DrĂ´le de musique de la vie. J’ai vu des gens mourir de faim. Il y avait des meurtres, des viols. Des villages en feu. Des personnes qui couraient dans tous les sens, qui essayaient de s’Ă©chapper.
Comme je ne pouvais rien faire, je n’ai pas mĂŞme osĂ© croiser leurs regards. Je me contentais de regarder mes chaussures. Tout ça Ă©tait acide. Tout ça Ă©tait tragique. DrĂ´le de musique de la vie. C’Ă©tait presque comme le blues. C’Ă©tait presque comme le blues.
A force de vivre tout ça, de ne pas pouvoir faire autrement que de penser Ă tout ça, tous les jours, je dois mourir un peu. Entre chaque intrigue meurtrière, entre chaque nouvelle catastrophe, je dois mourir un peu. Et quand j’en ai fini de penser, c’est mĂŞme pire : je dois mourir beaucoup. Je ne peux pas faire autrement : soit je pense Ă tout ça, Ă la mort, Ă tout ça, soit je meure Ă mon tour sans me rendre compte de tout ça.
Dans notre monde, il y a de la torture, des assassinats, des catastrophes de tout genre. Et il y a toutes mes mauvaises critiques, toutes mes remarques et considĂ©rations maladroite vis-Ă -vis de tout ça : de la vie, de la guerre, de la souffrance, des enfants disparus, de la mort, qui gronde partout et qui avale tout. DrĂ´le de musique de la vie, Seigneur ! C’est presque comme le blues. C’est presque comme le blues.
MĂŞme si, Ă la longue, j’ai appris Ă me dĂ©fendre, j’ai laissĂ© geler mon cĹ“ur, juste pour survivre, pour garder la pourriture, tout ça, Ă distance, mon père croit en moi : il dit que je suis un Ă©lu, un privilĂ©giĂ©, un ĂŞtre Ă part, qui a une vĂ©ritable tâche, dans cette vie. Alors qu’au contraire de mon père, ma mère, elle, dit tout le contraire : dit que je ne suis en rien un Ă©lu, que je suis juste un homme, juste un homme comme les autres.
En plus de tout ce que j’ai vu, j’ai toujours aussi tendu l’oreille, j’ai lu des livres. Je me suis aussi intĂ©ressĂ© aux peuples qui ont une histoire pas comme les autres, qui ont une histoire tragique. J’ai notamment Ă©coutĂ© l’histoire des Tziganes et des Juifs. Ah comme c’Ă©tait bon, d’entendre ça, la lutte pour la vie, contre la mort. Oui, j’ai aimĂ© ça : ce n’Ă©tait pas du tout ennuyeux, pas du tout dĂ©rangeant, comme on pourrait le croire. Passionnant, au contraire. LĂ , aussi, drĂ´le de musique de la vie. C’Ă©tait presque comme le blues. C’Ă©tait presque comme le blues.
« Il n’y a pas de Dieu dans le ciel. Et il n’y a pas d’enfer en-dessous », voilĂ ce que dit le grand chercheur, le grand savant, le grand professeur, maĂ®tre de tout ce qu’on peut et doit savoir sur terre.
Mais moi, je ne crois pas Ă ce qu’il raconte, le savant professeur. Je ne crois pas que le ciel et la terre sont vides, qu’il n’y a rien qui nous dĂ©passe et qui nous porte. Je ne peux faire autrement : j’ai reçu l’invitation, j’ai reçu une invitation de la vie. Une invitation qu’un homme sensible, qu’un pĂ©cheur comme moi ne peut refuser : celle de me donner pour ce monde, pour ce ciel, pour cette terre. De tout faire pour dĂ©fendre ses valeurs, ses couleurs, son Ă©quilibre, son jeu. Et c’est pour moi presque comme le Salut, comme une RĂ©demption. DrĂ´le de musique, la vie. C’est presque comme le blues. C’est presque comme le blues. DrĂ´le de musique, la vie.
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Leonard Cohen, Almost like the blues, Sony Music Entertainment, 2014.
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Paroles (traduction française) :
J’ai vu des gens mourir de faim
Il y avait des meurtres, il y avait des viols
Leurs villages brûlaient
Ils essayaient de s’Ă©chapper
Je ne pouvais pas rencontrer leurs regards
Je regardais mes chaussures
C’était acide, c’Ă©tait tragique
C’Ă©tait presque comme le blues
C’Ă©tait presque comme le blues
Je dois mourir un peu
Entre chaque intrigue meurtrière
Et quand j’ai terminĂ© de penser
Je dois mourir beaucoup
Il y a de la torture, et il y a des assassinats
Et il y a toutes mes mauvaises critiques
La guerre, les enfants disparus, Seigneur
C’est presque comme le blues
C’est presque comme le blues
Bien que j’aie laissĂ© geler mon cĹ“ur
Pour garder la pourriture Ă distance
Mon père dit que je suis choisi
Ma mère dit que je ne le suis pas
J’ai Ă©coutĂ© leur histoire
Celle des Tziganes et des Juifs
C’Ă©tait bon, ce n’Ă©tait pas ennuyeux
C’Ă©tait presque comme le blues
C’Ă©tait presque comme le blues
Il n’y a pas de dieu dans le ciel
Et il n’y a pas d’enfer ci-dessous
VoilĂ ce que dit le grand professeur
De tout ce qu’il faut savoir
Mais j’ai eu l’invitation
Qu’un pĂ©cheur ne peut pas refuser
Et c’est presque comme le salut
C’est presque comme le blues
C’est presque comme le blues
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Paroles (en anglais) :
I saw some people starving
There was murder, there was rape
Their villages were burning
They were trying to escape
I couldn’t meet their glances
I was staring at my shoes
It was acid, it was tragic
It was almost like the blues
It was almost like the blues
I have to die a little
between each murderous plot
and when I’m finished thinking
I have to die a lot
There’s torture, and there’s killing
and there’s all my bad reviews
The war, the children missing, lord
It’s almost like the blues
It’s almost like the blues
Though I let my heart get frozen
to keep away the rot
my father says I’m chosen
my mother says I’m not
I listened to their story
of the gypsies and the Jews
It was good, it wasn’t boring
It was almost like the blues
It was almost like the blues
There is no G-d in heaven
There is no hell below
So says the great professor
of all there is to know
But I’ve had the invitation
that a sinner can’t refuse
It’s almost like salvation
It’s almost like the blues
It’s almost like the blues
Merci. Notre Ă©poque mĂŞle le pire et le meilleur Ă la fois…
Magic Leonard!
Le grand style.