommation, la possession, la gloire, la domination, l’apparence et je ne sais quoi encore. C’est comme ça que l’homme dégénère en animal, en singe imitateur, ou alors en ver. Il n’y qu’une issue : si l’homme ne veut pas continuer à régresser, à reculer, il doit se mettre en chemin vers de nouvelles valeurs, trouver un nouveau sens à la vie. Le sens idéaliste, chrétien est dépassé, il s’agit désormais, pour ne pas sombrer dans le vide, dans l’absence de sens, de renouer avec le sens de la terre. Devient ainsi sacrilège celui qui n’a pas le sens de la terre, qui en est indifférent, qui en est déconnecté, qui la méprise, la néglige. Celui qui place ses espoirs, ses intérêts dans ses idées, sa volonté, son savoir, ses avantages, son bon plaisir.
« Il fut un temps où l’âme regardait avec mépris le corps : et ce mépris était alors ce qu’il y avait de plus haut », a poursuivi Zarathoustra. Epoque chrétienne : le corps est la source de tous les péchés, de tous les maux, la sexualité est le pire des vices. Le corps est le tombeau malpropre de l’âme qui, seule, est pure – et immortelle. On voulait à tout prix que « le corps soit maigre, horrible, affamé. » Il s’agissait par tous les moyens de lui échapper, de quitter la terre, au profit de l’âme, des idées, de la vie idéale, virtuelle.
Il ne faut pas s’en cacher : « Cette âme était elle-même bien maigre, horrible et affamée. » Sinon elle n’aurait pas réagi ainsi. Et « la cruauté était sa volupté ! » Guidé par les idées les plus hautes, les espérances d’au-delà, son seul plaisir était de maltraiter le corps, de le rendre indifférent, de le supprimer.
Les paroles de Zarathoustra sont au passé, comme si les choses avaient changé : « Mais vous aussi, mes frères, dites-moi, demande-t-il à la foule : que témoigne votre corps de votre âme ? Votre âme n’est-elle pas pauvreté et saleté, un plaisir misérable ? » Les hommes sont restés les mêmes ; leur corps est pauvre, sale, mu par des plaisirs misérables. « En vérité, l’homme est un torrent sale. On doit déjà être une mer, pour pouvoir recueillir un torrent sale sans devenir impur. » Et Zarathoustra de retomber sur ses pattes : « Voyez, je vous enseigne le surhomme : il est cette mer où peut sombrer votre grand mépris. »
Les paroles de Zarathoustra sont au passé, comme si les choses avaient changé : « Mais vous aussi, mes frères, dites-moi, demande-t-il à la foule : que témoigne votre corps de votre âme ? Votre âme n’est-elle pas pauvreté et saleté, un plaisir misérable ? » Les hommes sont restés les mêmes ; leur corps est pauvre, sale, mu par des plaisirs misérables. « En vérité, l’homme est un torrent sale. On doit déjà être une mer, pour pouvoir recueillir un torrent sale sans devenir impur. » Et Zarathoustra de retomber sur ses pattes : « Voyez, je vous enseigne le surhomme : il est cette mer où peut sombrer votre grand mépris. »
L’heure du grand mépris et du grand dégoût est d’abord celle où on se dit : « Qu’importe mon bonheur ! Il est pauvreté et saleté, un plaisir misérable. » En chemin vers le surhomme, on aura abandonné nos vieilles idées chrétiennes, matérialistes, du bonheur et se mettra en quête d’un bonheur lui-même capable de « justifier l’existence ! » : bonheur issu du sens de la terre.
L’heure du grand mépris et du grand dégoût est celle où vous vous dites : « Qu’importe ma raison ! » Où vous vous demandez : « Ma raison est-elle affamée de savoir, comme le lion de nourriture ? » Mais le savoir ne nourrit pas l’existence. On a beau en avoir, en accumuler, il n’a rien de roboratif. La connaissance, l’érudition n’aide en rien à vivre, au contraire. Le côté famélique de ma raison est vain : ma raison « est pauvreté et saleté, un plaisir misérable ! »
L’heure du grand mépris et du grand dégoût est celle où vous vous dites : « Qu’importe ma vertu ! » Le moment où on remarque l’insanité de notre vertu, de son incapacité à rendre léger, rapide, à faire pousser des ailes. À force, elle a plutôt tendance à alourdir : « Comme je suis fatigué de mon bien et de mon mal », de tout devoir juger à l’aune du bien et du mal ! Comme le bonheur et la raison traditionnels, la vertu « est pauvreté et saleté, un misérable plaisir ! »
Emporté par son élan, Zarathoustra n’a pu arrêter sa rengaine. L’heure du grand mépris et du grand dégoût est aussi celle où vous remettez en question la justice : « Qu’importe ma justice ! » Elle aussi est signe de faiblesse et de dégénérescence. On oublie qu’on n’est que « braise et charbon » : incandescent, combustible, éphémère.
L’heure du grand mépris et du grand dégoût est encore celle où vous abandonnez votre empathie : « Qu’importe ma compassion ! » Sus à la miséricorde, à la pitié traditionnelle, chrétienne ! « N’est-elle pas la croix à laquelle est crucifié celui qui aime les hommes ? » La compassion empêche toute liberté, d’esprit et de mouvement. Jésus a été le premier à l’expérimenter : son amour des hommes, devenu compassion, a finalement été sa croix, l’a conduit sur la croix. L’amour qui caractérise Zarathoustra est bien différent : « Ma compassion n’est pas une crucifixion. » Son amour en est le contraire : un nouvel envol, une libération en direction du surhomme.
A ce stade, Zarathoustra s’est enfin arrêté. Non pas pour se taire, mais pour interroger la foule sur ses propos : « Avez-vous déjà parlé comme ça ? Avez-vous déjà crié comme ça ? Ah, si seulement je vous avais déjà entendu parler ou crier comme ça ! » S’ils crient, les hommes ne le font pas pour mépriser Dieu et les valeurs traditionnelles, caduques, qu’il continue à incarner et promouvoir. Non : ils ne sont pas portés par leur pêché, par l’ivresse des forces libératrices qui nous dépassent tous. Ce qui les pousse, c’est leur médiocre sobriété, leur rationalité, leur égoïsme, leur vieille idée de bonheur, de raison, de vertu, de justice, de compassion. « Ce n’est pas votre péché – mais votre sobriété, votre avarice dans votre péché qui crie au ciel ! »
« Où donc est l’éclair qui vous lècherait de sa langue ? » Éclair de Zeus, dieu des dieux chez les anciens Grecs, dieu le plus puissant, dieu de la foudre qui éclate lorsque le déséquilibre entre ciel et terre est trop grand. « Où est la folie par laquelle vous devriez être vaccinés ? » A force d’idéalisme, de matérialisme, de soif d’un monde meilleur, de plus de plaisir, l’homme s’est dénaturé, a perdu sa naïveté, le sens de la terre, la folie lui permettant de s’élever au-dessus de lui-même. L’homme d’aujourd’hui ne s’attache qu’à la sobriété, à la rationalité, au sérieux : il veut tout maîtriser, tout comprendre, tout manipuler, être la mesure de toute chose.
Et Zarathoustra de conclure : « Voyez, je vous enseigne le surhomme : il est cet éclair, il est cette folie » dont nous avons besoin ! Puis il s’est tu.
On n’ose à peine imaginer l’attitude de la foule, pas du tout préparée à entendre un tel discours. Les choses sont allées beaucoup trop vite. Zarathoustra est allé beaucoup trop loin. De plus, ses paroles ne leur arrivent pas du tout au bon moment. S’ils sont sortis de chez eux, ce n’est pas pour venir écouter quelqu’un parler. On n’est pas à l’école ! Pas non plus à l’église ! Quel est cet étrange individu ? Quel est ce drôle de cours, de prêche ? Quels sont ces propos, désagréables ? La foule s’est déplacée en nombre pour passer du bon temps, se divertir, parce qu’un être d’exception, un funambule a été annoncé pour s’offrir en spectacle. La plupart n’a d’ailleurs sans doute écouté Zarathoustra que d’une oreille, certains pris dans leurs idées, leurs problèmes, leurs projets, d’autres se en ricanant, d’autres encore en poursuivant leur conversation.
Drôle de situation. Et de prêche, effectivement. Et voilà qu’une voix s’est élevée du fond de la foule : « Nous en avons maintenant assez entendu. Nous avons assez entendu parler du funambule ; nous voulons maintenant le voir ! » Peut-être pour se moquer, peut-être en toute bonne conscience, par mécompréhension. Impossible à dire. Et tout cas, tout le monde s’est mis à rire. Tout le monde, sauf le funambule, qui, tendu comme sa corde, là-haut, au-dessus de la foule, a lui aussi mal compris le sens des propos de Zarathoustra. Croyant que les mots lui étaient adressés, il s’est alors mis à l’ouvrage.
***
Traduction littérale
QUAND ZARATHOUSTRA EST ARRIVÉ DANS LA VILLE LA PLUS PROCHE, qui se trouve aux abords des forêts, il y a trouvé beaucoup de monde rassemblé sur la place du marché : car on avait promis qu’on pourrait y voir un funambule. Et voici les paroles de Zarathoustra au peuple :
Je vous enseigne le surhomme. L’homme est quelque chose qui soit être surmonté. Qu’avez-vous fait pour le surmonter ?
Jusqu’ici, tous les êtres ont produit quelque chose qui les dépasse : et vous voulez être le reflux de ce grand flux et préférez encore retourner à l’animal plutôt que de surmonter l’homme ?
Qu’est-ce que le singe pour l’homme ? Un rire ou une douloureuse honte. L’homme doit être la même chose pour le surhomme : un rire ou une douloureuse honte.
Vous avez fait le chemin du ver à l’homme, et beaucoup en vous est encore ver. Vous étiez jadis des singes, et l’homme est aujourd’hui encore plus singe que n’importe quel singe.
Même le plus sage d’entre vous n’est qu’un tiraillement et hybride de plante et de fantôme. Mais est-ce que je vous pousse à devenir des fantômes et des plantes ?
Voyez, je vous enseigne le surhomme !
Le surhomme est le sens de la terre. Que votre volonté dise : que le surhomme soit le sens de la terre !
Je vous en conjure, mes frères, restez fidèles à la terre et ne croyez pas ceux qui vous parlent d’espérances supraterrestres ! Ce sont des empoisonneurs, qu’ils le sachent ou non.
Ce sont des contempteurs de la vie, des mourants et eux-mêmes des empoisonnés, dont la terre est fatiguée : aussi puissent-ils y parvenir !
Il fut un temps où le sacrilège envers Dieu était le plus grand des sacrilèges, mais Dieu est mort, et par suite aussi les auteurs de sacrilèges. Le plus terrible est maintenant d’être sacrilège envers la terre, et de considérer plus haut les entrailles de l’insondable que le sens de la terre !
Il fut un temps où l’âme regardait avec mépris le corps : et ce mépris était alors ce qu’il y avait de plus haut : – et voulait qu’il soit maigre, horrible, affamé. Elle pensait par là lui échapper, comme à la terre.
Ô, cette âme était elle-même bien maigre, horrible et affamée : et la cruauté était la volupté de cette âme !
Mais vous aussi, mes frères, dites-moi : que témoigne votre corps de votre âme ? Votre âme n’est-elle pas pauvreté et saleté, et un misérable plaisir ?
En vérité, l’homme est un torrent sale. On doit déjà être une mer pour pouvoir recueillir un torrent sale sans devenir impur.
Voyez, je vous enseigne le surhomme : il est cette mer où peut sombrer votre grand mépris.
Qu’est-ce que le plus grand que vous pouvez expérimenter ? C’est l’heure du grand mépris. L’heure à laquelle vous serez dégoûté de votre bonheur lui-même, et aussi de votre raison et de votre vertu.
L’heure où vous dites : « Qu’importe mon bonheur ! Il est pauvreté et saleté, un misérable plaisir. Mais mon bonheur lui-même devrait justifier l’existence ! »
Cette heure où vous dites : « Qu’importe ma raison ! Est-elle affamée de savoir comme le lion de sa nourriture ? Elle est pauvreté et saleté, un misérable plaisir ! »
L’heure où vous dites : « Qu’importe ma vertu ! Elle ne m’a pas encore fait filer à toute allure. Comme je suis fatigué de mon bien et de mon mal ! Tout cela est pauvreté et saleté, un misérable plaisir ! »
L’heure où vous dites : « Qu’importe ma justice ! Je ne vois pas que je serais braise et charbon. Mais le juste est braise et charbon ! »
L’heure où vous dites : « Qu’importe ma compassion ! La compassion n’est-elle pas la croix à laquelle est crucifié celui qui aime les hommes ? Mais ma compassion n’est pas une crucifixion. »
Avez-vous déjà parlé comme ça ? Avez-vous déjà crié comme ça ? Ah, si seulement je vous avais déjà entendu crier comme ça !
Ce n’est pas votre péché – mais votre sobriété qui crie au ciel, votre avarice elle-même dans votre péché qui crie au ciel !
Où donc est l’éclair qui vous lècherait de sa langue ? Où est la folie par laquelle vous devriez être vaccinés ?
Voyez, je vous enseigne le surhomme : il est cet éclair, il est cette folie ! –
Après que Zarathoustra a parlé comme ça, il y en a un qui a crié dans la foule : « Nous avons maintenant assez entendu parler du funambule ; laissez-le nous maintenant aussi voir ! » Et tout le monde s’est moqué de Zarathoustra. Mais le funambule, croyant que les mots lui étaient adressés, s’est mis à l’ouvrage.
***
Texte original
Als Zarathustra in die nächste Stadt kam, die an den Wäldern liegt, fand er daselbst viel Volk versammelt auf dem Markte: denn es war verheißen worden, daß man einen Seiltänzer sehen solle. Und Zarathustra sprach also zum Volke:
Ich lehre euch den Übermenschen. Der Mensch ist etwas, das überwunden werden soll. Was habt ihr getan, ihn zu überwinden?
Alle Wesen bisher schufen etwas über sich hinaus: und ihr wollt die Ebbe dieser großen Flut sein und lieber noch zum Tiere zurückgehn, als den Menschen überwinden?
Was ist der Affe für den Menschen? Ein Gelächter oder eine schmerzliche Scham. Und ebendas soll der Mensch für den Übermenschen sein: ein Gelächter oder eine schmerzliche Scham.
Ihr habt den Weg vom Wurme zum Menschen gemacht, und vieles ist in euch noch Wurm. Einst wart ihr Affen, und auch jetzt noch ist der Mensch mehr Affe, als irgendein Affe.
Wer aber der Weiseste von euch ist, der ist auch nur ein Zwiespalt und Zwitter von Pflanze und von Gespenst. Aber heiße ich euch zu Gespenstern oder Pflanzen werden?
Seht, ich lehre euch den Übermenschen!
Der Übermensch ist der Sinn der Erde. Euer Wille sage: der Übermensch sei der Sinn der Erde!
Ich beschwöre euch, meine Brüder, bleibt der Erde treu und glaubt denen nicht, welche euch von überirdischen Hoffnungen reden! Giftmischer sind es, ob sie es wissen oder nicht.
Verächter des Lebens sind es, Absterbende und selber Vergiftete, deren die Erde müde ist: so mögen sie dahinfahren!
Einst war der Frevel an Gott der größte Frevel, aber Gott starb, und damit starben auch diese Frevelhaften. An der Erde zu freveln ist jetzt das Furchtbarste und die Eingeweide des Unerforschlichen höher zu achten, als den Sinn der Erde!
Einst blickte die Seele verächtlich auf den Leib: und damals war diese Verachtung das Höchste – sie wollte ihn mager, gräßlich, verhungert. So dachte sie ihm und der Erde zu entschlüpfen.
Oh diese Seele war selber noch mager, gräßlich und verhungert: und Grausamkeit war die Wollust dieser Seele!
Aber auch ihr noch, meine Brüder, sprecht mir: was kündet euer Leib von eurer Seele? Ist eure Seele nicht Armut und Schmutz und ein erbärmliches Behagen?
Wahrlich, ein schmutziger Strom ist der Mensch. Man muß schon ein Meer sein, um einen schmutzigen Strom aufnehmen zu können, ohne unrein zu werden.
Seht, ich lehre euch den Übermenschen: der ist dies Meer, in ihm kann eure große Verachtung untergehn.
Was ist das Größte, das ihr erleben könnt? Das ist Stunde der großen Verachtung. Die Stunde, in der euch auch euer Glück zum Ekel wird und ebenso eure Vernunft und eure Tugend.
Die Stunde, wo ihr sagt: »Was liegt an meinem Glücke! Es ist Armut und Schmutz und ein erbärmliches Behagen. Aber mein Glück sollte das Dasein selber rechtfertigen!«
Die Stunde, wo ihr sagt: »Was liegt an meiner Vernunft! Begehrt sie nach Wissen wie der Löwe nach seiner Nahrung? Sie ist Armut und Schmutz und ein erbärmliches Behagen!«
Die Stunde, wo ihr sagt: »Was liegt an meiner Tugend! Noch hat sie mich nicht rasen gemacht. Wie müde bin ich meines Guten und meines Bösen! Alles das ist Armut und Schmutz und ein erbärmliches Behagen!«
Die Stunde, wo ihr sagt: »Was liegt an meiner Gerechtigkeit! Ich sehe nicht, daß ich Glut und Kohle wäre. Aber der Gerechte ist Glut und Kohle!«
Die Stunde, wo ihr sagt: »Was liegt an meinem Mitleiden! Ist nicht Mitleid das Kreuz, an das der genagelt wird, der die Menschen liebt? Aber mein Mitleiden ist keine Kreuzigung.«
Spracht ihr schon so? Schriet ihr schon so? Ach, daß ich euch schon so schreien gehört hätte!
Nicht eure Sünde – eure Genügsamkeit schreit gen Himmel, euer Geiz selbst in eurer Sünde schreit gen Himmel!
Wo ist doch der Blitz, der euch mit seiner Zunge lecke? Wo ist der Wahnsinn, mit dem ihr geimpft werden müßtet?
Seht, ich lehre euch den Übermenschen: der ist dieser Blitz, der ist dieser Wahnsinn! –
Als Zarathustra so gesprochen hatte, schrie einer aus dem Volke: »Wir hörten nun genug von dem Seiltänzer; nun laßt uns ihn auch sehen!« Und alles Volk lachte über Zarathustra. Der Seiltänzer aber, welcher glaubte, daß das Wort ihm gälte, machte sich an sein Werk.
Texte immense !