Pathei mathos – QIl y a longtemps, dans l’ancienne Grèce, un chĹ“ur a chantĂ© que la seule manière pour les hommes de comprendre le monde, ce qui s’y passe et ne s’y passe pas, d’apprendre Ă se comporter de manière Ă©quilibrĂ©e vis-Ă -vis de soi-mĂŞme, des autres et du monde, Ă©tait non pas d’aller Ă l’école, d’avaler un nombre incalculable de livres, de s’enfoncer une monstrueuse quantitĂ© de formules et autres règles dans le crâne afin de pouvoir les appliquer au moment voulu. Non. Il convenait bien plutĂ´t d’apprendre (μανθάνειν) par le πάθος, terme qu’on traduit en français par ce qui arrive Ă quelqu’un, ce que quelqu’un Ă©prouve, l’expĂ©rience subie.
Bien sûr, c’était il y a bien longtemps, très longtemps, tellement longtemps qu’on se contente aujourd’hui de classer cette époque dans la nébuleuse du mythe. Mais est-ce vraiment à jeter pour autant ?
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Pathei mathos – RAh ma chère Ariane, tu poses lĂ une bien jolie question – Ă laquelle, gĂ©nĂ©reuse et avisĂ©e comme tu es, tu donnes toi-mĂŞme d’emblĂ©e une excellente rĂ©ponse. Personne ne peut mieux que toi nous indiquer comment s’en sortir dans le labyrinthe de l’existence !
La question est en gros de savoir si on apprend mieux à vivre en suivant plein de cours, en lisant un tas de livres, en apprenant des tonnes de formules et de règles par cœur, bref en accumulant les savoirs, ou plutôt en expérimentant la vie elle-même, en se plongeant dans le cœur de l’existence elle-même ?
Autrement dit : apprend-on d’avantage sur les bancs d’école, dans les bibliothèques, devant notre ordinateur, ou dans la cour d’école, sur les terrains de sport, dans la forêt, les champs et partout ailleurs ? Ou, pour poser la question encore autrement, de manière encore plus générale : est-il plus utile de travailler et d’étudier seul, dans son coin, en ermite, ou de s’ouvrir au monde, de partager ses expériences et sa vie avec les gens qui nous entourent ?
A bien y regarder, ça coule de source : pour s’en sortir dans le labyrinthe de l’existence – pour ne pas se faire écraser par la nature problématique et tragique de la vie, pour ne pas se faire dévorer par le minotaure –, les phénomènes, les événements, les expériences et les épreuves qu’on a l’occasion de vivre et de partager sont mille et une fois plus riches, plus instructifs que tout ce qu’on peut s’enfoncer en bonne et due forme dans la tête. Mille et une fois plus riches et plus utiles pour notre vie : pour notre vie d’êtres sensibles, doués de raison.
Bien que datant des calendes grecques, bien que nébuleux, oui, le mythe tire dans le mille : pour bien vivre, il ne suffit pas d’entraîner et de faire gonfler sa raison, sa mémoire, mais il s’agit de stimuler et d’affiner ses sens, sa sensibilité, son ouverture, ses perceptions, son agilité, sa réactivité, bref sa manière de jouer et de faire en sorte que ça joue, en nous et en-dehors de nous.
Ce qui ne veut évidemment pas dire que l’école, les livres, l’ordinateur ne servent à rien, bien au contraire ! D’autant plus aujourd’hui, où la vie est toujours davantage dominée par la science et la technique, par les structures rationalistes de la raison raisonnante.
Au final, tout est question d’équilibre. Comme le dit ton mythe lui-même, ma chère Ariane, l’enjeu est de trouver son chemin, son équilibre dans le labyrinthe de la vie : labyrinthe de la vie tant marqué par le va-et-vient naturels des phénomènes que les mécanismes artificiels qui y règnent.
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Tous les mardis, PHUSIS donne une perspective phusique à une actualité, un événement, un extrait de texte, une pensée, une sensation, un problème ou n’importe quel phénomène jubilatoire ou inquiétant de notre monde formidable. Le matin, de bonne heure, un phusicien poste un bref article, sous forme de question à méditer. Puis, à midi, PHUSIS propose une réponse et mise en perspective.